Soirée de Noël

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Regulus se regarda dans le miroir pour la dixième fois depuis que Kreattur lui avait enfilé sa tenue. De l'autre côté de la porte il entendait une dizaine d'elfes de maison, à qui il n'aurait jamais l'opportunité de parler, se mouvoir frénétiquement pour achever les préparatifs à temps. Comme d'habitude ses parents avaient choisi sa tenue pour lui et il devait avouer que les teintes noires et blanches se mélangeaient à la perfection avec son teint pâle et ses cheveux sombres.
  Sirius était allongé sur le lit de son frère, juste derrière lui. Il était arrivé juste après que Regulus ait finit de s'habiller et, sans aucune gêne, s'était empressé de se jeter dans les draps en soie. Sa tenue devait déjà être entièrement froissée, mais le plus jeune n'avait pas le cœur à le lui faire remarquer. Il voulait profiter des dernières minutes avec son frère avant l'arrivée de tous les invités de Sang-Purs respectables qui s'extasiaient sans doute déjà de faire partit du cercle de la famille Black.
  Leurs parents leur avait interdit de sortir de leur chambre tant que les préparatifs ne seraient pas terminés et le fait que Sirius se trouve dans sa chambre pouvait leur valoir une punition. Mais Regulus préféra ne pas s'en préoccuper pour l'instant. Il s'approcha de son frère et s'assit à côté de son corps allongé. Sirius ne tourna même pas le regard dans sa direction mais le silence leur convenait.
  La tenue que son frère portait était bien plus sophistiquée que la sienne, ce qui n'était pas surprenant, Regulus le savait. L'héritier devait être remarqué en premier, en toute circonstance. Il était donc normal que leurs parents fassent plus attention à ce que Sirius portait durant leurs représentations officielles qu'à lui. Malheureusement, ce dernier avait déjà gâché tous les efforts de repassage que Kreattur avait employé pour rendre cette tenue la plus parfaite possible.
  Regulus espérait désormais que son elfe ne se ferait pas reprocher le manque de considération de son frère pour ce genre de choses.
  Il s'apprêtait à le lui faire remarquer lorsque la porte s'ouvrit brusquement. Les deux enfants furent soudain en alerte et Sirius se redressa en un fragment de seconde, revêtant le masque qu'il abordait en public ou face à leur mère. Masque qui disparut presque aussitôt lorsqu'ils reconnurent la personne qui se tenait au pas de la porte.

  -Alphard !

  Sirius se jeta de son lit pour se précipiter dans les bras de leur oncle qui les ouvrait déjà pour l'accueillir. Regulus resta debout, près de son lit, sans bouger. Cela faisait des mois, depuis le départ de son oncle en Amérique, qu'il ne l'avait pas vu et à peine parler. Il croyait à peine en l'image qui se dessinait devant lui, comme si cela était un mirage.
  Son frère parlait déjà à vive allure et d'une voix forte, poussée par l'excitation de revoir cette personne, qui semblait la seule à se préoccuper d'eux pour ce qu'ils étaient dans cette famille. Alphard souriait et riait face aux nombreuses phrases qui sortaient de la bouche de son neveu le plus âgé, ne comprenant sans doute rien à ce qu'il disait. Enfin, même si Sirius continuait de lui parler sans interruption, son oncle leva les yeux dans sa direction et un large sourire imprima ses lèvres.

  -Bonjour Regulus.

  Sirius cessa enfin de parler. Alphard ouvrit son bras gauche, invitant son plus jeune neveu à les rejoindre. Et Regulus ne le fit pas attendre avant de plonger dans la prise rassurante de ses bras. L'odeur de lilas emplit l'air autour d'eux et des souvenirs d'enfance remontèrent à la surface.
  La fois où, avec son frère, ils avaient passé tout un après-midi d'été dans les bras d'Alphard à s'endormir pendant que leur oncle leur contait une histoire. Le chant des oiseaux berçant leur sommeil et la chaleur des rayons du soleil réchauffant leur peau pâle.
  Ces fêtes où ils disparaissaient plusieurs heures et où ils se cachaient de leurs parents. Cette époque où Alphard pouvait encore prendre toute la responsabilité de leurs actions et où les enfants n'avaient rien à craindre.
  Le visage pressé contre le gilet en laine de son oncle, Regulus ferma les yeux et essaya de se remémorer chacun de ses souvenirs. Il avait besoin de cette touche de bonheur, de se souvenir que son enfance était loin de n'être qu'angoisse et remontrances. Alphard était cela. Il était la définition de ce qu'aurait dû être sa vie. Et il lui avait tellement manqué.

  -Bonjour les enfants...

  Sans ouvrir les yeux, Regulus sentit Alphard rattraper Sirius pour le ramener contre lui afin de les avoir tous les deux auprès de lui. Désormais leurs tenues étaient sans aucun doute froissées mais il ne pouvait pas davantage s'en ficher qu'à cet instant. Au bout de quelques secondes leur oncle relâcha son emprise et les deux enfants reculèrent, Sirius fut le premier à parler.

  -Père et Mère ne m'ont rien dit ! Depuis quand es-tu rentré ?
  -Je ne suis que de passage sur Londres pour les vacances. Votre mère m'a ordonné de revenir pour les fiançailles de vos cousines. Il était, selon elle, de mon devoir d'être là.

  Les deux enfants ricanèrent au clin d'œil de leur oncle à sa dernière phrase. Il était bon de pouvoir rire avec quelqu'un d'autre qu'un frère dans cette maison où le sérieux était le maitre mot. En entrant dans sa chambre, Alphard avait balayé toutes les émotions que les deux frères ressentaient habituellement en étant chez eux. Il avait ramené ce pétillement dans leur vie qui leur avait cruellement manqué.
  Regulus n'arrivait pas à croire à quel point Poudlard lui manquait déjà.
  Regulus n'arrivait pas à croire qu'il arrivait si facilement à détester son chez-soi.
  Regulus n'arrivait pas à croire qu'une seule personne puisse lui apporter un tel bonheur.
  Ce moment prit fin lorsqu'un léger toussotement brisa le cocon agréable que Regulus recherchait tant. Son frère et lui se redressèrent alors qu'Alphard se tournait en direction de sa sœur, un fin sourire sur les lèvres.

  -Walburga.
  -Alphard.
  -Tu n'as pas l'air enchanté de me voir chère sœur, malgré que tu m'aies ordonné de venir.

  Regulus avait souvent entendu ses parents dirent que son oncle avait une mauvaise influence sur eux. Personne n'en avait jamais parlé, mais il se doutait que c'était une des raisons qui l'avaient fait quitter le pays. Aujourd'hui, Regulus devait s'avouer que cela était vrai. Il voyait Sirius en Alphard, dans sa façon de se tenir, de se comporter et surtout de répondre. Il vit les traits de sa mère se tendre et su que, quoi qu'elle puisse répondre, cela ferait mal.

  -Tu n'es pas venu te présenter à tes hôtes, ce n'est pas de cette façon que notre père nous a élevé. Sans doute sa façon de d'éduquer était trop douce pour toi pour que tu daignes la suivre.

  Leur mère parlait peu de son enfance, de sa vie en général, d'elle tout court. Tout ce que Regulus savait, même si cela reposait davantage sur des suppositions que sur de réelles affirmations, était que le début de sa vie était similaire à celle qu'elle faisait subir à ses enfants. Il s'en était douté lorsque, à l'âge approximatif de deux ans, il lui arrivait encore de se glisser dans le lit de sa mère tard le soir à la suite d'un cauchemar.
  A cette époque elle acceptait encore ces caprices de bébé et lui permettait de rester dormir avec elle. Une nuit, après s'être endormi avec elle, un léger mouvement avait réveillé le sommeil léger de l'enfant qu'il était. Les yeux encore vitreux il avait vu sa mère se lever du lit et se diriger en direction de la salle de bain dans sa chemise de nuit. Sa tenue s'arrêtait au niveau des genoux et il avait alors remarqué de fines zébrures sur ses mollets.
  Des vieilles cicatrices désagréablement droites et précises qui découpaient sa chair en de multiples portions. A cet âge-là, Regulus ne connaissait pas encore la signification de telles marques. Il se souvenait seulement de les avoir remarquées sur les jambes de son frère depuis quelques semaines. Ces mêmes zébrures qui marqueraient les siennes deux ans plus tard.
  Regulus avait alors osé hausser la voix, et d'une toute petite voix, qu'il commençait tout juste à maitriser, il avait posé la question qui lui trottait dans la tête : « tu as quoi sur les jambes Maman ? ». Doucement, d'une lenteur que Regulus apprendrait à se méfier avec l'âge, sa mère se retourna. Ses yeux étaient désormais noirs, noirs d'un souvenir que son fils ne comprenait pas encore, ne pouvait pas comprendre, mais qui faisait remonter en elle des souvenirs qu'elle préférerait oublier.
  Ce soir-là, Regulus reçu sa première gifle.
  Ce soir-là, ce fut la dernière fois qu'il dormit avec sa mère. Il irait alors trouver refuge chez son frère dont ils partageraient bientôt les mêmes mauvais souvenirs.
  Sans s'en rendre compte, Regulus baissa les yeux vers les jambes de sa mère, que sa robe de soirée cachait. Ses yeux les imaginèrent tels qu'elles étaient ce jour-là, comme s'il les avait devant lui. Il n'avait aucune idée de la manière dont elles avaient évolué. Il se demanda si, comme sa mère, il reproduirait ce schéma sur ses propres enfants à son tour. Comme un cycle propre à sa famille qui favorisait la violence au détriment de l'amour qu'on portait à ses enfants.
  Sa mère l'aimait. Il n'en avait jamais douté, par crainte de voir tous ses espoirs mourir au creux de sa main.
  Ce cycle qui sonnait comme une tradition. Comme une case à remplir pour pouvoir appartenir à leur famille, et ainsi porter fièrement leur nom de famille. Regulus n'avait aucun doute : Sirius et lui suivrait ce cycle. Après tout, tout était dit : un cycle n'est pas facile à briser, et il savait pertinemment qu'il n'avait pas assez de force pour ça.

  -Effectivement, veux-tu m'excuser chère sœur.
Walburga ne lui offrit aucun signe qui montrait qu'elle acceptait et comprenait. La cheffe de leur famille se contenta de se retourner et de quitter la chambre.
  -Comme tu voudras...

  Le départ de sa mère emmena avec lui la joie et les sourires que la présence d'Alphard avait apporté. Le sourire de Sirius disparu, laissant place à un visage de marbre que seuls les yeux laissaient exprimer un flot de mélancolie. Regulus se contenta de baisser les yeux vers le sol alors que leur oncle balbutiait une excuse afin de quitter la pièce.
  Personne ne le regarda partir.

  -Bon. Je vais retourner dans ma chambre.
  -Bien.

  Sirius quitta la chambre de son frère, et personne ne le regarda partir.
  Regulus se tourna vers le miroir qu'il avait quitté. Le reflet ne lui plaisait toujours pas, même moins que cinq minutes auparavant. A travers ces vêtements noirs et blancs, il arrivait à percevoir chacune des infimes cicatrices que son nom lui avait léguées. Il les voyait toutes et il se força à détacher son regard du miroir afin de ne plus les voir.
  En bas les elfes continuaient de s'agiter dans la maison.


҉   ҉ ҉


  Les invités continuaient d'arriver famille par famille dans le salon de réception. Regulus ne s'y connaissait pas assez mais il devait avouer que leurs elfes de maison avaient fait un travail remarquable. Il entendait déjà les compliments qui émanaient des Sang-Purs les moins précieux envers eux-mêmes. Ceux qui voulaient se faire bien voir. Sa famille connaissait bien ces gens-là. Doucement, sans se faire remarquer, Regulus s'éloigna.
  Son regard bifurquait régulièrement en direction de la porte où les nouveaux venus arrivaient à rythme régulier. La famille Rosier avait l'habitude d'arriver au milieu de la soirée, afin de faire une entrée remarquée par tous. C'était une des raisons pour laquelle les Rosiers étaient si proches des Blacks. Leur notoriété était pratiquement équivalente à la leur et de nombreuses unions étaient nées de cette entente datant de plusieurs décennies.
  Regulus n'avait pas revu Evan depuis l'arrivée du Poudlard Express une semaine auparavant. Son ami ne lui avait envoyé aucun hibou, pas plus que lui ne le fit, contrairement à sa sœur qui l'avait tenu aux nouvelles tous les jours. Il n'était pas rare qu'Evan lui laisse de courtes phrases à la fin des lettres de Pandora, mais Regulus s'était rendu à l'évidence que cette fois il n'en aurait pas droit.
  Lorsque ses yeux ne se posaient pas sur la porte et les innombrables personnes sans importance qui la traversait, ils se tournaient en direction de ses parents et de son frère. Ils se trouvaient au centre de la pièce, entouré d'une dizaine d'invités qui venaient donner leurs hommages à leurs hôtes et se présenter officiellement à l'héritier de la Maison. Une tradition annuelle, pour rappeler à son frère de se souvenir de chacune de ces personnes.
  Regulus ne faisait pas partit de ce cercle privilégié. Ni son père ni sa mère n'avait ordonné sa présence à leurs côtés et le plus jeune fils de la famille comprenait où était sa place. Loin. Jusqu'à ce qu'on ait besoin de lui.
  Pour l'instant il attendait que cela soit le cas. Chaque année le même spectacle se répétait, comme une des vieilles comptines que les mères racontent encore à leurs enfants le soir. Cette danse, Regulus la connaissait par cœur. Son père l'appellerait de sa voix grave, une seule intonation qu'il ne devrait pas manquer sous peine de se faire réprimander, et Regulus devrait aussitôt accourir afin d'accomplir l'unique mission qui lui serait demander de faire ce soir : se tenir aux côtés de son frère pendant le discours de ses parents.
  Dans un silence absolu.
  Ensuite, Regulus Black retournerait à l'anonymat qui lui avait été léguée le jour de sa naissance. Un anonymat qui lui convenait, qu'il avait appris à apprécier. Un anonymat qui lui offrait la liberté que Sirius n'aurait jamais. Un anonymat dont il n'avait jamais voulu, mais qui lui incombait. Il s'y ferait. Et, un jour, il le savait, il en sortirait.

  -Bonsoir Regulus.

  Un bras passa au creux du sien, et d'une habitude qui était la leur, Regulus plia son bras comme il convenait de le faire dans cette situation afin d'accueillir cette présence à ces côtés. De fines mèches blondes tombèrent sur ses épaules et il n'eut pas besoin de se retourner pour reconnaitre la personne qui se tenait à son côté. Il baissa simplement les yeux pour regarder la pâleur de leurs mains côtes à côtes. Il imaginait déjà ses yeux bleus sur lui, et l'éclat de son mince sourire de convenance dont ses yeux laissaient échapper la même tendresse habituelle.

  -Bonsoir Pandora.

  Regulus sentit une fine pression sur son avant-bras qu'il comprit comme étant une marque d'encouragement. Il ne lui avait jamais rien caché, ni ses cauchemars, ni l'appréhension que ces banquets faisaient naitre en lui. Pandora était aussi l'unique personne de son entourage à comprendre ses sentiments. Son amie et lui faisaient généralement tapisserie ensemble, se réservant les rares qui leur étaient autorisées l'un à l'autre.
  Il savait que leur situation n'était pas faite pour durer. Bientôt, dans de bien courtes années, Pandora serait amenée à se démarquer lors de telles réceptions. Faire bonne mesure, séduire et se laisser séduire à son tour. Ses parents lui achèteraient les meilleures toilettes qui mettraient à profit les traits fins et attirants qui apparaitraient bientôt sur son visage.
  En attendant, Regulus profitait de la compagnie de sa jeune amie avant que ses parents ne lui ordonnent à lui aussi de mettre en avant la jeune fille. S'ils ne lui demandaient pas de l'épouser lui-même.

  -Comment se passe ce début de soirée ?

Le jeune duo commença à marcher dans l'ombre des invités qui fixaient la piste de danse où Regulus pouvait apercevoir Narcissa au bras d'un vague héritier dont le nom ne lui revenait pas.

  -On ne m'a pas encore sollicité, cela ne saurait tarder.
  -Notre famille vient d'arriver, je pense que tes parents vont débuter leur discours dans peu de temps. Tiens-toi prêt.
  -Pour quoi au juste Dora ? Me tenir en silence ? Allons ! C'est quelque chose dont je suis encore, heureusement, capable.

  Regulus avait fait attention à pousser un sourire sur ses lèvres pour ne pas laisser Pandora s'apercevoir de la rancœur dont ses mots étaient imprégnés. Depuis qu'elle s'était présentée à lui, il faisait tout pour ne pas laisser ses yeux vagabonder aux quatre coins de la salle, et surtout pas en direction du cercle où se tenait encore le reste de sa famille. Le jeune garçon avait peut-être attendu tout le début de soirée, mais désormais, rien qu'à l'idée d'être confronté à Evan, son front s'humidifiait d'une sueur qui n'était pas la bienvenue aux yeux de ses parents.
  Comme s'ils avaient entendu leurs paroles, Orion Black leva son bras pour appeler son fils à les rejoindre. Regulus s'empressa de répondre à ses exigences après avoir lancé un léger sourire à son amie pour se délester de sa présence. Sa famille n'avait pas attendu qu'il la rejoigne pour monter sur l'estrade et il grimpa les quelques marches jusqu'à arriver à la droite de son frère.
  Regulus leva la tête pour donner l'illusion de regarder la foule qui se tenait devant eux. En vérité il ne remarquait de la foule qu'une masse informe sans saveur. Tous prêts à acquiescer sans vergogne pour n'importe quelle chose qu'un membre de la famille Black aurait dit. Cependant il fallait qu'il se tienne droit comme si toutes ces personnes avaient une quelconque importance pour lui. Il se devait de maintenir ce rôle que ses parents avaient fabriqué pour lui. C'était son unique devoir de la soirée.
  Son père, le chef de famille, leva son verre afin de donner l'illusion d'attirer l'attention de toute la pièce, comme si cela n'était pas déjà le cas. Un sourire de complaisance sur les lèvres, Regulus hocha la tête de temps à autre, lorsqu'il estimait que la situation s'y prêtait, mais n'écouta pas un traitre mot du discours de son père.
  Ce dernier était vraisemblablement similaire à ceux des années précédentes et Regulus les connaissait pratiquement par cœur. A côté de lui il ressentait la pression que son frère se mettait à lui-même. Il se tenait droit sur ses deux pieds, le menton levé et affichait sans nul doute l'expression parfaite qui convenait à l'héritier Black. Regulus ne se tourna pas pour vérifier ses suppositions, il n'en avait pas besoin et surtout il ne devait pas montrer son manque de concentration.
   Alors lui aussi se tenait droit et tentait, ce qu'il savait vain, de reproduire la posture de son frère. Bientôt le discours de son père s'acheva et celui de sa mère débuta. A part sa voix, qui même sans magie résonnait dans la grande salle, le silence était tel qu'il en devenait presque inconfortable. Personne ne chuchotait ou ne murmurait des remarques imperceptibles, comme cela était souvent le cas dans les réceptions données par les autres familles de Sang-Pur.
  Regulus était fier de le constater. Dans ces moments-là rien n'importait pour lui si ce n'était la satisfaction de se trouver dans cette situation. C'était de ces rares moments où il ressentait la pouvoir pour lequel ses ancêtres s'étaient battus. Il le ressentait dans les noms qu'il portait, dans ce silence singulier, cette peur qu'il lisait dans les yeux de ces autres personnes qui lui étaient étrangères. Il le ressentait partout, avec plus ou moins d'intensités. Il le ressentait. Et c'était le meilleur sentiment qu'il pourrait un jour ressentir.
  Celui de pouvoir.
  Enfin une salve d'applaudissements marqua la fin des discours et Regulus fut le premier à descendre. Pandora l'attendait un peu plus loin, en bas des courtes marches blanches. Ses parents se tenaient derrière elle, et, juste à côté, Evan. Leur mère les tenait chacun d'une main sur l'épaule et un faux sourire poli colorait ses lèvres roses. L'expression des deux enfants étaient impassibles, comme si toutes émotions avaient été lavées et blanchies. Regulus reconnaissait là les mêmes que celles de son frère et lui.
  Il sentit ainsi à son tour la poigne ferme de sa mère sur son épaule et au vu de la tension de son frère, son autre main s'était posée sur la sienne. Les deux familles se rejoignirent alors que les danses reprenaient au centre de la pièce. Les mêmes commodités banales de deux influences de même niveau furent répétées et Regulus se perdit sur ce qui l'entourait. Il faisait exprès de ne pas croiser le regard d'Evan, bien que ce dernier fut en pleine discussion avec Sirius, sans doute afin de donner l'illusion d'une bonne entente entre les deux héritiers de leurs familles, bien que tout le monde sache qu'ils ne s'adressaient nullement la parole.
  Regulus se sentit presque oublier lorsque la voix de sa mère se tourna vers lui. Aux aguets, tout son attention se focalisa sur sa demande.

  -Regulus, va nous jouer un joli air de piano veux-tu ?

  Les épaules de l'enfant se crispèrent à l'idée même de s'exercer en public. Habituellement cette responsabilité revenait à Sirius, qui s'empressait de sortir son violon pour jouer un air de quelques musiciens connus. A la fin de ses prestations, il recevait systématiquement des compliments et des félicitations. Regulus, des réprimandes de la part de son professeur.
  Cependant, l'expression de sa mère ne laissait pas de place à la discussion, et sans rien laisser paraitre, il s'avança en direction de l'unique piano de la pièce. Il se trouvait vers les bais vitrées qui donnaient sur le petit jardin et de fin rideaux blancs voletaient à cause d'une brise de vent qui avait réussit à se glisser entre les battants d'une fenêtre laissée ouverte.
  Plein d'appréhension il s'installa sur le siège, régla en silence sa taille, alors que les bruits se faisaient plus ténus dans la salle. Regulus sentait sur sa nuque le regard de la centaine de personnes présentes. Une attention qui n'était plus portée qu'à sa famille mais à lui seulement. Il préféra baisser les yeux afin de ne croiser aucun regard, et qu'importe que sa mère trouve cela inacceptable.
  Regulus savait que le silence total se ferait bientôt et il ne lui restait que quelques secondes pour trouver un morceau qu'il maitrisait à la perfection. Cette situation n'était pas prévue, il n'avait pas pu l'anticiper et désormais il était dépourvu de tout contrôle de soi. Enfin, après une courte réflexion, ses doigts se posèrent sur le clavier.
  Il sentit plus qu'il ne vit la colère de sa mère. Bien que son fils ait décidé de leur jouer une composition qui se mariait parfaitement avec le thème de leur réception, cela ne convenait toujours pas. Les notes de Winter de Vivaldi emplirent la salle. Sur les visages des convives se dessinaient sourires, crispations et étonnements. Regulus connaissait les risques, mais cette partition était la seule qu'il maitrisait parfaitement et il ne souhaitait pas offrir moins que ça à ses parents.
  Or, il avait conscience des sentiments que ses parents nourrissaient pour l'auteur de cette composition. Bien que Vivaldi eût été un membre d'une ancienne famille de Sang-Purs, ce dernier avait offert au monde moldu son talent. Et ça, c'était une chose que la famille Black n'accepterait jamais. Regulus le savait, mais elle devrait faire avec.
  Le rythme s'intensifia et il n'eut plus à se préoccuper que de rester concentré. Les dernières notes résonnèrent longtemps dans l'immense salle avant que des applaudissements ne commencent à s'élever. Regulus se leva et ne sut si cet élan d'admiration n'était que pure politesse ou réelle intérêt pour le peu de talent dont il avait fait preuve.
  Il afficha un sourire poli afin de contenter ses spectateurs avant de se diriger vers sa famille. Il eut juste à peine le temps de remarquer le sourire sur les lèvres de Sirius avant de sentir la poigne de sa mère sur son épaule. Regulus n'eut pas le courage de lever les yeux vers elle et de la regarder en face. Cela eu pour effet de décupler sa colère puisque ses ongles se plantèrent dans sa peau, passant à travers les nombreuses couches de vêtements et manquant de fissurer son fragile masque imperturbable.
  Le sourire polie qu'il affichait constamment se crispa, mais il savait que ses yeux étaient de ceux qui laissaient échapper ses véritables émotions. Il le ressentit en croisant le regard de son frère, dont le sourire avait disparu et dont le visage s'était refermé dans un masque de colère. La pâle inquiétude que Regulus ressentait alors décupla. Le regard de Sirius se tourna en direction de leur mère, et la poigne de cette dernière se resserra encore.
  A côté de son fils ainé, son père continuait de discuter calmement avec ses invités. Les couples évoluaient gracieusement sur la piste de danse. Personne ne faisait attention à la famille Black. Tout le monde évitait de regarder dans leur direction, eux qui pourtant étaient le centre d'intérêt des salles entières. Leur monde se réduisait désormais à la mère et ses fils. A la destruction qui coulait dans leur veine, cette haine mêlée d'un amour malsain.
  Et toujours leur père qui discutait, comme si de rien n'était. Comme si la menace n'existait pas. Il les évitait, il fuyait, il laissait faire. L'ignorance que son mépris planait dans l'air en compagnie de la dangerosité des lames que les yeux de Walburga Black lançait à ses fils. Cette menace qui n'avait d'existence que pour ceux qui la connaissait depuis le berceau. De ceux qui, comme eux, avait grandit afin de la porter en eux afin de la libérer au moment opportun, au détour du jeu d'échecs auquel ils pensaient jouer sans être conscient de n'être que les pions de ces adultes à l'amour détraqué.
  Et dans ce jeu, là où Regulus savait Sirius jouer le roi, il ne jouait que le pion rapidement sacrifier sans regard en arrière. Qui continuait de danser sur ces dalles blanches et noires semblables à celles de cette salle de danse, tant qu'on le laissait rester hors de portés de ces autres pièces de l'échiquier. Qui continuerait sa danse folle entre les mains d'une puissance encore plus déchantée avant de disparaitre sans regard en arrière pour une victoire assurée.

  -Cher oncle, chère tante.

  Son père sembla enfin se réveiller et posa le regard pour la première fois sur sa femme et ses fils. Walburga détourna elle aussi le regard afin de regarder sa nièce dans les yeux. La voix douce de Narcissa avait assez résonné pour réveiller sa mère de sa torpeur destructive. La pression sur son épaule se fit moindre et Regulus put reprendre une posture de convenance sans souffrir d'aucun mal. Seul Sirius continua de fixer leur mère sans sourciller. La haine qui brulait dans ses yeux étaient loin de s'éteindre.

  -Narcissa ?
La voix grave de son père résonna jusque dans le creux de ses os. Imperceptiblement, le jeune enfant se redressa.
  -Je pense qu'il serait bon si Regulus et Sirius se retiraient. Ils ont, semble-t-il, respecter leur rôle d'héritiers de la famille comme il leur lui était demandé. Regulus vient d'ailleurs de nous offrir une représentation exemplaire.

  Le regard de Regulus glissa sur les boucles blondes de sa cousine qui tombaient en cascade sur ses épaules. Il remarqua à peine le bref silence qui engloba leur cercle restreint avant que son père ne réponde par un simple hochement de tête.
  La main de sa mère glissa de son épaule et il prit une grande inspiration. Regulus croisa le regard de sa cousine et eut juste le temps de remarquer l'étrangeté de son sourire avant que Sirius n'agrippe son bras et le traine à travers la salle en direction des grandes portes noires.
  Méticuleusement, Sirius les referma derrière eux sans bruit. Les rires et la musique s'atténua d'un coup et Regulus se rendit compte que ses oreilles bourdonnaient douloureusement. Sans bruit il suivit son frère dans les escaliers jusqu'à sa chambre. Il n'était même pas sûr que Sirius veuille de lui mais en cet instant être seul était la dernière chose qu'il voulait.

  -Tu as bien joué en bas.
  -Merci.

  Sirius n'était pas une personne avare de compliments. Regulus se souvenait l'avoir entendu dire des centaines de fois à quel point James était génial dans la Grande Salle. Cependant cela faisait si longtemps qu'il ne lui avait pas adressé un compliment qu'il fut surpris de l'entendre le dire. Mais la surprise passé, il finit pat se demander si la fierté qui brillait dans les yeux de son frère n'était pas plus dû au fait qu'il avait joué une partition interdite que pour son réel talent.

  -Tu aurais dû voir la tête de Maman, c'était à mourir de rire.
Regulus n'était pas d'humeur à rire.
  -Et Papa, il faisait comme si tout était normal.
Regulus en avait marre de leur normalité.
  -Quand je le dirais à James.
Regulus n'en pouvait plus de cette amitié.
  -Je vais me coucher.
  -Quoi ? Pourquoi ?

  La main déjà sur la poignée, Regulus se força à stopper son geste. Même après toutes ses désillusions, il croyait encore en l'intérêt feint que son frère croyait encore lui porter. Il voulait y croire. Il y croirait toujours. Dans la voix de Sirius il entendait son inquiétude, son incompréhension et Regulus voulut lui en vouloir pour ça, pour ne pas comprendre. Pour ne jamais le faire et préférer alimenter cette colère envers leur famille. Une colère qui n'avait pas lieu d'être, qui ne devrait pas exister au sein d'une famille.
  Au sein de leur famille où déjà la peine et la tristesse dominait. Là où la peur régnait en maitre. Regulus n'avait pas le temps d'être en colère, car il devait plaire, il devait apprendre à se tenir, à devenir celui qu'on attendait qu'il soit. Il n'avait ni le temps ni la volonté de son frère. Son frère qui était né avec tout ce qu'il n'aurait jamais. Sirius qui ne se rendait pas compte de ce qu'il avait et Regulus aurait voulut pouvoir lui en vouloir.
  Mais Regulus n'avait pas le temps. Regulus n'avait pas la volonté.

  -La soirée m'a fatigué.
  -Ne me mens pas.

  Pas ne mens pas. Ni tu ne dois pas dire de mensonges. Sirius était le mieux placé pour savoir que cette famille était reine dans l'art du mensonge, dans celui de manipuler. Et s'il savait lorsque son petit frère mentait, ce dernier savait également lorsque son grand frère faisait de même.

  -Je veux juste aller dans ma chambre Sirius.
  -Alors pourquoi m'as-tu suivi ?

  Était-ce une nouvelle fois l'heure de la confrontation ? Devait-ce-t-il toujours être ainsi que les choses se passaient ? Sirius attendait des réponses que Regulus ne lui donnerait pas. Pas qu'il n'en avait pas envie, il ne les connaissait pas. Suivre son frère faisait partit d'un instinct primaire. Il l'avait toujours fait, depuis petit. Ces derniers mois n'avaient pas encore réussi à briser cette habitude. Cette soirée en serait peut-être capable.

  -Aucune idée.

  Le soupir de Sirius fut pire que tout ce que leurs parents lui avait fait. Il avait cette douloureuse impression que son frère abandonnait. L'abandonnait.

  -Bien.
Il appuya sur la poignée de la porte, près à quitter la pièce.
  -Attends ! J'ai quelque chose pour toi.

  Regulus se retourna, curieux. Sirius s'avança vers son lit puis s'allongea au sol afin de récupérer quelque chose qu'il avait caché en-dessous.

  -Je pense que c'est mieux que je te le donne ce soir. Maman et Papa ne trouverait pas ça approprié et te le confisquerait s'ils le voyaient. Tiens.

  Regulus attrapa la petite boite enveloppée de papier cadeau que son frère lui tendait. Il n'attendait pas de cadeau de sa part, l'année dernière il n'en avait pas eu le droit et il ne pensait pas que ce Noël serait différent. Pourtant Sirius était là, devant lui, le bras tendu, un fin sourire figé d'une anxiété que Regulus connaissait bien.
  Il regarda plusieurs secondes le présent de son frère avant de délicatement déchirer le papier cadeau, qui laissa place à une boite rectangulaire, noire. Avec une certaine appréhension Regulus ôta le couvercle et deux petits miroirs apparurent. Posés côte à côte au centre de la boite sur une fine couverture en satin noire.

  -Des miroirs ?
  -Pas n'importe quels miroirs !
Sirius prit la boite des mains de son frère et lui tendit un des miroirs avant de piocher l'autre.
  -Tiens, regarde dedans.
Regulus s'exécuta mais rien ne sortait de l'ordinaire. Il continuait de regarder son reflet sans que rien ne change à son image.
  -Regulus.

  Le plus jeune faillit relever les yeux vers son frère lorsque ce dernier prononça son nom. Mais au même instant son reflet se brouilla et une autre image apparut dans la glace du miroir. Il voyait désormais son frère, un grand sourire aux lèvres, les yeux pétillants de malice. Ce dernier éclata de rire lorsque son petit frère releva les yeux dans sa direction, un sourire abasourdi sur les lèvres.

  -Comment ?
Regulus baissa les yeux mais l'image avait disparu.
  -C'est un miroir à double-sens. J'ai demandé à oncle Alphard de m'aider à me le procurer comme Maman et Papa refusent qu'on quitte le manoir.
  -Mais... C'est bien trop Sirius !
  -Depuis qu'on est à Poudlard on s'éloigne, et je sais que tu m'en veux pour ça après que je t'ai promis que ça n'arriverait pas. Alors j'ai eu l'idée de ce miroir. Tu n'auras qu'à prononcer mon nom et mon miroir m'enverra un message. Je l'aurais toujours sur moi, et grâce à ça je serais là n'importe quand lorsque tu auras besoin de moi.

  Et alors Regulus vit autre chose que de la fierté dans les yeux de son frère. Il pu voir, comprendre et accepter l'amour qu'il lui portait. Sirius avait fait tout ça pour lui. Regulus ne savait même pas si un tel objet existait en commercialisation où si son frère l'avait fabriqué lui-même avec l'aide de leur oncle.
  Doucement, comme si l'idée même de s'approcher de son frère lui était étrangère, voire interdite. Puis il enroula ses bras autour de la taille de Sirius et enfoui son visage dans le costume qu'il portait encore. Il se savait faible, au point de sentir ses yeux s'humidifier au simple cadeau qu'on lui offrait. Mais Sirius ne lui en fit pas la remarque. Il se contenta seulement de le prendre à son tour dans ses bras sans rien ajouter.
  Pas besoin de mots quand les gestes avaient toujours davantage parlé que toutes les phrases que cette famille n'exprimerait jamais.

Son of a Constellation, Brother of the StarsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant