A tous les garçons que j'ai aimés ( reprise )

Chapitre 3

L'été touche à sa fin et nous profitons des derniers jours avec Camille. Finalement, c'est bien qu'elle ait rompu avec Sacha : on passe plus de temps entre sœurs. Je suis sûre qu'elle y a pensé, ça devait faire partie du plan. 

On s'apprête à quitter le quartier en voiture lorsqu'on voit Sacha courir. Il s'est inscrit au club d'athlétisme, l'an dernier. Depuis, il passe son temps à faire du jogging. Luna braille son nom, mais les fenêtres sont fermées. Et de toute façon, il feint de ne pas nous voir. 

— Fais demi-tour, demande-t-elle avec empressement. Il veut peut-être venir avec nous. 

— C'est une journée 100 % filles Silva, lui dis-je. 

On passe le reste de la matinée au centre commercial pour faire des achats de dernière minute : céréales au miel, déodorant, élastiques pour les cheveux...On autorise Luna à pousser le caddie. Elle prend son élan et grimpe dessus, comme si elle conduisait un char. Camille la laisse faire deux ou trois fois puis lui demande d'arrêter avant que les autres clients ne s'énervent.

Ensuite, on rentre à la maison, on prépare une salade de poulet au raisin pour le déjeuner et il est bientôt l'heure de partir pour la compétition de natation de Luna. On prépare un casse-croûte pour le soir – des sandwichs jambon fromage et une salade de fruits – et on prend l'ordinateur portable de Camille pour regarder des films, car les compétitions de natation peuvent durer très longtemps. On confectionne aussi une pancarte, sur laquelle on écrit « Allez, Luna ! » Je dessine un chien dessus. 

Finalement, Papa rate toute la rencontre : il doit aider un bébé à venir au monde. Dans le genre « excuses », on fait difficilement mieux. (C'est une fille. Ses parents l'ont appelée Patricia Rose, du nom de ses deux grands-mères. Papa demande toujours les prénoms, car je lui pose systématiquement la question quand il rentre d'un accouchement.) 

Luna est tellement contente d'avoir décroché deux médailles d'or et une d'argent qu'elle ne pense à Sacha qu'une fois dans la voiture. Elle est installée sur la banquette arrière, une serviette sur la tête façon turban, ses trois médailles accrochées comme des boucles d'oreilles. 

D'un seul coup, elle se penche vers nous. 

— Hé ! Pourquoi Sacha n'est pas venu à la compétition ? 

Je vois Camille hésiter, alors je décide de répondre à sa place. Mentir est l'un des seuls domaines dans lesquels je surpasse ma sœur. 

— Il devait bosser à la librairie, ce soir. Mais il voulait vraiment venir. 

Camille tend la main au-dessus de la boîte de vitesses et serre la mienne avec gratitude. 

Luna fait la moue. 

— C'était la dernière de la saison. Il avait promis de venir me voir nager. 

— Ce n'était pas prévu. Et il ne pouvait pas changer ses horaires : un de ses collègues a eu des soucis. 

Luna hoche la tête d'un air maussade. Elle a beau être jeune, elle comprend le principe du remplacement de dernière minute. 

— Et si on allait chercher des glaces ? lance soudain Camille. 

Luna s'illumine. Elle a déjà oublié Sacha et ses changements d'horaires. 

— Ouais ! Je veux un cornet biscuité ! Je peux prendre deux boules ?Avec des éclats de menthe et des miettes de cacahuète dessus ! Et double ration de coulis de caramel. Non, attends... 

Je me retourne vers elle. 

— Tu ne finiras jamais deux boules dans un cornet, je lui fais remarquer. Dans un pot, à la rigueur, mais pas dans un cornet.

 — Si. Ce soir, je les finirai. Je meurs de faim. 

J'insiste en pointant sur elle un doigt menaçant. 

— O.K., mais tu as intérêt à tout manger. 

Elle lève les yeux au ciel en rigolant. Pour ma part, je prendrai comme d'habitude : une boule de chocolat croquant à la cerise dans un cornet au sucre. 

Camille se gare dans la file de voitures et on attend notre tour. 

— Je parie qu'ils n'ont pas de glaces comme cela en Écosse. 

— Probablement pas. 

— C'est ton dernier avant Thanksgiving. 

— Avant Noël, rectifie-t-elle sans me regarder. Ça ne vaut pas le coup de rentrer pour Thanksgiving, tu te rappelles ? 

— Ça sera nul sans toi, intervient Luna en faisant la moue. 

Je m'abstiens de commentaire. On n'a jamais passé Thanksgiving sans Camille. C'est toujours elle qui prépare la dinde, les brocolis et les oignons à la crème. Moi, je m'occupe des tartes(potiron et noix de pécan) et de la purée. Luna goûte les plats et met la table. Je ne sais pas comment faire cuire une dinde. Et nos deux grands-mères seront là. Et Camille est la préférée de Nana, la mère de papa. Elle dit que Luna l'épuise et que je suis trop rêveuse. 

D'un seul coup, je panique tellement que j'ai du mal à respirer. Je me contrefiche de ma boule chocolat cerise. Je ne peux pas imaginer Thanksgiving sans Camille. Je n'arrive même pas à me projeter lundi prochain. La plupart des sœurs se tapent sur les nerfs, mais ce n'est pas notre cas. Camille et moi sommes très proches. Que deviendront les filles Silva sans elle ?