— Voilà les dossiers de vos élèves. Vous devriez commencer par celui ci, me conseille le Doyen.
Je prends la pile qu'il me tend et sais déjà que je n'en ferai rien, comme toujours. Je le remercie et quitte son bureau après qu'il m'ait souhaité une bonne rentrée. Je passe ma journée à préparer mon amphi. Ce silence face aux bancs vides m'apaise avant la cohue de la rentrée. Les premiers jours, les bancs sont toujours pleins, ils se vident au fur et à mesure de l'année. Quand enfin tout est prêt, je me décide à rejoindre mon appartement du centre ville, non loin du campus. A peine ai-je franchi la porte qu'elle commence à hurler.
— Où étais tu encore?
— A l'université, Carole. Je te l'ai dit ce matin, je lui rappelle calmement.
— Toute la journée? Sans élève? Tu te fous de moi.
Je soupire et pince l'arête de mon nez, je ne dois pas rentrer dans son jeu, sinon demain nous y serons encore.
— Carole... on est ensemble depuis 2 ans. Tu sais très bien que la veille de la rentrée, je passe toujours la journée entière à préparer mes cours et mon amphi.
— Tu étais avec une étudiante, c'est ça? Hein? Avoue!
C'est la fois de trop, je crois. Je persévère dans cette relation qui ne nous mène nulle part. Nous ne voulons pas les mêmes choses et surtout, elle n'a absolument aucune confiance en moi. Cette dispute n'est qu'une parmi tant d'autres. J'ai l'habitude, je trouve toujours les mots pour la rassurer mais cette fois je n'en peux plus.
— Ecoute, Carole. Ca ne peut plus durer. On a cette même discussion 3 fois par semaine depuis 2 longues années. Je ne t'ai jamais donné la moindre raison de douter de moi et tu continues à m'accuser sans fondement. Je n'en peux plus. C'est trop. Pour toi, pour moi.
Sentant certainement le vent tourner, elle se calme.
— Tu as raison, excuses moi. Je t'aime tellement, j'ai peur de te perdre. Je vais faire un effort cette année, je te jure. N'empêche que si tu étais dans un collège je serais moins stressée, tente t elle de rigoler.
— Non, Carole, c'est faux. Même quand je sors avec Phil tu me fais des scènes. Il faut qu'on arrête.
— Pardon Colson, je suis désolée. Vraiment, je vais faire des efforts, dit elle en s'accrochant à mon cou.
Elle tente de m'embrasser mais je me détourne et décroche ses bras pour l'écarter.
— Cette fois, c'est terminé. J'aimerais que tu partes.
— Mais ...
— Non, stop, s'il te plait. Ne complique pas les choses. Ca fait bien longtemps que rien ne va plus entre nous. Alors par pitié, prends tes affaires et rentres chez toi.
La demi heure suivante n'est que cris et larmes, de sa part, évidemment! Du grand Carole. Elle met une demi heure supplémentaire à regrouper ses affaires avant d'enfin me laisser seule. Je profite de cette soirée tranquille pour appeler ma mère puis mon meilleur ami. Ce dernier hurle de joie à l'annonce de ma rupture, un modèle d'empathie extraordinaire.
— Demain, on fait le tour des bars, s'extasie t il.
— C'est la rentrée demain! Hors de question que je donne cours avec une gueule de bois dès le deuxième jour gros malin! Tu attendras ce weekend pour avoir une excuse pour picoler.
— Ouuuhh excuse moi, Monsieur le Professeur. J'avais oublié à quel point tu es ennuyant. Finalement ce n'est pas de la faute de la folle furieuse, tu as toujours été aussi rabat joie? Pourquoi on est pote déjà?
— Si seulement je le savais, je soupire.
— Moi, je sais. Tu ne peux pas te passer de moi mon biquet. C'est comme ça, la Terre entière m'aime.
— Ouais, ça doit être ça. Allez bonne nuit clochard.
— Je t'aime mon biquounet d'amour, hurle t il avant que je ne raccroche.
Mon Dieu! Je me demande vraiment pourquoi on est ami parfois! Je rigole tout seul en repensant à Phil, c'est un cas particulier celui là! Mais qu'est ce que je ferais sans lui?!
Le lendemain, j'arrive en avance dans mon amphi. Je m'imprègne des lieux avant de préparer mon tout premier cours du semestre. On ne peut pas vraiment dire que je sois stressé à proprement parlé mais j'ai toujours cette petite pointe d'anxiété avant de découvrir mes premières classes, surtout que cette année je débarque dans une nouvelle fac. En tant que jeune prof, je dois toujours m'imposer avec autorité afin de garder une distance respectable entre eux et moi. Au fil du temps, j'aurai de moins en moins d'effort à faire, c'est d'ailleurs déjà le cas. L'année dernière c'est bien mieux déroulée que ma première année d'enseignement à l'université à tout juste 25 ans!
Le brouhaha qui me parvient du couloir s'intensifie quand les premiers élèves entre dans la salle. Je commence avec les dernières années. A l'aise, ils s'installent sans faire attention à moi, les groupes se forment automatiquement et les discussions vont bon train. Je guette l'heure et ferme la porte à 10h pétante. A peine de retour sur mon estrade que la porte s'ouvre à nouveau, ça commence!
— Vous êtes en retard, je tonne.
La silence se fait dans la salle et je me tourne vers le retardataire. Ou plutôt la retardataire.
— Désolée, Monsieur. J'ai eue ... un imprévu, s'excuse t elle.
Je la détaille une seconde. Ses traits sont tirés et des cernes mangent son visage. On dirait qu'elle n'a pas dormi depuis des jours. Elle porte un sweat large informe avec un tâche de vomi sur l'épaule. Génial, une fêtarde, pour changer.
— La prochaine fois, ne vous donnez pas la peine de venir et allez cuver votre vin.
Elle se fige, dos à moi avant de se tourner lentement et me fusiller du regard. Je vois bien qu'elle aimerait exprimer le fond de sa pensée mais elle se retient et s'installe ... au premier rang? En général, ce genre d'élève qui passe plus de temps à faire la fête qu'à étudier s'installe au dernier rang afin de pouvoir finir leur nuit tranquillement. Je fais abstraction de cette jeune femme et me dirige vers le tableau.

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Pour Elle
RomanceColson est heureux de cette prise de poste dans cette nouvelle université. C'était sans compter cette jeune femme aussi surprenante que mystérieuse. 6 ans qu'il s'efforce de maintenir une distance raisonnable entre lui et ses élèves mais qu'en sera...