Chapitre 28 - Le pouvoir de l'Angevert

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Il joignit l'acte à la parole. Fermement, sans trembler, sa main se plaqua entre mes omoplates.

Une décharge me foudroya le dos. Comme un coup de bâton envoyé avec la force d'un régiment, une vague fraîche m'inonda depuis la main du Sagevert. Je crus m'éblouir de l'intérieur.

Mais ça ne dura tout au plus qu'une seconde.

L'angoisse m'avait rendue alerte. Trop alerte. Rigide, je vécus cet instant avec une impression de ralenti. L'instant, où la paume crépitante du Sagevert frôla ma peau, dégagea cette fraîche chaleur, provoqua une explosion le long de mes cicatrices. L'instant, où je me mis à ressentir un membre inconnu, comme s'il avait toujours été là. Une sorte de bras, dans mon dos. Grand, lourd. Douloureux.

Tout bascula autour de moi. Mon dos s'enflamma, irradia jusqu'aux confins de mon crâne et de mon bassin. Je lâchai un hurlement, il résonna longtemps dans la tour.

— Eh bien, eh bien, bégaya le Sagevert.

Je serrai les dents, grognai de tous mes poumons. La pièce redevenait nette, suffisamment pour que j'aperçoive Fen, levé de son siège. Pour la première fois depuis que je le connaissais, il avait l'air inquiet.

Je plongeai la tête dans la couchette. Un coup de chaud me donnait le vertige.

— C'est... horrible, articulai-je.

— Je vous crois, balbutia le médecin.

J'inspirai, soufflai, fébrile.

— Est-ce que... ça a m-marché ?

— À moitié...

Au prix de grosses gouttes de sueur, je me forçai à paraître calme.

— C'est-à-dire... ?

On n'était jamais mieux servi que par soi-même. Avec mille précautions, je me retournai, pour admirer la récompense de mon dur labeur.

Une aile. J'avais une aile. Gisant jusqu'au sol, les plumes abîmées, grisâtres. Le Sagevert diffusait de la lumière verte sur le duvet amoché. Il remarqua ma désillusion.

— C'est un début, Dame Valkeris. Nous allons récupérer l'autre, si elle est toujours là.

— Non, non, me tendis-je. Je ne veux pas de l'autre.

— Ne vous inquiétez pas, nous nous y prendrons autrement. Je ne me doutais pas que la tâche serait aussi... complexe.

Il continua à trafiquer avec sa magie luisante. Quant à moi, je respirai enfin. La douleur s'apaisait. Cette énergie, qui passait dans mon corps, me réchauffait, me calmait, plus que toute autre chose.

— Mais qu'a-t-il bien pu vous arriver ? murmurait le Sagevert.

Une larme m'échappa. Je l'essuyai d'un revers de main.

Puis les heures s'allongèrent, et la visite médicale se mua en après-midi de convalescence. Je passai un temps interminable sur la couchette, sans que le Sagevert ne m'autorise à bouger d'une plume. Il était vite apparu que mes ailes étaient cassées. À chaque nouvelle fracture, le vieux-jeune se déridait de surprise. Pas étonnant qu'il n'ait jamais vu ça, les gens qui s'écrasaient sur Terremeda ne le consultaient pas souvent.

D'ailleurs, je devais sans doute la vie à ces ailes cassées. Le filet de mes cauchemars était bien trop lourd pour que je m'en libère, les ailes avaient dû amortir le choc. Je m'étonnais que ça ait suffi, mais une petite voix me corrigea vite. Je n'avais pas totalement réchappé à cette chute.

L'Angevert | L'INTÉGRALEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant