Camille dit toujours que l'avant dernière année du lycée est la plus importante et la plus dure. D'après elle, tout le reste en découle. J'ai donc décidé de profiter de la semaine avant la rentrée pour me gaver de lectures de pure détente. Assise sous le porche, je dévore un roman d'espionnage à l'eau de rose que j'ai acheté pour soixante-quinze cents à la foire aux livres.
Ça commence tout juste à devenir intéressant – Cressida doit séduire Nigel pour hacker un code – lorsque Sacha sort de chez lui pour prendre le courrier. Il me voit et lève la main, comme s'il avait seulement envie de me saluer, mais finalement, il vient.
— Sympa, ta salopette.
Elle est bleu délavé, avec des tournesols, et elle s'attache derrière la nuque. Je l'ai eue en solde à soixante quinze pour cent de réduction. Et ce n'est pas une salopette.
— C'est une combinaison, je l'informe en me replongeant dans mon livre.
Je fais mon possible pour cacher discrètement la couverture. Je n'ai pas envie qu'il me vanne sur mes goûts en matière de littérature. Cet après-midi, je veux me détendre. Je sens qu'il me regarde, bras croisés, comme s'il attendait quelque chose. Je lève les yeux.
— Quoi ?
— Tu veux aller voir un film au Bess, ce soir ? Ils passent un Pixar. On pourrait y aller avec Luna.
— Pourquoi pas ? Envoie-moi un SMS quand tu pars.
Sur ces mots, je tourne la page. Nigel déboutonne le chemisier de Cressida. Elle se demande quand le somnifère qu'elle a mis dans son verre de Merlot fera effet, tout en espérant qu'il ne s'endormira pas tout de suite, parce qu'il s'avère que Nigel embrasse comme un dieu. Sacha se penche pour mieux voir. Je lui donne une tape sur la main, mais il arrive quand même à lire une phrase.
— « Le cœur de Cressida s'affola lorsque Nigel fit glisser sa main sur sa cuisse. » (Sacha éclate de rire.) Mais qu'est-ce que tu lis ?
J'ai les joues en feu.
— Tais-toi.
Sacha s'éloigne en pouffant.
— Je te laisse avec Cressida et Noel, alors.
— Pour info, c'est Nigel !
Luna est aux anges. Elle adore passer la soirée avec Sacha. Quand il demande à la serveuse de rajouter trois couches de beurre dans notre seau à pop-corn (au fond, au milieu et en haut), on hoche toutes les deux la tête en signe d'approbation. Luna s'assoit entre nous. Elle rit tellement pendant le film qu'elle lance ses jambes en l'air, et elle est si légère que le siège n'arrête pas de se relever. Sacha me décoche un sourire amusé.
Chaque fois qu'on allait au cinéma tous les trois, Camille se mettait au milieu pour nous chuchoter tour à tour à l'oreille. Elle ne voulait pas que je me sente exclue parce que je n'avais pas de copain. Elle était tellement attentionnée que je me faisais du souci, au début. J'avais peur qu'elle ait senti mes sentiments pour Sacha. Mais le déni, ce n'est pas son genre, elle n'aurait jamais fait comme si de rien n'était. C'est juste une super grande sœur. La meilleure qui soit.
Cela dit, j'avais parfois l'impression d'être la cinquième roue du carrosse. Sacha avait beau être mon ami, lorsqu'il posait son bras sur les épaules de Camille dans la file d'attente, ou quand ils se parlaient à mi-voix dans la voiture, je me sentais comme une gamine sur la banquette arrière, incapable de comprendre les adultes... et j'avais le sentiment d'être invisible. Moi aussi, je voulais avoir un copain à qui chuchoter à l'oreille !Ça me fait bizarre d'être à l'avant, maintenant. La vue n'est pas vraiment différente, tout est parfaitement normal. C'est agréable.
Plus tard dans la soirée, tandis que je me vernis les ongles des pieds avec un dégradé de roses, Chloé me passe un coup de fil.
— J'ai un scoop !
Il y a tellement de bruit derrière elle qu'elle est obligée de hurler.
— Quoi ? Je t'entends à peine !
J'attaque mon petit orteil avec une nuance de pêche.
— Bouge pas ! (Chloé se déplace.) Tu m'entends, maintenant ?
— Oui, c'est beaucoup mieux.
— Devine qui vient de rompre !
Je passe à un vernis rose sixties.
— Qui ça ?
— Gen et Djilsi ! Elle l'a largué comme une vieille chaussette.
J'écarquille les yeux.
— Waouh ! Pourquoi ?
— Apparemment, elle a rencontré un mec de la fac à son job d'été. Elle était hôtesse d'accueil. Je suis sûre qu'elle a allégrement trompé Djilsi.(J'entends un type appeler Chloé.) Je te laisse. C'est à mon tour de jouer.
Chloé raccroche sans dire « au revoir ». Normal. En fait, j'ai rencontré Chloé grâce à Genevieve. Elles sont cousines du côté de leurs mères. Quand on était petites, Chloé venait parfois jouer avec Genevieve, mais elles ne s'entendaient déjà pas très bien. Elles se disputaient constamment pour que leur Barbie sorte avec Ken. On n'en avait qu'un. Techniquement, c'était le mien – enfin, celui de Camille – mais je ne me suis jamais battue pour l'avoir. Au lycée, peu de gens sont au courant qu'elles sont cousines. Elles ne se ressemblent vraiment pas : Gen est menue, avec des cheveux blonds lumineux, aussi clairs que de la margarine. Chloé est blonde également, mais dans le genre peroxydé, et elle a des épaules de nageuse. Mais elles ont quand même des points communs.
En arrivant au lycée, Chloé s'est complètement lâchée. Elle allait à toutes les soirées, elle se soûlait, elle traînait avec des garçons plus âgés. Un jour, un type de seize ans – un membre de l'équipe de crosse – s'est mis à crier sur tous les toits qu'ils avaient couché ensemble dans les vestiaires des mecs. C'était complètement faux. Genevieve a demandé à Sidjil de forcer le coupable à faire un démenti public. J'ai trouvé ça sympa de sa part, mais Chloé est persuadée que Gen voulait seulement éviter d'être associée à une traînée. À partir de ce moment-là, Chloé a arrêté de fréquenter notre groupe d'amis. Elle s'est mise à vivre sa vie avec les élèves d'une autre école.
Mais cette réputation de fille facile continue de lui coller à la peau. Elle prétend s'en contreficher, mais je sais que ça la travaille.
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A tous les garçons que j'ai aimés ( reprise )
Fanfiction"Chaque fois que je prend la plume, je me laisse complètement allez, comme si personne n'aillais jamais me lire. C'est le cas, d'ailleurs. Je couche dans ses lettres mes pensées les plus secrètes, mes observations les plus fines, tout ce que j'ai ga...