Chapitre 20 - La plaine

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« Bien, récapitulons. »

La plaine était cramée par le soleil, gelée par le vent. Malgré ça, chaque brin d'herbe affichait un vert impeccable. Peut-être les murailles protégeaient-elles mieux qu'elles le paraissaient, à moins que la chaleur du sol ait créé ce miracle. J'avais déjà planté les orteils dans le sol, mélange de terre et de nuage. Sous le gazon, c'était une chaudière.

Autre chose : sauter, courir, respirer, tout était plus simple ici que sur Terremeda. La pression sur mes épaules avait dû s'envoler dans le firmament qui nous surplombait. Les courbatures me retenaient, mais quand elles disparaîtraient, peut-être me sentirais-je pousser des ailes. Au figuré.

Une main songeuse glissée derrière les omoplates, je poursuivis mon rapport mental.

Tour, muraille, tour, muraille, mon regard sauta d'un poste à un autre. Les remparts blancs s'observaient très bien à distance, liseré de créneaux sur l'horizon. Lors de ma balade, mes pas m'en avaient toujours éloignée. Je n'avais rien fait pour y remédier.

Et les bâtiments, ils étincelaient tous comme des étoiles blanches posées sur l'herbe. Sans même le remarquer, je m'étais habituée à leur hauteur démesurée. Longer un château immaculé ne m'étonnait pas plus que de sentir les bourrasques retourner ma queue de cheval.

A force de me promener, j'avais doucement réalisé. La moi d'avant avait connu tout ça ; l'herbe tiède, l'air frais, l'appel du ciel, les bâtisses à ne pas regarder en face. Je sentais que des souvenirs flirtaient partout avec cette impression d'inconnu. Cette herbe tendre, ce n'était pas qu'au printan autour de la maison que je l'avais vue. Ce château, ses tours, son petit dôme à l'avant... Encore à distance, je me faisais une idée trop précise des enjolivures des fenêtres. Ce n'était pas normal, à moins que, d'une façon ou d'une autre, j'y aie déjà mis les pieds.

Je n'avais pas eu le courage d'arpenter la plaine de l'autre côté du château. Il m'aurait sans doute fallu une demi-heure rien que pour contourner l'édifice. D'autres bâtiments s'y trouvaient, j'en avais l'intuition. Je m'étais promis d'y retourner plus tard.

Pour l'heure, même si je n'en avais pas envie, je retournais vers la grande caserne.

Quelle crâneuse, cette caserne. Face au château, elle bombait ses toits comme Galliem avait bombé le torse face au caporal. Elle étalait sa blancheur, ses portes, ses arabesques et ses losanges de pierre. Rien qui ne vaille le crépi de la maison d'Emile et Jeanne.

Une foule de soldats débordait de toutes les portes du rez-de-chaussée. Arquées, elles auraient presque été assez hautes pour que des personnes y entrent en volant, mais tout le monde s'évertuait à forcer le passage à pied. En ce qui me concernait, je ne m'étais même pas posé la question. Pas de plumes, pas de coupe-file. J'en venais presque à le regretter.

J'inspirai à faire craquer les sangles du plastron. Un pas de trop après les marches du parvis, et la foule me happa.

Les soldats se pressaient comme s'ils couraient après chaque seconde, pris dans une danse qui refusait les contre-sens. Personne sous le grand lustre torsadé, quelques têtes sur des mezzanines de bois, et des escadrons par dizaines sur les tapis du rez-de-chaussée. L'intérieur de la caserne n'était pas aussi chaotique qu'il le paraissait, bien qu'il y eût autant de monde que la veille.

Pas le temps pour un « pardon » ou un salut militaire, des ordres criés ne laissaient pas le loisir de réfléchir. Toutes les têtes s'agglutinaient, droites et fières, les insignes brillaient autour des cous, du bronze, du carmin, même de rares capes rouges trainait dans la foule. Les flots convergeaient pour partie vers des portants à longs bâtons, pour le reste vers une estrade de bois, où se trouvaient cinq préposés. Ils distribuaient des paniers avec la cadence d'une machine.

L'Angevert | L'INTÉGRALEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant