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- JAX -

Je ne fais pas ce boulot par passion. Trimballer des connards de droite à gauche, dans une voiture volée, ce n'était pas une vocation. Chauffeur de taxi, c'est seulement pour la thune. Je travaille quelques soirs par-ci et par là, pour pouvoir me nourrir et me payer quelques hôtels. Officiellement, je me prénomme Steve Burton, j'ai trente-et-un ans, et je suis inscrit sur l'application de taxi depuis quatre ans. Officieusement, j'ai volé l'identité d'un énième connard que je comptais liquider, jusqu'à ce que j'y voie un certain intérêt. J'utilise sa voiture discrètement, et la replace lorsque j'ai terminé mes courses.

Ce soir, je me tape un groupe de copines à peine majeures sortant d'une boîte de nuit. Elles sont habillées comme des prostituées, parlent fort, rigolent beaucoup et se prennent en photo toutes les dix secondes. Juste après, j'écoute un couple de touristes chinois. Je ne comprends rien de ce qu'ils se disent, ni de ce qu'ils me demandent. C'est la femme qui prend l'initiative de me montrer la photo d'un hôtel à proximité, plus loin que leur point d'arrêt enregistré sur mon GPS.

Le pire de tous les clients, c'est le dernier. Je m'attendais à voir une jeune femme, d'après le nom et la photo de son profil. Mais il s'agit en réalité de la fille de mon client, trop éméché pour se commander sa propre course.

- Allez, papa. Le gentil monsieur va te raccompagner à la maison. On s'appelle demain, d'accord ?

La petite blonde aide son paternel à entrer dans la voiture et referme rapidement la portière tandis qu'il bougonne en cherchant sa ceinture de sécurité.

- Bonsoir, me salue-t-elle en se penchant à ma fenêtre. Je m'excuse par avance pour son comportement exécrable. Il a l'alcool plutôt mauvais... mais il n'est pas méchant.

Sans répondre, je redresse légèrement la tête et jette un coup d'œil au rétroviseur intérieur, qui me renvoie le reflet du vieux croûton en costume gris. Il a le nez rouge et la bouche blanchie par la sècheresse. Ses coups de langue rapides ne semblent pas les humidifier assez.

- Tenez.

L'appel de l'argent me fait tourner la tête. Sans hésitation, j'attrape les quelques billets que me tend la blonde. Son visage est sobre et souriant, tout le contraire de son père. Je ressens la sincérité dans chacun de ses gestes. Elle a dû hériter ces traits de sa mère.

- J'espère que ça comblera le manque d'hospitalité de mon père.

- Ça devrait faire l'affaire, je dis en comptant les vingt euros.

- Bonne route.

Elle salue son père d'un geste de la main.

- Bonne nuit, papa. Dors bien.

La mâchoire du vieux tremble, comme s'il cherchait à formuler des mots.

- Ouais, c'est ça..., je réussis à entendre.

Je ne m'attarde pas sur le parking du restaurant. Je démarre et ramène mon client chez lui, en essayant de contenir ma répartie cinglante. Il renifle bruyamment, s'agite sur son siège et se permet carrément d'ouvrir la fenêtre pour cracher un gros mollard. J'aurais rêvé qu'il lui revienne dans la tronche, mais il faut croire que le destin ne fait pas toujours bien les choses.

Je me languis de Violet, mais à chaque fois que je pense à elle, j'entends des grognements et des murmures à l'arrière. Si je n'avais pas de rétroviseur intérieur, je ne verrais pas que les quelques remarques que j'arrive à déchiffrer me sont destinées. Quelques fois, j'y jette des coups d'œil pour m'apercevoir qu'il me fixe intensément avec un regard à la fois endormi et déterminé. Déterminé à m'emmerder, décidément.

𝕷𝖔𝖛𝖊 𝕸𝖊 𝖔𝖗 𝕶𝖎𝖑𝖑 𝕸𝖊Où les histoires vivent. Découvrez maintenant