Chapitre I

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Maître Horace n'aimait pas me laisser seule à la demeure, il disait que cela pourrait me pousser à prendre des libertés et à me rebeller contre eux, que j'y ferai ce que bon me semble et que je les laisserai pour mort dans la rivière. Évidemment, il disait tout cela sans se douter que je n'étais pas loin, recroquevillée dans un coin à tendre l'oreille. Peu m'importait ce qu'il pouvait penser de moi.

Au début, me dire qu'il avait peur de moi me donnait de l'assurance, il s'agissait pour moi d'une garantie que je serai en sécurité. Mais, aujourd'hui, deux ans après leur arrivée sur l'île, je me rends compte que je m'égarais. La peur fait naître en l'humain l'instinct de survie, et ce dernier engendre lui-même la barbarie.

Pénélope le savait, elle savait qu'il me battait lorsqu'il était en colère. Mais elle ne disait pas un mot. Elle s'interposait parfois entre nous, lorsque les coups devenaient plus forts. Lorsqu'elle en avait le courage. Il ne l'aurait jamais touchée, il aimait trop sa tendre épouse. Mais pourquoi me protégeait-elle alors qu'elle ne m'appréciait que très peu.
Peut-être, se disait-elle que si j'en venais à mourir, il n'y aurait plus personne pour préparer le repas, coudre les draps et entretenir le foyer. Si je meurs, c'est elle qui devra s'en occuper.

Mais bien qu'il soit un homme ignoble, lorsqu'il allait en voyage sur le petit navire qu'il cachait quelque part sur l'île, pour que je ne puisse jamais m'en servir, il m'apportait tout type de semences et de tissus pour que je puisse m'occuper en jardinant ou en cousant. Alors, je n'osais jamais me plaindre. Et puis, auprès de qui pouvais-je le faire, cela fait des années que cette île est déserte.

Voilà à quoi ressemblaient mes pensées nocturnes avant d'enlacer mon lit et de succomber à ma fatigue.

À peine le soleil levé, je me lève et enfile une chemise beige et une longue jupe de la même couleur, j'enroule un tablier autour de ma taille en m'assurant qu'il soit assez serré pour que je puisse me déplacer sans risquer qu'il ne s'ouvre. Je ne prends pas le temps de me recoiffer. Je me dirige directement vers le seau d'eau qui se trouvait au coin de ma chambre. Je me lave le visage et manque de m'étouffer en aspirant l'eau par erreur. Parfois, je trouvais sur la commode des vers de terre déposés par les oiseaux qui avaient fait leur nid à ma fenêtre.
Une offrande que je fais mine d'accepter, mais qui finit très souvent dans la bouche des poules de la demeure. Je descends délicatement les marches de l'escalier, évitant ainsi de réveiller qui que ce soit. J'attrape un panier et un couteau que je jette dans la poche de mon tablier, puis je sors.

L'automne approchait à grands pas et le vent froid me le faisait bien comprendre. Je prends un chemin de verdure dégarni par la routine de mes marches matinales. J'arrache les mauvaises herbes pour qu'elles n'abîment pas mes cultures, je déracine certaines herbes aromatiques qui n'étaient pas au goût du maître et en coupe d'autres en m'assurant que mon geste ne risque pas d'endommager les prochaines récoltes.

Je ramasse ensuite des champignons qui se trouvaient autour. J'avais découvert, en préparant le potage de monsieur, qu'une grande partie de mes champignons était venimeuse. Il a failli en mourir, mais heureusement pour moi, il ne s'est jamais douté que cela provenait de ma soupe, ses symptômes étant similaires à une grande fièvre. Pénélope quant à elle n'a jamais aimé les champignons, alors elle ne risquait pas d'en être empoisonnée. Depuis, je choisis les aliments que j'utilise dans mes repas avec précaution, je prends parfois même la peine de les goûter avant de les intégrer définitivement à mon menu. Ainsi, j'en connais d'avance les propriétés.

Une fois que mon panier est aussi rempli que je l'espérais, je décide d'aller voir la mer, elle se trouvait à quelques centaines de mètres de la maison, et après toute cette marche, je n'en étais plus très loin. Parfois, j'osais m'imaginer naviguer sur ces vagues indomptables, imaginer quelle serait ma vie si je vivais de l'autre côté de la mer. À certains moments de la journée, je pouvais même apercevoir de lointaines terres à peine visibles et dont j'ignore tout. Quels peuples ? Quelles cultures ? Qu'est-ce qui se trouvent au-delà des flots ?

Le Tournoi de la Couronne - PitosheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant