Chapitre 40 - Ordres du Général

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Mille trois cent deux. Toutes les bouches des Sommets répétaient ce nombre, sans arrêt.

Mille trois cent deux prisonniers Utopiens. Juste après l'avoir dit, on ajoutait qu'on n'avait jamais vu ça, que c'était inespéré, que les geôles ne pourraient pas les accueillir. Mille trois cent deux barbares désarmés, les chevilles fracturées pour la plupart. Après avoir assommé les soldats en vol, nous les avions poussés vers le sol. Et, visiblement, tomber du ciel au ralenti sauvait la vie, mais ne laissait pas indemne.

L'Armée de Van-Ameria avait assez de mains valides pour avoir mis les visages au jour. Ces centaines d'hommes et de femmes, qui nous dévisageaient avec répugnance, partaient pour les prisons du centre du nuage. Ils étaient escortés par les soldats qui avaient le précieux mérite de tenir debout.

Puis, il y avait les autres militaires. Les décontenancés, les choqués, les perdus. Ceux que la mort avait frôlé, et bien plus. Rassemblés devant le château, ils trépignaient, hurlaient, parfois. Les pieds nus boitaient, les têtes enrubannées erraient. D'autres, les poings enfoncés dans l'herbe, accusaient le coup. Ils avaient perdu un camarade, un proche.

Pour moi, rien de tout ça. Personne que je ne connaissais ne figurait parmi les allongés blafards, alignés non loin dans leur dernière revue des troupes. Ça me suffisait pour rester assise où j'étais, sur les marches de la caserne centrale.

J'essayais de ne pas trop réfléchir à pourquoi ma tête de Tentavole de frère n'était pas encore réapparue.

Difficile de supporter cette agitation pullulante, quand j'essayais de garder mon calme. Je ne pouvais pas retourner du côté des prisonniers. On me l'avait interdit. Tout ça, parce que j'avais proposé une solution contre la surcharge des prisons. Ces gens avaient essayé de me tuer, mais on m'en avait voulu de souhaiter leur rendre la pareille.

Tout ça à cause du fait que ces gens possédaient une infime part du pouvoir de l'Angevert en eux. Comme nous, ça leur permettait de déployer et supprimer leurs ailes à loisir. L'Ordre refusait qu'on les élimine à ce titre. Le pire que nos meurtriers risquaient, c'était la prison à vie, ou l'exil d'un royaume qui n'était même pas le leur.

Je soupirai.

« Toi. »

En pensant à nos ennemis, je le voyais lui, surtout. Ce Corbeau squelettique, silencieux, noir du masque aux plumes. Mes deux ailes, que je sentais gainées par la magie, ne m'en feraient pas démordre : être maintenue impuissante au-dessus du vide, c'était pire que tout.

« C'est parce que j'ai refusé... »

Son parchemin se froissait sous mon plastron. Évidemment, je le détruirais. J'y prendrais même un malin plaisir. Mais pas tout de suite. Si j'attirais l'attention du moindre soldat avec ce papier, je ne donnais pas cher de mon avenir.

Je n'arrivais pas à m'expliquer qu'Utopie ait cherché à me contacter. Je n'avais aucune raison de leur parler. Ils tuaient les nôtres, ils voulaient s'arroger un pouvoir dangereux. Pire, c'était le Corbeau qui m'avait faite Tomber. M'avaient-ils choisie au hasard ? Ces idiots allaient donner raison aux soupçons du Général.

Une tête ébouriffée apparut dans la foule, me tirant hors de mes réflexions. Je me dressai d'un bond, des soldats qui entraient dans la caserne me bousculèrent, je les poussai pour avancer.

Plastron sur plastron, bâton après bâton, je me rapprochai de ma cible. Ses cheveux sales semblaient mouillés et collants. Il forçait un passage vers les tombés au combat. Un frisson me parcourut. Il me cherchait, j'avais compris qu'il me cherchait.

L'Angevert | L'INTÉGRALEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant