Chapitre 2 - Cris dans les airs

115 29 19
                                    




Le vent soufflait toujours comme un dément. Émile, dans ses frèzes, ne remarqua pas plus mon odeur nauséabonde que les cris agacés de Jeanne.

— Le docteur va venir, grelota la grand-mère à mon passage, appuyée sur l'encadrement de la porte. Si tu pouvais déplacer les fauteuils...

— Oui.

Elle voyait que j'étais perturbée. Je m'engouffrai dans le salon sans faire de commentaire.

La tévé diffusait les prévisions de soleil et de pluie. Le souvenir des rires de la paratutiste se superposait à la voix du présentateur, je me dépêchai de pousser le premier meuble pour l'oublier.

— Tu ne feras rien au docteur, n'est-ce-pas ?

Jeanne croisait ses mains fripées. Elle s'inquiétait pour ça aussi, sûrement. Plongée dans le vernis d'un accoudoir, tous les étrangers passèrent devant mes yeux : les livreurs de nourriture, de courrier, les visites pour l'eau ou lélétricité, entre autres lointains voizins curieux de mes oreilles. A tous ces gens, Émile et Jeanne avaient expliqué que non, il ne fallait pas appeler la polisse. J'avais appris à garder profil bas, eux à convaincre que je n'étais pas dangereuse, bien que j'aie failli assommer une paire de ces indésirables.

Deux ans avaient passé à répéter que je m'appelais Élise, et que j'appartenais à cette famille. Mais j'avais toujours l'impression que le premier venu pouvait anéantir notre tranquillité.

— Non, articulai-je à regret face à son statisme.

— Tu es adorable.

Avec le dynamisme d'une tortu, elle se tourna de nouveau vers le jardin, pour s'égosiller sur un Émile bienheureux. Je m'abstins d'intervenir, concentrée sur les présentoirs d'assiettes à fleurs, les guéridons à cadres-fotos, les vases plus remplis de poussière que de fausses plantes. Espacer des fauteuils ici demandait toute la concentration qui pouvait me rester.

— Ah, j'entends la voiture.

Voilà que Jeanne voulait avancer vers l'autre porte, la grande. Trempée, je finis par l'escorter entre les meubles. Dehors, le vent laissait entendre des crissements sur le gravier, le bourdon lourd qui annonçait les voiturs s'interrompait.

Tout était en place, sauf Émile. Je m'éclipsai dans les escaliers pour l'étage avant de trop réfléchir au fait qu'un individu allait dépasser le porche. Mais ma nuque se hérissa à la première voix dans l'entrée.

Il fallait garder le contrôle. Rester calme. Poings serrés, je m'interdis le moindre regard en arrière, et gravis les dernières marches deux à deux. J'enjambai les tas de poussière du palier, les pots de cirages entrouverts, les tapis froissés. La porte de la salle de bain se transforma en obstacle supplémentaire entre l'inconnu et moi.

Le loquet tinta tel un verdict.

A peine entrée, je collai le dos au battant. Dans cette petite pièce mal éclairée, emplie de moitié par une vasque, mes épaules se relâchèrent d'un pouce. Les voix traversaient toujours le plancher, étouffées. Le verre tintait, les fauteuils bougeaient. Un instinct voulait me jeter dans les escaliers, je serrai les dents pour en faire abstraction.

Un soupir nerveux dans le nez, je retirai le ticheurte transformé en torchon de terre et de poussière. Les odeurs d'humidité et de vieux papier peint prirent le relai, le temps que j'ouvre un pot-à-savon. Je dressai une oreille vers la conversation, les croks distraitement retirées de l'arrière des talons. Le type à la voix forte semblait avoir rapatrié Émile dans le salon.

L'Angevert | L'INTÉGRALEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant