Chapitre 25 - Instruction musclée

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Des effluves de menthe me chatouillaient les narines. Leur odeur était si entêtante, qu'en deux inspirations, elles érigèrent une palissade entre ma conscience et les rêves. Masque noir, épée et remparts laissèrent place à un plafond de bois, illuminé de bougies, et bordé d'étagères à bocaux.

— Alors, on se réveille ?

Une tête brune se penchait sur moi. Celle d'une femme en uniforme, insigne de soldat au cou, et pli observateur entre les sourcils.

— La jeunesse, ça se fatigue vite ! m'apostropha-t-elle. On n'est pas dans la Garde, tu sais, pas de pauses dans la relève... Tu étais bien avec le caporal Migon ?

— Le-le caporal... ?

— Migon.

— Il... n'a pas donné son nom.

— À la bonne heure, c'est lui. Tiens, sèche-toi avec ça, puis tu iras rejoindre ton escouade. Migon a changé d'affectation.

Elle avait laissé tomber une serviette sèche sur mon plastron avant de s'éloigner à bon pas. Barbouillée, je me redressai sur une couchette de bois telle Jeanne se levant du fauteuil. J'étais tendue comme un arc et aussi trempée qu'après un cauchemar.

— Où suis-je ? reniflai-je.

Cette salle avait la signature olfactive d'un flacon d'huiles zésensiel. Sans fenêtres, toute de boiseries et de lits en bois, elle semblait baigner dans son jus depuis des lustres.

— À l'infirmerie de la caserne centrale, lâcha la soldate, affairée.

— Vous avez dit que j'ai changé de caporal ?

— Oui.

Elle s'empara de pommades granuleuses et tartina copieusement des bandages.

— La hiérarchie sait que ce n'est pas le moment de jeter les pots cassés. Elle est intervenue avant que Migon ne renvoie toutes les recrues.

— Le caporal veut m'exclure de l'Armée ? balbutiai-je avec des sueurs froides.

— Oh, sûrement, mais il ne peut pas, rit la soldate. 'Paraît que le Général négocie avec l'Ordre pour réhabiliter les blasphémateurs, alors, tu parles ! Deux coups sur un supérieur, ça se pardonne. Surtout si c'est Migon.

La serviette se froissa distraitement entre mes doigts. Ma rixe avec le caporal avait dû faire le tour de la caserne. Mais tant mieux si je m'en sortais. L'idée d'être livrée à moi-même me donnait la nausée.

Surtout après ce rêve.

Je plaquai la serviette en boule sur la couchette et m'éclipsai de la pièce avant que la soldate ne lève le nez de ses plantes.

Au-delà de l'infirmerie, il n'y avait que couloirs, portes, et encore des couloirs. Aucune fenêtre pour se repérer, mais ce dédale me parut vite familier. Ici des armureries bruyantes, là des ateliers de tannage, partout des escouades. Les soldats se pressaient, et maintenant, je comprenais pourquoi. Après un escalier de bois, je gagnai la grande salle, où les soldats s'agglutinaient pour un panier-repas. Dehors, les rayons doraient le ciel et ombraient les arcades. Ça sentait le parquet ciré, la bougie fondue, le pain cru et l'angoisse.

« Notre armée n'est pas seule dans le ciel », me répétai-je.

Et c'était donc pour ça, les armes, les remparts, les recrutements. C'était donc pour ça les empressements, les ordres criés de bon matin, les bousculades dans la caserne. Une armée allait nous envahir, dans dix jours, comme elle l'avait fait autrefois. Une armée tenace et fourbe, qui, de plus en plus, gagnait en moi le nom d'« Utopie ».

L'Angevert | L'INTÉGRALEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant