Chapitre 22

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Le problème avec Stiles, c'est qu'il avait tendance à réfléchir beaucoup. Sans doute un peu trop. Cette tendance pouvait régulièrement s'avérer particulièrement embêtante et c'était d'autant plus vrai par rapport à la situation dans laquelle il se trouvait. A devoir agir aussi vite que possible tout en faisant les bons choix. Sauf qu'à survoler les cours de Jackson des yeux, il les trouvait tous très... Très bien rédigés. Certaines explications, même s'il ne les comprenait pas toutes, lui apparaissaient un peu plus claires qu'il ne le pensait, à tel point qu'il s'attarda dessus. La seule chose qu'il réussit à faire de manière efficace fut de mettre de côté les quelques cours qu'il n'avait pas en commun avec lui. Le reste, c'était une autre paire de manche.

Il identifia, parmi le tas de cours, certains qui correspondaient à ce qu'il avait déjà mais qui lui apparaissaient... Comme tout ce qu'il voyait depuis le départ : clair et bien rédigé. Alors, Stiles douta. Si, techniquement, il ne comprenait pas grand-chose des siens... Ceux-ci pourraient peut-être l'aider. Enfin, l'hyperactif ne se leurrait pas. Se pensant bête et se sachant très en retard concernant bon nombre de notions, il se doutait bien qu'étudier ces cours-là ne produirait aucun miracle. Mais peut-être que cela débloquerait quelque chose, comme une sorte de clé qui avait des chances de l'aider à comprendre des bouts de leçons. En allant un peu plus loin, peut-être qu'en additionnant ses bouts... Il pourrait s'en sortir ? Stiles étouffa rapidement cet espoir stupide. Il n'y avait aucune chance que cela arrive et surtout, abuser des cours de Jackson comme il risquait de le faire ne lui apporterait sans doute que des ennuis. La façon dont il se rappela à l'ordre mentalement était brutale, mais selon lui, vitale.

Ainsi, il s'affaira à trier le plus efficacement possible en ne mettant de côté que ce qu'il considérait comme le plus important. Son but ? Prendre le moins de feuilles possibles. De cette façon, Jackson ne lui en tiendrait peut-être pas rigueur même si cela ne devrait pas être le cas de base puisqu'il lui avait dit de se servir... S'agissait-il d'un piège ? Si Stiles fit au mieux pour se convaincre que non, l'idée ne lui sortait néanmoins pas de la tête. Elle y restait profondément ancrée. Il avait l'habitude des manipulations de ce genre, mais il n'en avait connu que les plus brutes. A Alvan, on ne faisait pas dans le subtil. Tout était de l'ordre de l'explosif.

Il était d'autant plus difficile pour Stiles de se concentrer pour réaliser sa tâche qu'il n'était pas seul. Et savoir que cet homme, Derek, se trouvait dans la même pièce que lui... Ne l'aidait pas à faire redescendre la pression – bien au contraire. Pourquoi restait-il, au juste... ?

- Qu'est-ce qui t'angoisse autant ?

La voix de son hôte le sortit si brusquement de ses réflexions qu'il ne put retenir le sursaut qui le prit. Un frisson le parcourut tout aussi violemment... Ce qui eut pour effet de le figer quelques secondes. C'est seulement après un instant qu'il osa relever la tête pour regarder Derek. Lorsqu'il croisa ses yeux, il baissa instinctivement le regard. Était-il obligé de répondre ? Puis d'ailleurs... Qu'était-il censé dire, au juste ?

Qu'est-ce que tu veux entendre ? Aimerait-il avoir le cran de demander à l'autre homme. Il n'avait besoin de rien... Sauf d'éviter de souffrir.

Autant dire que s'il subissait ainsi chaque interaction avec un autre être humain, les prochains jours risquaient d'être compliqués. Stiles ne pensait pas en mois, ni en années. Enfin au début, il le faisait mais plus il y réfléchissait, moins ça avait de sens.

Il n'était pas sûr de survivre à ce monde qui devait être le sien.

Léger soupir de la part de son hôte.

- Je sais que tu as peur, ça se voit autant que ça se sent.

Stiles ne vit pas le double sens que pouvait avoir ce second verbe, mais la révélation, aussi simple soit-elle, le tendit.

- Tu peux te détendre, personne ici ne va te manger ni te faire le moindre mal, lui dit-il d'une voix posée.

Le pire, c'est que ce n'était pas la première fois qu'on lui disait ce genre de choses... Mais le pauvre jeune homme qu'il était avait du mal à intégrer l'information. Devait-il s'y fier ? Puis pourquoi ? Comment ?

