Chapitre 9

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Finalement, papa ne s'est pas énervé. Je lui ai fait mon petit laïus « bonne nouvelle / mauvaise nouvelle » et il s'est contenté de soupirer avant de me dire : « L'important, c'est que tu n'aies rien. » 

La voiture a besoin d'une pièce de rechange en provenance de l'Indiana ou de l'Idaho. En attendant, je devrai partager la voiture de papa, prendre le bus pour aller au lycée ou demander à Sacha de m'y conduire. C'est ce que j'avais prévu de faire. 

Camille nous appelle plus tard dans la soirée, pendant que je regarde la télé avec Luna. Je hurle à papa de rappliquer. On s'assoit tous les trois dans le canapé et on se passe le téléphone pour lui parler à tour de rôle. 

Camille ! Devine ce qui s'est passé aujourd'hui ! braille Luna. 

Je lui lance un regard noir, je secoue frénétiquement la tête et je lui dis : « Ne parle pas de la voiture » en bougeant seulement les lèvres. 

Nina a eu... (Cruelle, Luna marque une petite pause.) ...une dispute avec papa. Ouais ! Elle a été méchante avec moi et papa lui a dit d'être plus gentille et ils se sont disputés. 

Je lui arrache le combiné des mains.

On ne s'est pas disputés, Camcam. Luna fait juste sa peste.

Qu'est-ce que vous avez mangé ? demande Camille. Vous avez fait le poulet que j'ai décongelé hier ?

Sa voix semble si lointaine. J'augmente le volume.

Oui, mais ne parlons pas de ça. Tu t'es installée ? Comment est ta chambre ? Elle est grande ? Et ta coloc ?

C'est une fille très sympa. Elle vient de Londres et elle a un accent très british. Elle s'appelle Penelope St. George-Dixon.

Eh ben ! Plus british tu meurs ! Et ta chambre ?

C'est un peu la même que celle qu'on a visitée à l'Université de Virginie. En moins neuf.

Il est quelle heure, là-bas ?

Presque minuit. On a cinq heures d'avance, tu te souviens ?

« On a cinq heures d'avance » ? Elle se considère déjà chez elle en Écosse. Après une journée sur place, à peine.

Tu nous manques déjà, lui dis-je.

Vous me manquez aussi.

Après manger, j'envoie un SMS à Chloé pour lui demander de passer, mais elle ne répond pas. J'imagine qu'elle traîne avec un de ses potes. Pas de problème. Je vais pouvoir continuer le scrapbook de Camille.

Mon plan, c'était de le finir avant son départ, mais Rome ne s'est pas construite en un jour, tous les scrapbookers vous le diront. Parfois, on passe une année entière, voire plus, sur le même projet.

Je mets de la musique et j'étale mes fournitures devant moi : ma perforatrice en forme de cœur, des tonnes de papiers différents, des images découpées dans des magazines, mon pistolet à colle, mon rouleau de scotch, des rubans adhésifs de toutes les couleurs... Des souvenirs comme le ticket de la comédie musicale Wicked, qu'on est allées voir ensemble à New York, des additions, des photos. Des rubans, des boutons, des autocollants, des porte-bonheur. Un bon scrapbook a de la consistance. Il est épais et ne se ferme jamais complètement.

Je travaille sur la page « Sacha et Camille ». Elle peut dire ce qu'elle veut, je suis convaincue qu'ils se remettront ensemble. Et même si ce n'est pas le cas, Camille n'effacera pas Sacha de son existence comme ça. Ce n'est pas son genre. Il fait partie intégrante de sa dernière année de lycée. De toute sa vie, je dirais. Le seul compromis que je suis prête à faire, c'est de ne pas utiliser de ruban adhésif « cœur », comme je l'avais prévu, mais d'opter pour un motif écossais classique. Malheureusement, quand je le place à côté des photos, les couleurs ne rendent pas aussi bien.

Tant pis, je me rabats sur mon premier choix. Tout en me balançant au gré de la musique, j'utilise mon gabarit en forme de cœur pour découper leur photo du bal de fin d'année. 

Margot va adorer. Je m'apprête à coller un pétale de rose séché que j'ai prélevé sur son bouquet de poignet lorsque mon père toque à ma porte.

Tu fais quoi, ce soir ? demande t il.

Ça, je lui réponds en collant un autre pétale. Si je garde le rythme, j'aurai peut-être fini à Noël.

Ah, fait il.

Mais il ne bouge pas. Il reste bras ballants dans l'encadrement de la porte, et me regarde travailler.

O.K., reprend-il. Je ne vais pas tarder à regarder le nouveau documentaire de Ken Burns. Si tu veux venir...

Peut-être, lui dis-je pour être sympa.

Mais c'est trop compliqué de réinstaller tout mon matériel en bas. Et je suis bien partie. J'ajoute :

Ne m'attends pas.

D'accord. Je te laisse.

Il redescend l'escalier. Ça me prend une bonne partie de la soirée, mais j'arrive enfin à bout de ma page « Sacha et Camille ». Elle rend super bien. J'enchaîne sur la page « sœurs ».J'utilise un papier fleuri pour le fond et je colle une vieille photo de nous trois. C'est maman qui l'a prise. On est debout devant le chêne du jardin, en tenues du dimanche. On porte chacune une robe blanche et des rubans roses dans les cheveux. Le plus drôle, sur ce cliché, c'est qu'on sourit avec Camille, alors que Luna se cure le nez. Je jubile. Luna va piquer une crise envoyant cette page. J'ai trop hâte.

A tous les garçons que j'ai aimés ( reprise )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant