𝕷𝖔𝖛𝖊 𝕸𝖊 𝖔𝖗 𝕶𝖎𝖑𝖑 𝕸𝖊

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- Violet -

Un bouquet de fleurs.

Des dahlias noirs.

Il n'y a pas de nom sur la carte qui les accompagne, mais ils ne peuvent provenir que de Jackson. D'autres fleurs m'auraient peut-être fait penser à Walter, car je nourris toujours un espoir lointain qu'il s'intéresse à moi, que ses regards et ses mots doux soient plus qu'une relation entre collègues. Je ne l'aime pas, ne le trouve pas particulièrement attirant, mais cela comble quelque chose en moi. Son attention rempli un vide.

J'aurais pu croire que les fleurs venaient de lui si elles n'avaient pas été aussi significatives. Des dahlias noirs. Noirs comme mon âme et comme mes tourments. D'ailleurs, elles ne sont pas vraiment noires. C'est la couleur qu'on leur donne, mais elles sont en réalité d'un bordeaux très sombre, avec des reflets violacés. Violet, comme mon prénom.

Lorsque le livreur a sonné, je n'y ai pas cru. Je pensais qu'il s'agissait d'une farce, et sans reconnaître la voix, mon cerveau a imaginé celle de Jackson. Je voulais que ce soit lui, que j'ouvre la porte et qu'il se trouve face à moi. Mais c'était bien un livreur, et je crois bien qu'il m'a prise pour une folle en me tendant le bouquet de fleurs. J'étais encore en pyjama, débraillée, le visage rougi par une nouvelle crise d'angoisse, et mes mains n'arrêtaient pas de trembler. J'ai réussi à faire tomber un pétale et une feuille au sol tant j'ai serré le bouquet et l'ai secoué. Puis le livreur est reparti et je suis restée bien cinq minutes sur le pas de ma porte, comme un fantôme.

Le bouquet est accompagné d'une carte, sur laquelle sont inscrits quelques phrases en anglais.

Your own personal Jesus
Someone to hear your prayers
Someone who cares

En les traduisant, nous avons :

Ton propre Jésus
Quelqu'un pour écouter tes prières
Quelqu'un qui s'en soucie

Ces quelques lignes m'ont fait comprendre que les fleurs venaient bien de Jackson. En plus de leur noirceur, tout me laisse à penser que l'acheteur connait les démons qui vivent dans ma tête. Jackson est le seul à avoir vu mes cicatrices, et à avoir écouté les tourments de mon esprit tordu.

Ce cadeau est-il une marque d'affection, ou de possession ? Je lis beaucoup de messages à travers ce type de fleurs, et plus je réfléchis, plus je me rends compte que je suis complètement folle, et que je m'invente ces messages. Si Jackson a acheté ces fleurs, il ne les a peut-être que choisies pour leur couleur, ou pour leur prix. Pourtant, ce ne sont pas les fleurs les moins chers...

Elles sont obscures, comme le nuage qui brouille mes pensées. Les pétales sont pointus, comme la lame d'un couteau, malgré leur éclosion au-dessous, le cœur de la fleur reste arrondi, comme refermé sur lui-même, se protégeant du monde extérieur et de la lumière. 

À l'époque victorienne, le dahlia était associé à la trahison. Elle symbolisait l'impulsivité et l'infidélité. Internet explique que de nos jours, elle est plutôt synonyme de reconnaissance et d'amour. Pourquoi est-ce que les deux significations me paraissent plausibles ? Si le message est profond, si Jackson continue à me menacer, celle de la trahison me parait la plus sensée. Toutefois, si cela n'a que pour but de me remercier pour notre partie de jambes en l'air, ou m'inviter à un nouveau rendez-vous, la deuxième serait la plus logique.

Ça fait une heure que je suis assise sur cette chaise à observer le bouquet. Je ne me suis toujours pas habillée, je n'ai rien mangé, et j'ai la tête qui tourne à force de réfléchir. Mais je n'arrive pas à détacher mes yeux des fleurs, comme hypnotisée. Les souvenirs les plus anciens refont surface, comme mes cours d'anglais de lycée, pendant lesquels nous avons abordé l'affaire du Dahlia Noir. Je ne me rappelle pas tous les détails, mais ce qu'il me reste en mémoire, c'est une histoire sombre et sanglante. Encore une référence à la mort et au crime, qui me met mal-à-l'aise. Je n'arrive pas à déterminer si Jackson est un farceur, un criminel, ou s'il est juste fou. Peut-être les trois à la fois.

Ce qui m'intrigue aussi et surtout, c'est la carte. Écrite à la main, je me demande s'il s'agit de son écriture ou de celle du fleuriste. Il n'y a aucun nom, mais juste trois phrases pleines de sens. En la relisant, j'ai l'impression d'avoir déjà entendu quelqu'un dire ça. Dans un film, une série, une musique...? C'est une musique, j'en suis sûre. Peu à peu, une mélodie accompagne les paroles.

C'est encore trop flou dans ma tête. Je suis incapable de me concentrer sur la mélodie, à cause de tout ce qui pollue ma réflexion. Alors, je copie texte que j'ai traduit et le colle sur une nouvelle page internet. La première chose qu'on me propose provient de YouTube. Il s'agit donc bien d'une musique.

Personal Jesus - Depeche Mode

J'écoute la musique. Je reconnais des paroles, mais la mélodie sonne faux. J'ai toujours l'impression de la connaître, sans vraiment la connaître. Le clip ne me dit rien, la voix non plus. Cette sensation de déjà-vu est angoissante. Je soupire, quitte le plein écran et avant que je ne referme la page, mes yeux se baladent sur les suggestions.

Personal Jesus - Marylin Manson

C'est bien celle-là. C'est la musique que je connais, celle d'où proviennent les paroles. Et elles confirment ma théorie : Jackson m'a envoyé ces fleurs. Mais pourquoi ?

Je n'ai jamais reçu de fleurs, de personne. Je n'en ai jamais offert non plus et je ne sais pas comment accepter ce présent. Elles sont là, décorant ma table poussiéreuse et pleine de miettes, m'enivrant de leur parfum, et buvant l'eau sale du verre que je n'ai pas terminé hier. Elles sont magnifiques. Contrairement à moi, elles sont pleines de vie et de fraicheur. Elles sont même accompagnées de petites boules blanches, qui illumine la composition et met en valeur leur couleur indescriptible.

Je ne ressens aucun mérite à recevoir ces fleurs. Je ne me sens pas légitime, comme si je n'avais pas le droit d'être l'intérêt de quelqu'un. Et puis, il y a une sorte de mal-être en moi qui noue mon estomac. Je me sens prisonnière de Jackson, ne me sens pas désirée d'une manière normale. J'ai l'impression d'être une obsession, un objet de ses fantasmes. Et malgré ce sentiment étrange, j'arrive tout de même à y éprouver un certain plaisir. Le plaisir d'être convoitée, le plaisir d'être regardée, le plaisir d'être chassée. Je manque tellement d'attention que n'importe laquelle comblerait ce vide dans mon cœur.

Je referme l'ordinateur en soupirant. Une petite larme atteint mon menton et tombe dessus. Je jette un dernier regard aux dahlias, devenues le centre de mes angoisses. Est-ce que Jackson vient de déposer des fleurs sur ma tombe ?