Chapitre 5 (Adrian)

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J'aurais tout fait pour rester à cette table, mais quand Harold m'appelait, je ne pouvais pas faire autrement. Elle avait compris, je l'avais vu dans son regard quand ses grands yeux bruns m'avaient jugé au plus au point.

— Tu m'écoutes ?

Je repris directement le fil de la discussion avec Harold au téléphone, il fallait que je me sorte ces histoires de la tête le temps de l'échange.

— Oui, tu me parlais de mon rapport hebdomadaire. Quelque chose cloche ?

Son souffle profond et le craquement de sa mâchoire traversaient le combiné. Il était énervé, c'était une certitude.

— Tu oses me demander ce qui cloche ? Sur ta croissance prévisionnelle, il y a une diminution d'au moins 3,2% vis-à-vis de tes premiers chiffres ? Tu te fous de moi ? Tu sais combien ça représente ?

Mon poing se serra si fort autour de mon verre en main qu'il se craquela en un instant. J'aurais voulu encastrer ce putain de téléphone dans le mur, et Harold avec.

— C'est normal. Le temps de tout mettre en place, il y aura une légère baisse de production au sein des équipes. C'est seulement l'affaire de quelques semaines. Une fois terminée, les projets pourront reprendre et on aura bien une croissance exponentielle comme je te l'ai promis.

Je l'entendis ricaner entre deux toux. Sa voix était faible, malgré les recommandations du médecin, il devait sûrement encore se surmener au travail.

— Ce n'est pas assez. Je m'en fous qu'il y ait une période de transition pour les salariés. Je veux du chiffre, maintenant !

Cette fois-ci, mon verre éclata bien entre ma paume. Je sentais des bouts de verre s'enfoncer dans ma chair alors que quelques gouttes de sang coulaient le long de mes doigts. J'aurais voulu lui hurler au visage, lui dire de fermer sa putain de gueule, mais je ne fis rien, comme toujours.


Après plus d'une demi-heure de discussion à débattre comme si ma vie en dépendait, je finis par acquiescer la moindre de ses remarques pour enfin terminer ce dialogue de sourd. Il avait tort, et j'étais sûr qu'il le savait. Mais jamais il n'oserait le dire, jamais il n'oserait, devant personne, admettre son infériorité. Tel un ours devant ses ennemies, il se tenait droit et inflexible face au danger. J'aurais adoré prendre un malin plaisir à le rendre fou sur la longueur, mais pour le moment, j'avais d'autres choses à faire. Je devais retourner à cette table et retrouver cette brune trop curieuse au regard cinglant.

De retour au bar, elle n'était malheureusement plus là. Il ne restait qu'un jeune homme asiatique sur son téléphone et Susan, la pire de tous. Si retenir les prénoms de tout le monde n'était clairement pas une de mes priorités, j'aurais aimé que le sien ne s'ancre pas dans ma tête sans le vouloir. Ses questions futiles et déplacées me rendaient fou. Si la brune venait à tout lui raconter, la rumeur de mon infidélité serait connue de tout New-York en quelques heures. Harold me tuerait en l'apprenant.

Si seulement je n'avais pas fait monter Marya ce soir-là. Si seulement je n'avais pas pris cet ascenseur. Si seulement elle n'avait pas tout vu. Je l'avais tout de suite reconnu le lendemain avec sa frange qui s'arrêtait pile aux dessus de ces deux grands yeux ronds, mais malgré ça, je n'arrivais pas à me souvenir de son prénom. Elle bossait au marketing et m'avait fait un bon dossier, à part ça, rien. Elle était comme tout le monde, discrète, à ne pas vouloir faire de vagues.

M'adossant au marbre du bar, je fis un sourire des plus grossier à Susan, en train de jacter avec je ne sais qui.

— Excusez-moi pour tout à l'heure, j'ai eu un appel important. Des gens sont partis entre-temps ?

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