Chapitre 24

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Stiles aimerait beaucoup être aveugle, ou bien ne tout simplement pas posséder de téléphone. Le sien était vieillissant, en mauvais état, cassé à plusieurs endroits... Mais conservait pour l'instant encore la capacité d'envoyer et de recevoir des messages. C'était là tout ce qu'il désirait, lorsqu'il était sorti d'Alvan, qu'il avait recommencé à vivre en dehors de cette prison... Et le voilà qui regrettait déjà à cause de cette peur viscérale qui, à ses yeux, resterait à jamais ancrée en lui. Elle possédait ce qu'il n'aurait peut-être jamais, à savoir un avenir. Elle lui survivrait.

Stiles avait d'ailleurs longtemps espéré qu'on lui accorde un semblant de vie normale. Que des gens s'intéressent à lui, qu'on lui parle, qu'il... Tente de redevenir sociable, de s'immiscer à nouveau dans une existence à laquelle il n'aurait pas dû être si difficile de s'accommoder, et maintenant... Difficile pour lui de savoir ce qu'il désirait vraiment. Il pensait vouloir des choses qu'il réalisait, pour certaines, ne pas pouvoir supporter : et le voilà qui butait contre ces épreuves-là, à réprimer péniblement la panique qui le prenait.

Et le pire, c'est qu'il obéit à la demande qui lui avait été faite, tout comme il n'opposa pas le moindre refus. Il... S'exécutait, purement et simplement. Jackson lui demandait son adresse ? Il la lui donnait. L'étudiant lui disait qu'il passerait dans la journée ? Stiles lui répondait « ok ». Et il n'avait vu aucun autre moyen pour lui de se sauver, de... Limiter les risques qu'il lui arrive quoi que ce soit. Sauf qu'en ayant obéi à la demande somme toute cordiale du blond qui se faisait malgré lui de plus en plus présent dans sa vie, Stiles se sentait stupide. Il avait l'impression de se jeter tout seul dans la gueule du loup car si Jackson ne lui avait pour l'instant rien fait... Il l'imaginait très facilement retourner sa veste. Était-ce de sa faute à lui si la mine de l'autre étudiant apparaissait régulièrement – pour ne pas dire en permanence – fermée ? S'il avait des traits durs ? Le regard froid ? S'il était en lui-même une caricature du jeune homme populaire, puissant, violent ? Stiles avait l'habitude des gens comme lui, ou qui avaient du moins une apparence semblable. Ils étaient très nombreux à Alvan. Trop pour que l'hyperactif n'y voie pas une sorte de corrélation. Ainsi, les associations qu'il faisait étaient nombreuses, simplistes... Mais suffisaient à lui donner l'impression que son maigre savoir pouvait l'aider à contrôler la situation, à se protéger.

Sauf qu'il devait désormais se confronter à une problématique... Qu'il avait participé à créer malgré lui. Car Jackson avait son adresse. Il allait venir dans peu de temps et le moment venu, Stiles ne pourrait assurément pas faire semblant d'être absent. Il envisagea rapidement deux possibilités. Ou Jackson se contenterait de rester à l'entrée pour lui donner ses cours, ou il entrerait réellement, demanderait à ce qu'il lui serve quelque chose et... La suite pouvait être un tel ensemble de possibilités que Stiles préférait ne pas l'imaginer – il se donnerait mal au crâne tout seul. Il préféra alors se concentrer sur des choses simples.

C'est ainsi qu'il prit la décision de tout ranger, tout nettoyer, maintenant, tout de suite. De rendre son petit chez lui le plus propre possible et de faire en sorte que rien ne dépasse. Il s'y affaira non pas avec passion, mais avec un empressement certain né de l'affolement instinctif qui l'avait pris dès la réception de ces messages. Tout était déjà nickel, parfaitement rangé, mais ce n'était pas assez et bien que Stiles ne possède pas grand-chose de personnel, il mit un soin tout particulier à effacer les moindres traces de sa personnalité que l'on pouvait – bien péniblement – entrevoir dans sa maigre décoration. Il s'invisibilisait jusque dans son appartement, son antre, son refuge le plus intime. Il effaçait celui qu'il était pour éviter de susciter la moindre haine... Parce qu'il restait persuadé que c'était ce qu'il finissait par susciter chez autrui. Voilà ce que lui disaient ses souvenirs.

A Alvan avaient régulièrement lieu des espèces de réunions... Des cercles dans lequel il fallait nommer une personne et choisir ce que l'on ressentait pour elle – entre la colère et la haine. On devait le hurler, le répéter face à l'individu concerné. Le lui cracher à la gueule un nombre de fois incalculable.