- C'est parce que je t'ai reconnu ? S'enquit son hôte, un sourcil légèrement relevé.

Derek faisait partie de ces gens à qui Stiles avait du mal à se fier, ou du moins à en considérer l'idée. Certains de ses mots avaient beau être aussi rassurants que sa voix, son visage lui renvoyait un air atrocement neutre, indifférent, presque froid. Ce genre d'expression, ça ne lui plaisait pas. Parce que Stiles ne savait pas les interpréter : elles pouvaient rester ainsi, mais également fondre, laisser apparaître haine ou bien perfidie, colère ou bien sadisme.

La question de Derek eut au moins le mérite de détourner un peu son attention de cette observation, laquelle avait pris un peu trop de place dans ses réflexions. Là aussi il devait répondre, n'est-ce pas ?

- Non enfin... Je ne sais pas.

Ce qui lui était venu ? L'honnêteté. Il n'en avait foutrement aucune idée. Bien sûr, elle lui avait déjà traversé l'esprit, mais... Il n'y avait pas que ça – ce serait trop simple. Sa plus grosse peur actuellement, c'était de froisser Jackson ou Derek. De prendre trop de temps. De ne pas se montrer assez raisonnable par rapport aux cours qu'on lui offrait hypothétiquement de rattraper.

Autant dire qu'il avait tout simplement oublié, pour le coup, qu'il avait aperçu cet homme dans le bar pendant qu'il jouait et... Qu'ils s'étaient mutuellement reconnus ici, quelques jours plus tard.

Encore une fois, il ne sut comment interpréter le regard de son hôte, lequel avait assurément changé – sans qu'il puisse dire en quoi.

- Tu joues depuis longtemps ? Du piano, précisa Derek, voyant que cette nouvelle question rendait Stiles confus.

Et il l'était. Pourquoi si soudainement changer de sujet ? Quoiqu'il avait un vague lien avec la « discussion » qu'ils avaient, mais... Pas tant que ça, pour l'hyperactif. En fait, il ne voyait pas où son hôte voulait en venir. La pression de ses doigts sur les pages de cours de Jackson diminua un peu. Son angoisse, loin de disparaître, recula néanmoins légèrement. C'était ce que cherchait Derek : le pousser à penser, à réfléchir à autre chose. Détourner son esprit autant que faire se peut, de l'attention qu'il accordait à ce qui le rendait si mal. C'était bien peu, certes, mais suffisant pour qu'il commence à comprendre quelques petites choses.

- Depuis toujours, articula l'étudiant. Mais je... J'ai dû faire une pause de plusieurs années. Quand tu m'as vu au bar, c'était la première fois que je rejouais depuis longtemps.

Stiles aurait pu se féliciter de son exploit d'avoir aligné autant de mots sans trop bégayer s'il n'était pas, malgré lui, toujours très préoccupé. Cette discussion n'avait pas de sens. La manière dont il se laissait, selon lui, happer dans le piège que Derek semblait lui tendre, non plus. Enfin, Stiles voyait les choses de cette manière, laquelle lui apparaissait comme une vérité... En réalité biaisée par la peur de tout, celle qui ne le quittait jamais vraiment.

Puis d'une certaine manière, Stiles se justifiait. Il aurait pu s'arrêter au fait qu'il avait toujours joué, tout comme il aurait pu réfléchir au fait que Derek ne lui avait pas parlé de son niveau, de ses potentielles fausses notes, le manque d'agilité de son doigté et que tout ceci n'avait donc aucune importance. Mais l'imperfection, c'était quelque chose qui terrifiait Stiles depuis Alvan. Il savait qu'on pouvait la tolérer... Si on l'avouait et l'expliquait correctement. L'aveu permettait parfois de pardonner partiellement l'erreur. Stiles se servait, comme toujours, de tous les stratagèmes qu'il connaissait pour éviter la violence, la douleur des coups ou des mots. Bien tournés, ces derniers pouvaient avoir un pouvoir destructeur et achever de détruire le peu de santé mentale qu'il le maintenait debout.

- Tu n'as pas besoin de te justifier, c'était très bien. J'ai passé un très bon moment à t'écouter et je voulais que tu le saches.

Derek n'avait pas souri en disant cela mais sa voix avait baissé d'un cran et ses yeux, cette fois, avait semblé transmettre à Stiles une espèce de chaleur qui se voulait rassurante. Dans un sens, elle l'était vraiment.

Stiles avait juste du mal à accepter de la voir.

Les Doigts d'OrOù les histoires vivent. Découvrez maintenant