Chapitre 19

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Le retour à l'université, Stiles savait qu'il serait difficile. Les raisons à cela étaient multiples... Assez nombreuses. Outre sa forme toute relative liée à un sommeil aussi léger que perturbé par des cauchemars plus intenses les uns que les autres, c'était une réalisation claire qui lui serrait les entrailles.

Il ne pourrait rattraper les cours qu'il avait manqués seul. En outre, il lui faudrait demander à l'un de ses camarades de les lui passer. Et des camarades, Stiles n'en connaissait pas cinquante. A vrai dire, il n'avait jamais adressé la parole qu'à un seul... Dont il avait, par ailleurs, le numéro.

Mais Jackson était-il le plus à même de l'aider ? S'ils n'étaient pas exactement dans la même formation, ils avaient quelques cours en commun. Pour le reste... Stiles se débrouillerait – ce qui signifiait qu'il devrait prendre sur lui pour oser déranger l'étudiant qui lui paraîtrait le moins menaçant pour tenter d'avoir une chance de s'en sortir indemne – et avec ses cours manquants.

Néanmoins, Stiles n'avait aucune idée de la façon dont il devait s'y prendre. En fait, sortir de son lit puis de son appartement avaient été de réels efforts. C'était tel que l'hyperactif se sentait d'ores et déjà épuisé... Alors même qu'il n'était même pas encore arrivé à l'amphithéâtre où se déroulerait son premier cours de la journée. Il espéra donc que son esprit prendrait le pas sur son corps dont la seule envie était de se relâcher et de dormir... Encore, toujours. Mais Stiles était bien placé pour savoir que le sommeil avait son lot de mauvaises surprises.

La vérité, c'est qu'il était ressorti de ces derniers jours un peu plus fébrile que les précédents, pour la simple et bonne raison que son inconscient s'était amusé à le torturer alors qu'il avait cédé à son besoin irrépressible de repos. Les cauchemars s'étaient enchaînés les uns après les autres en prenant pour racine les souvenirs encore trop nombreux qui alourdissaient tout son être. Ceux-là mêmes qui étaient responsables de la façon dont il se protégeait partout et tout le temps. C'était bien à cause d'eux que Stiles se refusait quelque amitié que ce soit : il ne croyait plus en ce concept, qu'il ne pensait réservé qu'aux autres, ceux qui avaient grandi sans encombre, sans que le moindre de leurs gestes ou de leurs attitudes n'ait pu être l'objet d'une violence aux multiples facettes. A cause d'eux qu'il ne savait pas vraiment comment se comporter en société. A cause d'eux que le monde entier le terrifiait.

En arrivant à l'entrée du couloir dans lequel se trouvait l'amphithéâtre dans lequel il avait nombre de ses cours, Stiles effaça sa présence le plus efficacement possible. Il tirait avantage de son physique on ne peut plus banal et de ce visage qui n'avait rien de spécial. Grâce à cela, il se fondit dans la masse étudiante grouillante, gloussante, mouvante, avec la crainte perpétuelle d'être remarqué. Dans ce genre de moments, il prenait toujours de grandes précautions, se concentrait pour ne toucher et ne bousculer personne. Le principe premier qui guidait son existence n'était autre que la survie. Si Stiles n'était pas certain de terminer son année sans encombre, il était d'avis que penser au jour le jour était le plus raisonnable à faire et le moins risqué. Rien n'était plus dangereux que la projection dans l'avenir lorsque celui-ci s'avérait aussi incertain. C'était la porte ouverte à une chute bien plus dure que celle qu'il avait essuyée en survivant à Alvan.

Une fois qu'il eut pénétré à l'intérieur de l'amphithéâtre sans encombre, Stiles prit une des places les plus au fond, contre le mur de gauche, un côté généralement peu occupé dans ce cours-là. Bien sûr, la distance entre le tableau et lui était bien grande, à tel point que ses lunettes montraient leurs limites, mais... Il avait besoin de se sentir tranquille, ne serait-ce que pour suivre un peu plus facilement et... Préparer le message qu'il comptait envoyer à Jackson. Il était en effet évident que Stiles n'avait pas d'autre choix que de le contacter et que s'il pouvait éviter une confrontation directe, il le ferait. Même si son téléphone était loin d'être de la dernière génération, ça allait. Parfois, les messages mettaient un peu de temps à s'envoyer et son écran était fissuré, mais ce n'était pas bien méchant. En tout cas, il n'y avait là rien qui pourrait l'empêcher de contacter Jackson, pas même sa peur. Elle le freinerait comme elle freinait chacune de ses actions chaque jour qui passait, mais Stiles réussissait parfois à passer outre, en prenant sur lui pour ses cours. C'était seulement après qu'il se relâchait et se laissait aller à l'angoisse. Parfois, la crise arrivait avant, incontrôlable... Et Stiles n'était pas à l'abri, pas après la dernière nuit qu'il avait passée. Il était dur pour lui de passer outre, d'oublier ces souvenirs qu'il faisait au mieux pour mettre de côté... Et qui trouvaient toujours le moyen de se rappeler à lui d'une manière ou d'une autre. Si l'on ajoutait à cela le fait que sa liberté ne datait que de quelques mois... Il était aisé d'imaginer le combat qu'il devait mener contre une mémoire fraîche et riche en évènements traumatiques. Pour l'instant, il ne se gérait pas trop mal, du moins essayait-il de s'en persuader en permanence.

Stiles perçut du mouvement à sa droite mais s'efforça d'y prêter le moins d'attention possible. Le cours venait de commencer et même s'il peinait à le comprendre, il tenait à ne pas en perdre une miette. Mais un stress dont il avait l'habitude ne cessait de lui nouer le ventre, de réquisitionner une partie de son énergie si précieuse. Ainsi gaspillée, elle l'obligeait à fournir davantage d'efforts, ce qui était d'autant plus difficile qu'il avait légèrement abusé de son traitement contre l'hyperactivité avant de prendre son courage à deux mains pour venir affronter l'enfer que représentait l'université... Cet endroit qui avait également le pouvoir de lui fournir une forme d'avenir. Avec son passif et sa formation scolaire des plus rudimentaires dans cet établissement qui n'avait d'école que le nom... Disons que s'il en ressortait avec un diplôme classique, la réalité était qu'il n'avait pas énormément d'acquis et aucune pratique suffisante dans aucun domaine manuel. En outre, la faculté était pour l'instant sa seule option... A laquelle il n'était même pas certain de survivre. Seuls le temps et ses futurs examens le lui diraient.

Il lui paraissait impossible de les réussir. S'il peinait à suivre de simples cours et que les comprendre représentait un véritable défi, comment se débrouillerait-il devant une feuille d'examen ? Il était déjà loin, le temps où il pensait profiter de sa liberté et où il s'accordait le droit de se laisser aller à sa passion d'enfance. Si l'envie soudaine de quitter cet amphithéâtre pour passer ses journées à jouer du piano dans l'autre bar le prit, Stiles s'enfonça davantage dans sa chaise, comme pour se forcer à ne pas se lever. La musique était un domaine qui l'avait toujours attiré... Mais il ne vivait pas dans un monde où sa pratique était rentable. Pas pour les gens comme lui, en tout cas. L'université, chemin jugé classique, était ce qu'il entrevoyait comme la seule continuité possible, bien qu'il n'ait pas réellement étudié en tant que tel à Alvan.

Stiles poussa un discret soupir alors que, déjà, le cours lui semblait incompréhensible. Il s'expliqua cette impression par ses lacunes, mais aussi ses absences : il n'y avait rien d'illogique à ce qu'il ne soit pas au même niveau que les autres.

Son attention fut cependant rapidement détournée par un papier que l'on glissa devant lui, depuis sa droite. S'il fixa d'abord la petite feuille d'un air perplexe, il finit tourner la tête vers la direction d'où elle venait... Et croisa les yeux d'aigles de Jackson, qui s'était installé à côté de lui. Aussitôt, sa respiration se coupa et une certaine raideur s'empara de lui. Mais Stiles eut assez de jugeote et de contrôle pour ne pas laisser son angoisse soudaine le submerger en plein cours et le faire céder à une crise qui ne pouvait lui apporter que des ennuis... Ce qui n'empêcha pas son cœur de battre à toute vitesse et sa tête, de craindre jusqu'à la plus petite action de Jackson... Qui lui indiqua simplement, d'un geste, de regarder le mot qu'il lui avait glissé sous le nez.

Les Doigts d'OrOù les histoires vivent. Découvrez maintenant