Chapitre 31 (Adrian)

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     En pleine nuit, un appel de notre médecin m'ordonna de venir à cause d'un énième problème de santé d'Harold. Cela faisait plusieurs mois déjà que son état se dégradait en vue de son âge et de sa lourde charge de travail qu'il refusait de diminuer. À plus de 75 ans, il était déraisonnable d'en faire autant, mais personne ne pouvait lui faire entendre raison, et surtout pas moi.

En direction du parc face au manoir, je cherchais un endroit ensoleillé ou attendre la fin du rendez-vous médical d'Harold. Allongé sur un des nombreux transats disposés dans la véranda, j'admirais ces hectares de jardin qui m'avaient vu grandir. Si je tournais la tête à gauche, je pouvais apercevoir le cours de tennis ou j'avais gâché des étés entiers à m'entraîner en vue des tournois. Si je tournais la tête à droite, je pouvais cette fois contempler le bord d'étang jonché de chênes, ou mon professeur d'escrime me forçait à persévérer tant que mes mouvements n'étaient pas parfaits. Enfin, si je regardais devant moi, je voyais l'écurie qui m'avait vue y passer des centaines d'heures à préparer mes chevaux pour les compétitions. Ce même bâtiment où je l'avais surpris avec un autre homme pour la première fois. Je me souvenais encore de sa tenue débraillée, plusieurs brins de paille dans les cheveux. Elle affichait une mine atroce quand elle m'avait vu en face d'elle, la bouche entrouverte face à ce spectacle immonde. Elle avait essayé de me convaincre que tout cela n'était rien, mais elle savait aussi qu'à douze ans, on comprenait déjà comment marchait le monde. C'est à ce moment-là qu'elle a arrêté de faire semblant, assumant ses aventures devant Harold et moi sans la moindre hésitation. Elle m'avait trahi comme toutes celles qui avaient croisé ma route.

— Est-ce que tu as vu mon ballon ?

Une voix aiguë me fit quitter l'écurie des yeux. Un enfant assez jeune se tenait à côté de moi, un sac à dos rouge à la main. D'abord inconnu, je le situais finalement très vite en observant davantage son regard. Ses yeux avait une couleur que j'aurais pu reconnaître entre mille.

— Qu'est-ce que tu fais là ?

— Maman m'a dit de ne pas parler avec des inconnus.

— Pourtant, c'est toi qui est venu me parler en premier. Tu t'en souviens ?

Les yeux en direction du ciel, ma dernière réflexion semblait avoir créé un court-circuit dans son esprit, luttant, j'en étais sûr, pour comprendre la contradiction que je venais de lui soumettre. La situation m'amusa, malgré nos liens familiaux, c'était la première fois que je lui adressais la parole. Il ne savait pas qui j'étais, mais moi, je connaissais tout de lui.

— Si tu me dis ce que tu fais ici, je t'indiquerai peut-être où est ton ballon.

— Tu sais où est mon ballon ?

— Réponds d'abord à ma question si tu veux que je te dise ce que je sais.

— Je viens ici parfois, quand maman à des choses à faire avec le vieux Monsieur.

— Le vieux Monsieur ?

— Oui, il y a un vieux monsieur qui dort au premier étage. Il n'arrête pas de crier après maman dès qu'on vient, je le déteste.

— Tu préfères ton père à ce vieux monsieur ?

— Oh oui, j'ai le meilleur papa du monde. Pendant les vacances, il a promis de nous emmener à Disneyland moi et maman. J'ai trop hâte de faire toutes les attractions qui font peur.

Sa dernière phrase me pinça le cœur, me faisant ressentir une douleur qui me rappelait ma jeunesse gâchée. Cet enfant avait aujourd'hui le droit à tout ce qu'il m'avait été interdit. Il avait un père aimant, une mère attentionnée, de la liberté et visiblement le droit de s'amuser en vue de l'objet qu'il cherchait. Il allait grandir et devenir mon opposé, un homme heureux, capable de garder et de chérir ceux qu'il aime.

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