Concernant Stiles, c'était souvent la haine qui ressortait. On n'était jamais en colère contre lui, on le haïssait toujours, ce qui était très différent. Il n'avait jamais compris pourquoi, mais il l'avait bien intégré. Alors il partait du principe que pour éviter de susciter ce sentiment chez autrui, il valait mieux faire disparaître tout cela, en espérant que cela fonctionnerait.

Il se donna donc à fond et n'hésita pas à repasser à chaque endroit qu'il avait déjà fait. Il frotta de façon maladive, mit de côté le moindre objet non utile. Il y avait une autre raison à son côté maniaque. Puisque pour une raison obscure, Jackson et les gens au loft de Derek connaissaient son père et Stiles n'avait pas la moindre envie qu'ils lui rapportent quoi que ce soit de négatif à son sujet. Il aurait bien du mal à affronter la déception de son paternel, et bien d'autres choses qu'il espérait grandement ne pas voir apparaître dans ses yeux.

Stiles ne s'autorisa à se poser que lorsqu'il considéra le résultat acceptable... Et ce fut exactement à ce moment-là que l'on sonna à sa porte. Le cœur battant, il ajusta ses lunettes et tenta de dompter un minimum ses cheveux – une cause perdue. Quelques secondes plus tard, il posait sa main sur la poignée et de l'autre, tournait la clé dans la serrure en priant toutes les entités possibles et imaginables qu'aucun mal ne lui soit fait ce jour, que ses efforts soient récompensés – il en avait besoin. Viendrait-il un jour où il cesserait de craindre pour son intégrité physique ?

Stiles ouvrit la porte avec une lenteur tout sauf calculée. Il avait simplement peur de regarder Jackson d'une façon que celui-ci pourrait mal interpréter – prendre pour une provocation quelconque. Puis se montrer les yeux baissés avait tendance à rassurer ses différents vis-à-vis quant à leur supériorité face à lui, qui se positionnait comme n'étant rien, ou en tout cas personne d'important. A Alvan, il n'avait trouvé que ça pour se protéger... Jusqu'à ce que cela se transforme doucement en une habitude doublée d'une seconde peau, qu'il gardait enfilée même lorsqu'il se trouvait en présence de son père. Seul, il ne l'enlevait d'ailleurs pas toujours, agissant souvent comme si n'importe qui pouvait le surprendre, de jour comme de nuit.

- Salut.

Mais cette voix-là cassa brièvement ce conditionnement qui l'aidait à vivre, à se faire une petite place dans cette société à laquelle il ne connaissait plus grand-chose. Pire, elle le poussa à relever les yeux, laisser sa surprise transparaître sur son visage pâlissant. Elle fit faire une embardée à son cœur, quelque chose de si violent que sa vision se flouta légèrement. L'angoisse qui ne le quittait jamais prit une telle ampleur qu'il sut que son contrôle tout relatif sur sa propre personne serait encore plus difficile à maintenir que d'ordinaire.

Parce que comme Jackson, Derek non plus n'avait pas l'air commode – et ce fut encore pire lorsqu'il essaya de lui sourire. Stiles vit une menace dans ce rictus maladroit, une promesse aussi sombre que silencieuse. Alors, il baissa aussitôt les yeux, ce qu'il aurait dû faire depuis le départ et se recula légèrement en bredouillant un salut bien faible, croisant les doigts pour que son vis-à-vis n'interprète pas mal son regard. Il ne se demanda pas ce que Derek faisait là, ni où se trouvait Jackson. A vrai dire, il ne voulait même pas le savoir. Quant au fait qu'il connaissait son adresse, il avait déjà la réponse... Ce qui confirmait l'idée que, pour lui, quelque chose de mauvais allait se passer. Il cacha dans son dos sa main gauche qui tremblait déjà.

- Tu veux boire quelque chose ? S'entendit-il lui demander.

C'était là se jeter dans la gueule du loup, mais Stiles essayait... D'agir aussi normalement que possible – et de ne pas laisser le moindre voisin être témoin de quelque chose dont il pourrait avoir honte. Parce que Stiles ne se vantait jamais de sa faiblesse, bien au contraire. Il la maudissait tout en gardant en tête qu'elle était partiellement ce qui lui avait sauvé la vie à plusieurs reprises.

- Pourquoi pas ?

Secrètement, Stiles espérait qu'il refuse, mais il recula pour le laisser entrer et nota à peine la présence de cahiers et porte-vues sous son bras droit. Des cours. Des cours auxquels l'hyperactif n'arrivait pas à accorder la moindre importance à cet instant tant il était occupé à se battre contre ses propres émotions pour ne pas les laisser le submerger. S'évanouir comme il l'avait fait au loft quelques jours plus tôt serait une chose bien fâcheuse...

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⏰ Dernière mise à jour : Sep 03 ⏰

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