Chapitre 44 - Un caporal et un sergent

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Je suis un gens de la « rmé ».

Comment disait-on « sergent », en Terremedien ?

Je peux battre le docteur.

Je n'en avais jamais douté, mais maintenant, j'en avais la preuve. Ce médecin maigrichon ne maîtrisait aucune arme. Moi, j'en commandais autant que de soldats.

— Nom d'une plume de corbeau...

Je m'obsédais seule avec ce grade.

Sergent.

Moi, sergent.

Pas soldat, pas caporal, sergent. À peine sortie de ma formation, sergent. Avec du recul, je comprenais l'amusement des châtelaines. Qui avait déjà vu ça ? Absolument personne.

Les journées avaient filé comme les nuages par jour de vent. Je m'étais vite habituée à donner des ordres. Lyruan le sergent devait s'être simplement endormie quelque part en moi, en attendant qu'on la réveille. Tant mieux. Le savoir me permettait de calmer ce sentiment d'imposture, qui ne me lâcherait sans doute pas avant un bon moment.

Tout le monde m'avait montré du respect. Je languissais de croiser Migon, pour découvrir son comportement.

Malgré tout, il restait un sentiment doux-amer. Allongée sur le toit après ma fin de service, je croisai les yeux peints de mes parents pour la dixième fois.

— Est-ce que tu serais vraiment fier ? demandai-je le plus sérieusement du monde à mon père.

Son sourire immortalisé fut ma seule réponse. Des bribes de souvenirs en tête, je dérivai vers le château.

Pour le grade, oui, sans doute serait-il fier. Un Général ne pouvait que féliciter son enfant de gravir les échelons. Que la Reine ait interféré en ma faveur, il n'en aurait rien pensé. Pire, il aurait sûrement trouvé ça honorant.

En revanche, concernant la magie de l'Angevert, il aurait sans doute eu une autre réaction.

J'avais tout essayé pour m'en débarrasser. L'expulser, l'oublier, la détruire par la force de la pensée. J'avais même fouillé mes souvenirs chez le Sagevert, à la recherche d'une astuce. L'homme-aux-deux-âges avait parlé du « Coma Rédempteur », qui permettait d'expier l'utilisation de la magie. Ça aurait réglé tous mes soucis. Mais en dépit de mes efforts, je n'y parvenais pas.

D'un geste maintenant habituel, je vérifiai les alentours, avant de discrètement déplier mes doigts. Les losanges lumineux n'étaient pas réapparus, mais je les imaginais encore, comme s'ils s'étaient marqués dans mes paumes au fer rouge. Je sentais le pouvoir sommeiller, enfoui dans les tréfonds de mon corps. Il continuait sans doute de se dépenser, de manière infime, ce qui expliquerait que je ne perde pas conscience.

Tout ça ne me plaisait pas. Lorsque les réserves de magie finiraient par se tarir, mon Coma serait bien trop long pour passer inaperçu. Le scandale éclaterait, et Valkeris ou pas, on ne se gênerait pas pour me jeter hors de Van-Ameria. Si ce n'était pas l'Ordre qui s'en chargeait le premier, le Général accourrait.

En dernière tentative, je m'étalai sur le toit comme dans un lit. Malgré le soleil tapant, il fallait s'imaginer dans un noir total. Je devais oublier le vent qui sifflait dans les ailes des patrouilles, la fraîcheur qui courait sous l'uniforme... Rien à faire.

Jemelris et sa femme restaient bienveillants face à mon désarroi. Et Émile et Jeanne, que penseraient-ils de tout ça ?

Ah, si vous savez tout ce que je vis, vous me croirez pas, soufflai-je vers les remparts.

L'Angevert | L'INTÉGRALEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant