Home sweet home

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Le paysage défilait à travers la fenêtre du compartiment. Un silence confortable avait pris place à l'intérieur entre les trois membres du petit groupe habituel. Pandora avait posé sa tête contre la vitre et regardait les arbres d'Ecosse apparaître pour mieux disparaître en une seconde à peine. 
  La bruine qui avait commencé à tomber au moment du départ s'était transformée en un orage grondant dont les éclairs fissuraient le ciel en une dizaine de lumières menaçantes. Regulus, du coin de l'œil, apercevait Evan sursauter à chaque grondement de tonnerre. Il n'en fit aucun commentaire, comme son ami n'en disait rien pour ses pleurs nocturnes.
  Le silence tacite qui existait entre eux était d'une habitude si conventionnelle qu'aucun d'entre eux n'avait le courage de le rompre. Et Regulus les en remerciait. Plus tôt dans la matinée il avait refusé l'invitation de Sirius à s'installer donc son compartiment, avec ses amis. Son frère avait alors jeté un court regard en direction de ses deux amis avant de lui sourire. Néanmoins un éclat de déception était apparu dans ses yeux, que Regulus avait préféré l'ignorer.
  Mais désormais, au lieu du paysage tourmenté que son regard percevait à travers la glace, il voyait le regard de son frère. Il voyait l'espoir qu'il accepte et la déception d'un refus qu'il n'avait pas prévu. Regulus aurait voulu pouvoir accepter la proposition de Sirius, il l'aurait vraiment voulu, mais l'idée de supporter une dizaine d'heures en présence de ses amis lui était insupportable.
  Les cris, l'excitation, les rires superflus et les questions n'étaient pas ce qu'il voulait. Le calme et la sérénité que la présence d'Evan et de Pandora lui apportait était ce qu'il voulait avec Sirius. Il voulait son frère sans pour autant vouloir ce qui l'entourait. Ce refus avait eu le goût d'une lame dans sa bouche, comme si un bout de verre défigurait son être. Il avait vu la douleur de ce refus dans les yeux de son frère.

  -Qu'est-ce qu'il y a ?

  Regulus détourna les yeux de son imagination pour les planter dans ceux de Pandora. Les iris bleus de son ami le transpercèrent violemment. L'intérêt qu'elle lui portait brillait et il ne saurait dire pourquoi. Sa question avait également attiré l'attention d'Evan, dont le corps continuait à trembler légèrement à chaque nouvel éclair dans le ciel.
  Cette pensée le frappa de voir à tel point Evan ne laissait rien paraître. Rien que le fait qu'il laisse apercevoir de sa terreur était déjà quelque chose que ses parents pourraient lui reprocher. Regulus se jura de ne jamais laisser échapper cette information. Dans ces moments-là, de ceux où Evan n'était pas seulement son ami, un simple garçon de son âge, mais l'héritier de la noble famille française Rosier, il ressemblait tant à son frère que cela le troublait.
  A certains moments, l'image de Sirius se juxtaposait à celle d'Evan. Regulus ferma les yeux un instant pour retrouver ses esprits et Sirius disparut de ses pensées. Désormais il remarquait l'inquiétude qui planait également dans les iris bleus, similaires à ceux de Pandora, d'Evan.

  -Tout va bien Dora.
  -Tu n'aurais pas préféré rester au château durant les vacances ?
  -Je n'ai pas mon mot à dire Pandora. Je dois rentrer.
Pandora s'apprêtait à répondre mais Evan la devança.
  -Sirius doit rentrer, c'est l'héritier, mais toi tu n'as pas forcément à assister à tout ça.

  Regulus se tourna vers Evan. Il savait parfaitement le sens caché des mots que son ami lui avait, sans le vouloir, craché au visage. Regulus n'était pas Sirius, il n'était pas l'héritier. Il ne comptait pas autant, voire pas du tout. Sa présence n'était attendue par personne et son absence ne serait pas davantage remarquée.
  Pour Evan, ce qu'il faisait, ce qu'il était, n'avait aucune importance aux yeux d'Orion et Walburga Black. Dans ses yeux d'héritier, et avec la famille dans laquelle il avait grandi, Evan comparait ce qui ne pouvait pas l'être. Il voyait sa sœur en Regulus, son vécu et la façon dont personne ne s'intéressait à elle.
  Les Blacks n'étaient pas les Rosiers, ils étaient assez fiers de ne ressembler à aucune autre famille de Sang-Purs. Les Blacks étaient des Sang-Purs pour les Sang-Purs. Regulus faisait partie de cette famille et par cette association, ses parents en attendaient autant de lui que de son frère.
  Les mots de sa mère résonnaient encore dans ses oreilles. Tels la menace qu'ils étaient. Je te veux préparer à porter le nom Black à travers les siècles. Et il s'y préparait, même s'il savait que rien de tout ça n'était nécessaire. Son frère pouvait être bien des choses aux yeux de ses parents : des déceptions, un Gryffondor, un trouble-fête. Sirius n'en restait pas moins un héritier, il n'en restait pas moins conscient de ce qu'il était amené à devenir.
  Sirius était né avec tout ce que Regulus n'avait pas : conscient de ce qu'il était. Il était né pour succéder à leur père, il avait toujours pris cette tâche très à cœur, et les écarts qu'il faisait parfois à Poudlard n'y changeraient rien. Sirius s'assirait un jour sur le fauteuil de leur père, et se recouvrirait pour devenir, et il le savait, l'ombre de ce qu'il était. Car les Blacks ne se transmettaient pas uniquement leur nom et leurs traditions, mais également l'intimidation propre à leur sang et qu'ils faisaient subir à tous les sorciers de Grande-Bretagne.
  Sirius était amené à devenir cette figure menaçante qui régirait leurs faits et gestes jusqu'à la fin de leur vie. Regulus était effrayé de savoir à quel point il porterait ce rôle à merveille.

  -Mes cousines se fiancent, toute la famille se doit d'être présente. Je me dois d'être présente. Même si je ne suis que le cadet.

  Sans le vouloir, et en se disant ça Regulus savait se mentir à lui-même, il avait prononcé sa dernière phrase d'un ton sec et il faillit le regretter en voyant Evan se redresser et ses traits se durcirent. Presque. Pas assez coupable pour se le reprocher, pas assez froid pour ne pas sentir cette pointe glaciale dans sa cage thoracique qu'était la sensation d'avoir blessé un ami.

  -Bien.
Evan s'appuya contre le dossier du canapé où sa sœur et lui étaient installés, les bras croisés et le regard désormais tourné vers le paysage.
  -Bien.

  Le silence n'était plus confortable. Le silence était suffocant et lui laissait à peine d'oxygène pour lui permette de respirer correctement. Un silence qui arrivait à créer un malaise en lui. Un silence à l'origine d'une bouffée de chaleur anxiogène et d'une multitude de gouttes de sueur en-dessous des couches de vêtements haut de gamme choisis scrupuleusement par ses parents. Rien que leur vue sur son cœur lui était insupportable. 
  Ces derniers les lui avaient envoyés avec une missive qui indiquait clairement de porter cette tenue pour son retour de Poudlard. La cravate qui accompagnait ce costume semblait trop. Mais rien n'était trop lorsqu'il s'agissait de la famille Black. Ils étaient au-dessus des autres. Là où les héritiers des autres grandes maisons de la société sorcière ne commençaient à s'habiller de cette manière au milieu de l'adolescence, les enfants Blacks ne se contentaient pas des coutumes habituelles.
  Alors Regulus portait cette cravate, qui lui semblait bien différente de celle obligatoire pour tous les élèves de Poudlard. Elle emprisonnait son cou et comprimait son souffle. Pourtant il l'avait noué de la même manière que les autres. Mais maintenant qu'il ne parvenait plus à croiser le regard de ses amis, maintenant qu'il était trop fier pour excuser son comportement grossier, maintenant qu'il voulait hurler au train de s'arrêter et de le laisser sur les rails, au milieu de ce paysage rassurant qui lui manquerait et qui laisserait bientôt place aux immeubles immondes du Londres moldu, cette sensation autour de son cou était insoutenable.
  Faites qu'elle s'en aille.
  Faites que ça s'en aille.
  Faites que ça disparaisse.
  Faites que je disparaisse.

  -Regulus ?

  Regulus pouvait parier que les gouttes de sueur qui perlaient au creux de ses paumes avaient imbibé le matelas propre des coussins de ce canapé marron terne. Il ne tremblait pas, pas encore, mais cela ne saurait tarder. Il se maudit alors pour avoir laisser ses émotions emporter ses paroles dans le vent d'un reproche qu'il ressentait désormais pour lui-même. Il se maudissait de n'avoir pas su mettre à profit l'éducation de sa mère de ne jamais laisser voir aux autres ce qu'il était, comme n'importe qui.

  -Regulus, tout va bien ?

  Car les Blacks n'étaient pas n'importe qui. Et Regulus savait que l'éducation de sa mère devait servir à ça. Lui qui avait appris par cœur les différentes expressions de son visage dans le miroir de cette salle de bain où l'eau ne coulait plus dans la baignoire. Lui qui avait appris à ce contenir dans n'importe quelle situation, dans n'importe laquelle de ces réceptions où ses parents avaient accepté de l'emmener, afin de leur prouver qu'il était capable d'être ce qu'ils attendaient qu'il soit.

  -Regulus ?

  Toutes ses nuits blanches passées à mémoriser les conseils et injonctions de sa mère sur la conduite à avoir auprès des autres. Cette éducation qui était la sienne depuis sa naissance. Celle qui dictait sa vie. Tous ses efforts pour se laisser noyer par une simple remarque de l'héritier Rosier.
  Non.
  Par une simple remarque d'Evan. Evan qui était son ami. Evan qui lui en voulait. Evan qu'il avait blessé. Evan qu'il perdrait sans doute un jour. Car qui voudrait rester avec le simple cadet de la famille Black, qui était incapable de suivre les conseils de sa mère. Evan son meilleur ami. Evan son ami d'enfance. Le seul qui le connaissait par cœur.
  Evan.
  Evan.
  Evan.
  Evan.

  -Regulus !
  -Je dois sortir d'ici.
  -Eh ! Regulus !

  La voix de Pandora dans son dos ne suffit pas à le convaincre de s'arrêter. La porte du compartiment s'ouvrir violemment et ce corps qu'il ne reconnaissait plus passa les battants en bois. Le couloir était vide, tout le monde profitait des derniers moments en présence de leurs amis. Il se demanda pourquoi cela était si facile pour les autres, pourquoi lui n'y arrivait pas.
  Il était incapable d'être avec ses amis. Alors Regulus avança dans le couloir, marchant comme on le lui avait appris : la tête redressée et la démarche fière. Comme si ses mains ne transpiraient pas à grosse goutte. Comme si sa cravate ne lui donnait pas l'impression d'étouffer. Comme si tout allait bien dans cette tête qui ne lui faisait rien faire correctement.
  Comme si. Comme si. Comme si. COMME SI. COMME SI. CoMmE Si.

  C
     O
             M
                     M
                             E
                                    S
                                               I

  Ses yeux restaient ouverts mais il ne voyait plus rien. Son regard était vitreux mais il ne perdait pas l'équilibre. Ses pensées se turent mais le vacarme à l'intérieur de son crâne continuait encore et encore, n'acceptant pas de s'arrêter pour le laisser respirer.
  Regulus avança jusqu'à arriver devant la porte des toilettes. Sans s'en rendre compte il avait traversé l'entièreté du couloir et était passé devant le compartiment de son frère. La seule pensée cohérente qu'il eu alors fut l'espoir que son frère ne l'ait pas remarqué. Sirius ne le remarquait jamais. Cela ne devrait pas être trop compliqué. Mais par peur, Regulus ouvrit la porte des toilettes pour s'y enfermer.
  L'endroit était exigu et cela aggrava sa claustrophobie mais il préférait ça au risque de croiser son frère au bout du couloir. Doucement, avec toute la précaution du monde, il s'accroupit à même le sol, appuyé contre la porte en bois. Il replia ses genoux contre son torse et appuya son front contre ses jambes. La sueur qui perlait désormais sur son front imbiba le tissu épais de son pantalon.
  Ce fut à ce moment-là que ses doigts commencèrent à trembler et que ses lèvres tressautèrent, faisant claquer ses dents les unes contre les autres. Il transpirait en étant frigorifié. Il tremblait de froid et de peur. Il transpirait par une fièvre qu'il ne comprenait toujours pas malgré les années.
  Regulus ferma les yeux si fort que ses paupières lui furent douloureuses. Il perdit la notion du temps. Il perdit le contrôle de ce qu'il était. Il perdit le semblant de normalité qu'il avait maintenu en traversant ce couloir.
  Son corps entier sursauta lorsque de grands coups furent portés sur la porte contre laquelle il était appuyé. Son cœur, qui battait alors douloureusement, cessa, l'espace de quelques battements, de fonctionner. Il ne sa battit pas contre les mouvements brusques qui firent trembler son corps durant des secondes qui lui parurent durer des heures.
  Lorsqu'ils cessèrent, Regulus eut soudain l'impression de retrouver le contrôle de son corps. En un instant il se retrouva debout, les mains sous le jet d'eau du lavabo mis à disposition pour s'asperger rapidement le visage. Ses boucles noires rebondirent sur son visage et gouttèrent quelques secondes. En levant la tête, il croisa son regard gris dans le miroir.
  Le regard froid que lui renvoyait la glace faillit le faire sursauter une fois de plus face à ces yeux vides et mornes qui ressemblaient à ceux de son père. Un soupire passa la barrière de ses lèvres face à cette vision avant qu'il ne ferme les yeux et ne fasse de son mieux pour l'oublier. Regulus recula de deux pas, serra une dernière fois ses poings et fut fier d'avoir pu honorer l'éducation qu'il avait reçu.
  Fier.
  Son angoisse se tapissait à l'intérieur de lui sans qu'il ne lui permette davantage de l'exprimer. Quiconque toquait à la porte ne devait jamais le voir dans cet état. Personne ne devait voir un Black dans son état. Les coups continuaient et l'agacement montait de même. D'un coup sec Regulus ouvrit la porte près à remettre à sa place celui ou celle qui osait le presser.
  Ses traits froids tombèrent d'eux-mêmes alors que ses yeux laissèrent passer la lueur de détresse qu'il venait tout juste de réussir à contenir. Plusieurs secondes il ne parla pas, pas plus qu'il n'engagea de mouvements pour s'approcher de la personne qui se tenait devant lui.

  -Regulus ?

  Avec une lenteur dont il ne se serait même pas cru capable, Regulus leva sa main et attrapa un pan de la chemise presque identique à celle qu'il portait. Comme s'il avait peur que cela ne soit qu'un mirage, qu'elle s'efface sous ses yeux impuissants et qu'il ne la retrouve jamais.
  Sirius attrapa la main que Regulus avait levé, une inquiétude que son petit frère n'avait pas vu depuis longtemps au fond de ses iris grises. Pour lui. Son frère se tenait devant lui, inquiet comme peu souvent, pour lui. Devant lui était le frère qui l'avait laissé ce 1 septembre, plus d'un an auparavant. Celui qui l'avait laissé sur le quai de cette gare, et dont Regulus était alors l'unique personne pour laquelle il se souciait.
  Et au fond de ses yeux Sirius redevenait le même qu'il avait été. Son frère. Juste son frère.

  -Regulus ? Tout va bien ?
  -Comment ?

  Et comme avant, Regulus n'eut pas besoin de s'expliquer davantage pour se faire comprendre. Comme avant, Sirius ne s'énerva pas pour avoir mal comprit ce que son petit frère voulait dire. Il était son frère. Ils étaient frères. Celui que Regulus croyait avoir perdu.

  -Je t'ai vu passer devant notre compartiment et tu semblais bizarre ?
  -Bizarre ?
  -Plus bizarre que d'habitude je veux dire.

  Regulus ne manqua pas de donner un coup sur l'épaule de son frère, qui se contenta de ricaner. Cela ne faisait qu'une ou deux minutes à peine que Sirius était là, et déjà son pouls se calmait et sa respiration reprenait un rythme régulier. Tant qu'il aurait son frère sous les yeux, Regulus savait que cela n'irait qu'en s'améliorant.

  -Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

  Du moins c'était ce qu'il avait pensé. Le souvenir du regard blessé d'Evan lui revint en mémoire et avec lui toute son amertume. Regulus ressentait alors une chose qu'aucune personne de sa famille n'accepterait : de la culpabilité. Même Narcissa et ses yeux rongés de chagrin et de remords lui lancerait ce même regard pathétique si jamais elle l'apprenait. Un regard semblable à celui que son père lui avait adressé un jour.
  Ce regard pathétique à la vue de son plus jeune fils pleurnichant après avoir bousculé un de ses camarades. Regulus se rappelait la poigne ferme de son paternel autour de son avant-bras, de la violence avec laquelle il l'avait ramené vers lui et murmurer à quelques centimètres de son visage que les Blacks n'éprouvaient aucun remords. Jamais. Sous aucune condition.
  Regulus avait imprimé dans sa rétine chacun des gestes de son père qui le prévenait, avec une colère subtilement dissimulée, que les Blacks ne s'attachaient jamais à quiconque serait capable de leur faire exprimer de la culpabilité.
  Chez eux, dans cette société à qui plaira le mieux à leur famille, les Blacks n'avaient ni ami, ni amant, ni attache. Leurs sentiments devaient être identiques au masque qu'ils abordaient toujours en public : glacial.
  Regulus avait réussi à le rester, à maintenir cette distance entre lui et les autres. Il en était fier. Cela avait toujours été ainsi. Enfin il découvrait que cette façade n'existait pas comme il aurait voulu qu'elle le soit. Cela faisait longtemps que les enfants Rosiers signifiaient davantage qu'une amitié stratégique diplomatique élaborée par deux partis indépendants de la situation. Il le savait.
  Il aurait dû le savoir. S'y préparer pour anticiper ce déferlement d'émotions et de sentiments qu'il n'arrivait plus à contenir. Qui avait surgit telle une tempête et fait perdre tous ses moyens. Il avait une peur d'une manière que son père n'accepterait jamais. Il avait tremblé d'une manière que sa mère punirait. Il avait respiré d'une manière que son frère soignerait.
  Et il se rappela. Il se rappela que son frère était là. Devant lui. Regulus releva des yeux qu'il avait baissé. Sirius continuait de le regarder avec cette même inquiétude qui lui avait manqué.

  -Rien qui ne serve de t'inquiéter.

  Les yeux de son frère se fissurèrent alors que le mensonge que Regulus lui avait servit sur un de ces plateaux d'argent qu'ils utilisaient si souvent se fracassait sur le sol. Regulus Black savait mentir, cela faisait partit des traits de leur famille, une des qualités dont il était le plus fier. Il savait mentir à tellement de monde qu'il lui arrivait de ne plus savoir s'il mentait ou, aussi surprenant que cela le soit, disait la vérité.
  Tous ces mensonges, qui lui coupaient la gorge comme un million de bouts de verre, venaient s'abattre sur le regard doux de son frère. Ce frère qui, malgré cette année passée, le connaissait comme personne.

  -Reggie...
  -Sirius.

Après son regard doux, ce fut à son sourire de se teindre de douceur. Ce sourire qui durant toute son enfance avait murmuré à Regulus que tout irait bien. Qu'on le protègerait du mal qui envenimait ce manoir, au péril de leur vie. Sirius avait rempli ce rôle à merveille, et malgré ce que Regulus avait pu penser, continuait de le faire. Toujours.
  Comme il le lui avait promis.

  -Tu veux venir dans mon compartiment ?

  Cette proposition, l'exacte même que celle dans la matinée, sonnait différemment à ses oreilles. Mais de nouveau il n'arrivait qu'à imaginer les voix brusques des amis de son frère et d'un calme qu'il n'existerait pas là-bas. D'un regret qu'il ne sut contenir, Regulus secoua la tête.

  -Tu veux retourner dans ton compartiment ?
Regulus refit le même geste.
  -Alors suis-moi.

  Sans attendre Sirius tourna les talons et sans attendre Regulus le suivit. Le train était à peine moins rempli qu'à la rentrée, presque tout le monde rentrait fêter Noël et la fin d'année auprès de sa famille. Ils marchèrent jusqu'à l'autre bout du couloir avant de trouver enfin un compartiment vide. Sirius s'y engouffra et Regulus le suivit sans se faire prier.
  Encore.
  Sirius referma derrière lui et un véritable silence s'abattit dans leur compartiment. Les rires étouffés à l'extérieur se turent si brusquement que Regulus se rendit compte du silence absolu qui existait entre son frère et lui.
  Cela faisait longtemps qu'ils avaient perdu cette faculté de parler aisément.se parler avec facilité. Plus rien ne semblait naturel lorsque la maison s'approchait inexorablement d'eux, et Regulus estimait encore plus la chance de voir son frère se tenir à ses côtés à la suite àde cette pensée.

  -Tu ne vas pas retrouver tes incroyables amis ?
  -Regulus. Ça ne fonctionnera pas.

  Sirius ne répondit pas au sarcasme de son frère et se contenta de s'asseoir sur le banc derrière lui. Regulus n'ajouta rien et s'assit devant lui, sur la banquette opposée. Les deux frères tournèrent leur attention sur le paysage qui défilait à l'extérieur sans se parler.
  Le silence qui s'installa entre eux avait un gout d'habitude. Regulus se rappelait les journées passées à regarder les gens passer sur le perron de la porte. Dans la chaleur d'un été, il leur arrivait de rester là des heures sans échanger une seule parole. Parfois Sirius faisait léviter des objets qu'ils avaient amené avec eux, pour faire rire son petit frère. Parfois Regulus regardait son grand frère se moquer de certains passants excentriques en rigolant.
  Le silence ne les avait jamais dérangés. Jusqu'au moment où il leur avait été imposé. Et depuis ni l'un ni l'autre ne savait comment se comporter avec ce calme qui avait imprimé chaque pores de leur peau au fil des mois. Ils n'avaient jamais su, et peut-être qu'ils ne le sauraient jamais, mais en attendant, en cet instant, ils retrouvaient ce silence qui avait bercé leur enfance, leurs rires et leur innocence. Ils retrouvaient ces souvenirs d'une époque où ils n'étaient que le frère l'un de l'autre. Et pour l'instant, c'était suffisant.


҉ ҉   ҉


    La salle à manger était plongé dans une ambiance étrange, plus étrange que d'habitude en tout cas. Regulus était assis en face de Sirius et à côté de Narcissa. Bellatrix était occupée à discuter avec leurs parents pendant que son autre cousine répondait poliment aux questions qu'on lui posait.
  Ils n'étaient rentrés que depuis quelques heures à peine et déjà Regulus se sentait pris au piège. L'air était lourd et il avait du mal à respirer. Sirius et lui n'avaient pas ouvert la bouche depuis le début du repas. Personne ne leur avait encore fait la remarque et il espérait que cela continuerait comme cela. Il piqua silencieusement dans ce qui se trouvait dans son assiette et afficha un regard poli à l'égard de son oncle qui venait de lui adresser une remarque qu'il n'avait pas entendu.
  Son mensonge dû être convainquant puisque son père ne lui jeta aucun regard réprobateur et que sa mère continua à écouter Bellatrix parler de ses futures fiançailles comme si elle n'en connaissait pas les moindres détails.
  Regulus allait pour continuer à subir ce dîner long et insipide lorsqu'il sentit quelqu'un tapoter sa jambe sous la table. Sans même avoir à vérifier, il sut que c'était Sirius. Ce dernier lui adressa un regard malicieux et, alors que leurs parents étaient occupés à autre chose, s'amusa à les imiter de manière grotesque.
  Au début Regulus sourit tout en jetant des regards à gauche et à droite pour vérifier que personne ne remarquait leur manège, puis finit par se prendre au jeu. Il ne se rendit compte qu'à ce moment-là que cette coupure dans ce diner, qui ne s'achevait plus, lui était nécessaire. Il tenta de masquer les gloussements que les mimiques de son frère lui procuraient jusqu'au moment où la voix de sa mère, implacable, ne se fasse entendre.

  -Sirius.

  Son frère se redressa immédiatement sur sa chaise, son visage se referma pour ne laisser échapper que ce qu'on le laissait exprimer en public et malgré une légère lueur de défi dans le regard, Sirius Orion Black III renaissait de ses cendres.

  -Oui mère ?
  -Il serait temps pour ton frère et toi de vous retirer.

  Regulus savait qu'ils n'en étaient qu'à la moitié du repas et que cet ordre avait juste pour but de faire partir les plus jeunes de la table. Cette habitude avait pris place depuis plusieurs mois. Les adultes restaient diners une à deux heures de plus pendant qu'ils envoyaient leurs enfants dans leur chambre afin qu'il ne soit pas qu'une gêne dans leurs affaires.
  Souvent il s'en réjouissait, mais lorsque Regulus vit le regard de son frère un certain malaise fit trembler son corps par un frisson incontrôlé. Les yeux de Sirius laissaient échapper des émotions qui le mirent mal à l'aise. Des émotions qu'il ne l'aurait jamais cru capable d'exprimer ouvertement envers leurs parents.
  Dégout.
  Colère.
  Déception.
  Des émotions que Regulus ne comprenait pas. Auparavant ils sautaient tous les deux sur l'occasion pour filer dans leur chambre s'éloigner de ces diners interminables. Il se leva et s'attendit à voir Sirius en faire de même.
  Sirius resta assis.
  Tous les regards se tournèrent vers eux et même sans la regarder ni la toucher, Regulus sut que Narcissa venait de se tendre à côté de lui. Elle aussi avait vécu assez longtemps dans cette famille pour en deviner la suite.

  -Sirius.

  Ce qui aurait été une question chez quelqu'un d'autre était un avertissement dans la bouche de Walburga Black. Regulus n'osait presque plus respirer, et prier son frère de se lever de cette chaise et de le suivre dans une de leur chambre sans faire d'histoire. Mais Sirius Black existait pour écrire l'histoire.

  -Vous comptez nous faire nous retirer afin que vous puissiez parler de vos discours racistes ?

  Un silence s'abattit autour de la table. Regulus regarda les membres de sa famille tour à tour sans comprendre. La situation lui échappait complètement et il ne voyait pas où Sirius voulait en venir. Cela n'était pas le cas de leurs parents qui, malgré la contenance que leur éducation leur avait inculqué, laissait percevoir toute la rage que la réponse de leur héritier leur faisait ressentir.
  Personne ne parlait autour de la table. Sirius avait le regard planté dans celui de leur mère pendant que Bellatrix contemplait la scène avec une léger sourire aux lèvres. Seule Narcissa, malgré la raideur de son dos, semblait maitriser la situation. Sa plus jeune cousine continua à manger la nourriture qui se trouvait dans son assiette comme si personne ne pouvait qu'imaginer quelle punition Sirius obtiendrait à la suite de cet évènement. Alors dans une dernière supplique, Regulus apostropha son frère.

  -Sirius, Mère nous a demandé de monter. Viens.

  Le regard de son frère se posa sur lui et une vague de soulagement le submergea alors que Sirius semblait enfin se rendre compte de sa présence. Comme s'il venait de se prendre une décharge électrique, il se leva de sa chaise, s'excusa et sortit à la hâte sans l'attendre. Regulus ne prit même pas la peine de dire au revoir à son oncle et ses cousines et se contenta de suivre la trace de son frère.
  Le bois grinçant des escaliers lui fit comprendre qu'il montait dans sa chambre et il décida de l'y suivre. Regulus entendit une porte claqué quelques étages au-dessus de lui et tourna la tête en direction de la salle à manger dans la peur de voir un de ses parents en sortir. Il resta quelques secondes figés, la main sur la rambarde et les jointures blanches sous la pression qu'il leur imposait, avant de reprendre sa marche.
  Il monta le plus rapidement possible les étages qui le séparaient de la chambre de son frère mais arrivé devant sa porte il s'arrêta. Regulus fixa la poignée en marbre noir comme si son simple toucher pourrait le brûler. Le souvenir du voyage en train de l'après-midi sembla alors s'éloigner pour ne devenir qu'un vague rappel d'une époque oubliée. Sirius n'était plus là pour lui, alors Regulus devait faire en sorte de prendre sa place. De devenir son Sirius pour le temps de ces quelques heures avant le départ de leur oncle et leurs cousines et que ses parents ne viennent chercher Sirius.
  Après, il ne pourrait plus rien pour son frère.
  Doucement, par peur de le brusquer, il attrapa la poignée et l'abaissa tout en tapotant sur la porte en bois. Sans réponse il entra.
  Sirius était assis sur son lit, la tête dans ses mains et le seul mouvement que son corps exécutait était celle de sa cage thoracique montant et descendant à mesure qu'il respirait. Sans bruit Regulus s'avança jusqu'à lui et s'assit avec précaution à quelques centimètres à sa gauche. Sirius ne fit aucun mouvement pour montrer qu'il l'avait remarqué ou, qu'au contraire, son frère le dérangeait. Leurs épaules se touchaient et ce simple contact lui suffisait.
  Un soupir passa la barrière des lèvres de son frère et il releva enfin la tête. Regulus se tourna vers lui mais le regard de Sirius était planté dans le mur devant lui. Il savait ce qu'il regardait, c'était une habitude depuis qu'il était petit.
  Ils venaient à peine de revenir de France, et les deux frères venaient d'apprendre qu'ils resteraient sur Londres pour les prochaines années. Regulus avait commencé à pleurer et Sirius à s'énerver. Leur mère avait alors levé sa baguette et fait exploser un vase qui se trouvait sur la commode de la chambre de son fils ainé.
  La violence de l'explosion avait arraché un bout du papier peint et Regulus gardait une cicatrice sur le bas de la mâchoire à cause d'un bout de verre qui s'était planté dans sa peau. Sa mère avait alors refusé de le soigner et il avait gardé ce bout de verre plusieurs dizaines de minutes avant qu'elle ne daigne laisser Kreattur venir le soigner.
  Regulus savait que son frère prenait toujours le temps, après une dispute avec leur mère, de regarder ce trou dans le mur afin de se rappeler de quoi elle était capable, même pour la plus infime des choses. Il l'avait vu faire des dizaines, si ce n'était des centaines, de fois. Il connaissait ses réactions par cœur à force d'avoir été là pour le regarder faire.
  D'abord sa respiration s'atténuait, puis ses mains cessaient de trembler et, enfin, sa mâchoire se détendait. Après, Sirius tournait le regard en direction de son frère et ses yeux triste percutaient toujours ceux de Regulus.
  Les deux frères se regardèrent de longues secondes avant que Regulus n'aperçoive une larme solitaire dévalée la joue pâle de son frère.

  -Sirius...
  -Parfois j'oublie que je suis à la maison. Parfois j'oublie à qui je m'adresse. Parfois j'oublie que je devrais avoir peur.

  Sirius ne se permit de ne laisser couler qu'une unique larme et Regulus savait combien elle lui coutait. Il se tendit au contact de la tête de son frère sur son épaule avant de se relâcher et le presser contre lui. Ce fut à son tour de regarder le trou dans le mur en face de lui, puis de regarder son frère, conscient de ce qui suivrait. Mais pour l'instant il le tenait contre lui, dans ses bras, et plus rien n'existait si ce n'était cette chaleur entre eux.

  -Ce n'est pas ta faute.
Pourquoi tu ne prends pas mon parti ?!
  -Ce n'est pas normal.
Dis-moi au moins que tu te rends compte que ce n'est pas normal ?!
  -Je suis désolé.

  Un léger frisson fit trembler le corps de Sirius et Regulus le tint plus fermement et pour la première fois il sentit ce que Sirius avait toujours essayé de lui cacher : sa peur. Il sentait le regard qui ne quittait pas la porte des yeux. Il sentait le tremblement permanent de ses mains qui n'était désormais plus de la peur. Il sentait sa respiration saccadée de mille terribles pensées.

  -Sirius, ils ne termineront pas avant deux ou trois heures, va te coucher.
L'ainé secoua la tête.
  -Ca l'énerverait encore plus.
  -Tu préfères voir le temps passer ou t'endormir ? Dans tous les cas elle est déjà énervée, ils sont déjà énervés.
Sirius ouvrit la bouche pour protester mais Regulus ne le laissa pas argumenter.
  -Dors. Je reste là.

  Son frère fronça les sourcils mais consentit à s'allonger dans son lit. Regulus attrapa une des chaises qui trainaient dans la chambre et se posa à côté du lit de Sirius. Les rideaux n'étaient pas tirés et à mesure qu'il s'endormait, Regulus voyait la lune s'élever doucement dans le ciel et les nuages disparaitre pour le laisser apercevoir les rares étoiles.
  Il resta là un long moment, à regarder le visage paisible de son frère dont les rêves semblaient être les seules choses qui dérangeaient son esprit endormi. Il ne partir qu'au moment où il entendit des pas dans les escaliers, laissant son frère à ses derniers instants de tranquillité.

Son of a Constellation, Brother of the StarsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant