Chapitre 29 - Tizane de la revanche

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Le Sagevert me fixait comme si je venais de l'insulter.

— Si mes confrères de l'Ordre vous entendaient ! s'exclama-t-il de sa voix mutante. N'outragez pas notre Grande Détentrice ! Personne ne mérite de s'arroger son pouvoir !

— Mais...

— Vous ne trouvez donc pas qu'il est assez convoité comme cela ? Faudrait-il que Terremeda entière s'en mêle ?

— Je...

— Cet argument plaira mieux à une militaire : imaginez un instant, Dame Valkeris, que des personnes malveillantes s'emparent de cette force. À quoi ressemblerait notre univers, ma Dame, si le temps lui-même se pliait aux désirs des plus cruels ? Combien de familles, de peuples, de mondes disparaîtraient ?

Il me jugeait à travers ses âges d'un regard à faire pâlir le Colonel. Je ne répondis pas, j'étais prise de court, et je n'arrivais pas à savoir s'il avait raison ou s'il exagérait.

Finalement, je courbai la tête.

— Merci pour vos soins.

— Ne laissez plus votre pensée s'égarer, soupira le Sagevert exténué avant que ses yeux ne se ferment.

Le voir plonger dans le sommeil me fit prendre conscience de ma propre fatigue. Les pieds trainants, je quittai la tour. 


Une nuit glaciale était tombée sur les Sommets. Des ordres résonnaient encore, vigoureux comme en plein jour. Les entraînements nocturnes débutaient, les remparts fourmillaient de flambeaux et d'escadrons. Aucun gradé sur ma route, une chance, car je devais avoir l'air d'une ivrogne. 

L'aile n'était pas légère, fluide et gracieuse comme celles de Galliem, bien au contraire. Cette masse plumeuse et amorphe, qui me collait aux omoplates, me déséquilibrait, se prenait dans mes talons, me chatouillait les mollets. 

Quand j'arrivai enfin à la maison, la nuit s'était épaissie comme un nuage d'orage. Ça n'empêcha pas une sentinelle inopinée de me remarquer.

— À quoi tu joues ? s'exclama l'ombre de Galliem depuis le toit.

— Bonsoir, marmottai-je.

Tracter une aile était visiblement plus étrange pour lui que de courser des poules à quatre pattes dans un poulayé. L'oiseau soupira, les deux mains plongées dans ses cheveux dérangés. Je ne perdis pas de temps à lui expliquer, un lit m'attendait avec impatience.

— Tu veux de la tizane ?

Mes oreilles se dressèrent.

— J'ai rassemblé les ingrédients, se vanta le soldat. Ça doit pas être compliqué à cuisiner.

— Aide-moi à monter.

Mon cœur s'était réveillé. Mains dans les mains, l'oiseau me hissa lourdement vers le toit, non sans m'arroser de plaintes sur mon poids. Je grognai quand mon aile cogna la porte, s'ébouriffa sur le rebord. Mais ça en valait la peine. Au centre du toit, plat et circulaire, un foyer de braises rudimentaire dispersait sa fumée aux quatre vents. Une marmite d'eau y trônait, entourée de bouquets de thym, menthe, et autre verveine des nuages. 

Galliem, assis, saupoudra les feuilles avec un air de connaisseur. Somnolente, je m'enroulai dans une couverture rêche qui traînait. Renifler la menthe d'un peu trop près m'arracha un éternuement, qui fit bondir l'oiseau sur place.

— Qui est l'Angevert ? questionnai-je au bout d'un moment.

Galliem remplissait deux bols à ras-bord. Ses yeux ambrés luisaient moins la nuit qu'au soleil, mais une lumière amusée y brillait toujours.

L'Angevert | L'INTÉGRALEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant