Assises et silencieuses, perdues dans nos pensées, voilà l'état dans lequel nous nous trouvons. Nos échanges se font par une toute autre voie. Nous nous plongeons dans notre mémoire, partageant à l'autre ce dont nous nous souvenons. Notre parole est inutile les mots flottent dans l'air.
Ma tisane me réchauffe les mains, la chaleur se répand lentement dans chacun des muscles de mon corps, les décontractant, m'apaisant. Je fais tourner ma tasse dans mes paumes tremblantes, m'amusant à compter les ronds que j'effectue. Ça passe le temps, je ne suis pas difficile pour les occupations...je n'ai eu que trop peu d'occasion de voir d'autres personnes que mes parents, ces dernières années. Je suis devenue insociable, ennuyeuse et...un peu trop entière. Étrange.
-Je suis désolée...
Je relève la tête, prise de surprise. Christelle me regarde, un mélange de sentiments contradictoires volant dans ses yeux glaces. Elle s'excuse dans chaque mouvement, dans chaque oeuillade, le pardon est encré dans chacun de ses traits.
-Pour toi, et pour Lucas...
Son prénom dit à voix haute me fait sursauter. Je fronce les sourcils et me met à l'œuvre de contempler la boisson que je ne bois toujours pas. Je n'ose pas bouger. Je n'ai pas soif mais je me suis sentie obligée d'accepter, comme autrefois. Trop timide pour dire non, c'est comme cela que je suis devenue. Retenant mes larmes, ma respiration s'accélère. Je ne suis pas prête pour qu'elle me parle de lui. Je ne suis pas prête pour qu'elle me parle, je crois. Je me sens stupide, d'avoir cru en la simplicité de la situation, d'avoir imaginé la normalité de ces retrouvailles. Je me sens stupide de m'être surestimé, d'avoir pensé un seul instant que je pourrai supporter cet oppressant moment. Non je n'en suis pas capable, je m'afflige ça sans pitié, comme ci je ne me torturait pas assez chez moi. Je suis venue ici, pour des explications...mais si je ne parle, ça ne sert a rien...Mon crâne est feu, rien n'est assez glace pour le refroidir, pour l'apaiser. Je fixe les yeux de la femme en sachant que même similaires, ils ne me feront rien. Je cherche un bleu glacé et un regard chaud. Pas ceux là. Pas ce bleu triste, fade, malmené par la vie, lassé par le temps. Je me surprend à guetter un regard brûlant d'amour. Bingo... c'est ce dont j'aurai besoin. Mais la vision de ces prunelles fougueuses, je ne la verrai sûrement plus jamais.
Je ne suis pas préparée à ce choc mental. Ce choc lent, qui n'est pas causé par un evenement marquant, mais par étapes douloureuses. Ce choc...qui pourrait bien me faire perdre la raison.
Quand on imagine quelque chose que l'on n'a pas, il nous apparaît toujours plus beau qu'il ne le serait réellement. Alors forcément...la déception pointe le bout de son nez lorsque on se retrouve face à notre désir inavoué de perfection. Ce désir qui demeure soudainement matériel mais qui n'est pas à la hauteur de nos attentes.
Tout est une question de préparation au réel.
1ere étape : apprendre qu'il m'a oublié.
2eme étape : comprendre qu'il m'a oublié
3eme étape : apprendre qu'il ne ressent plus rien à mon égard
4eme étape : apprendre qu'il a rencontré l'amour de sa vie
5e étape : digérer le surplus d'information qui viendrait à mon cerveau déjà bien malade, déjà bien trop triste, bien trop compliqué et bien trop différent.
-Je...
Elle soupire comme ci des milliers de choses lui tombait sur les épaules et lui compressait les cordes vocales pour l'empêcher de parler davantage.
-Il faut que tu saches, et en y repensant, j'aurai du te le dire quand nous sommes partis.
J'hoche la tête, dans l'espoir qu'elle continue.
Qu'allez vous me dire ? Que me cachez vous ? Qu'est ce qui était si important pour que vous partiez...
-Stéphane était malade. Et ce n'était pas une simple maladie...Je ne voulais pas vous mêler à tout cela...Alors on est parti, sans explication, et pour toi, sans raisons valables. Je ne voulais pas vivre dans une maison qui regorgait nos souvenirs, toucher un mur ou un biblot et penser à lui. C'était impossible pour moi mais...très égoïste. On est arrivé à Paris, sa maladie s'est aggravé. Auprès de Lucas, j'ai prétexte un rhume. Je lui ai dit qu'il ne fallait pas le déranger, que ça irait mieux bientôt.
Elle reprend son souffle pendant que je le perd petit à petit. Les larmes me montent en emmenant avec elles, tout courage. Et celles que je ravale ravagent mes pensées d'une colère inapproprié.
- Un jour, Lucas est rentré de l'école. Je lui ai dit que son père était mort dans un accident de voiture...Il était trop petit pour comprendre une maladie. Tu connaissais Lucas, il avait peur de tout...
Je respire violemment, avec bruit. J'ai envie de casser la tasse que je serre pour me calmer. Mais rien ne me calmera.
Je me lève brusquement. Mon soudain courage est le fruit de ma colère.
-Aby...je sais que j'ai fait une erreur. J'aurai dû lui dire, j'aurai du te dire, je n'aurai même pas du partir. Je...je pensais bien faire.
Finalement, j'entend ma voix avant même d'avoir commencé à parler.
-Il n'a pas vu son père avant de mourir. Il n'a rien pu lui dire. Il n'a même pas pu l'embrasser une dernière fois !
Je tourne les talons, les larmes m'aveuglant.
-Attend !
Je m'arrête. Je sais à son ton de voix que ce qu'elle s'apprête à me dire est important. Qu'elle veut se rattraper.
-Aby je sais qu'il t'aimait. Et je sais qu'il ne t'a pas oublié.
-C'est trop tard maintenant
Je ne peux pas la regarder en face, j'y lis ma propre colère.
-Non, Non, Non, ne fais pas cette erreur. Tu te souviens de votre surnom ?
J'hoche la tête, mais je n'ai meme plus envie d'écouter. Je veux partir. J'étouffe. Je veux courir, crier, ouvrir ma gorge pour hurler plus fort encore. L'atmosphère m'oppresse, mes larmes noient mon intérieure.
-Il...a coupé les ponts avec moi. Mais toi...toi je suis certain qu'il veut te revoir. Je me suis trompé...j'ai cru qu'il s'en remettrai, qu'il trouverait quelqu'un d'autre. Mais il était réellement attaché à toi et il t'aimait, plus que certains adultes s'aiment...A...Attend...
Elle prend un bout de papier et un stylo et commence à écrire d'une écriture italique, avec de belles boucles. Je m'en souviens encore...
Elle me tend le papier et mon cerveau n'arrive pas à assimiler qu'il faut que je le prenne. Je baisse les yeux vers les mots inscrits.
-C'est une adresse ?
-Oui, là où il travaille. Trouve un moyen pour le contacter. Je sais que tu en est capable. Tu me faisais toujours rigoler avec ton courage. Tu peux y arriver, comme tu l'as toujours fait.
Je saisis le papier qui pourrait me sauver de cette momification constante.
Sans lui je ne suis rien, sans lui je ne suis qu'une moitié inutile.
Je le presse contre ma paume, comme pour graver son contenu dans ma main à jamais.
Je sors, le plus vite possible. Mes jambes ne m'ont même pas laissées lui dire merci. Je ferme les yeux et souffle toute cette tension accumulée.
Demain est un autre jour.
Peut être pire.
À l'arrêt de bus, les gens ont l'air morne et lassés. Je me fond parfaitement dans le décor, pour une fois... Une fille lève la tête et me regarde d'un air suppliant. Je ne peux pas l'aider et bien que je suis consciente de faire la même tête, elle ne le peut pas non plus. Personne ne le peut, même pas moi.
Juste lui.
Epuisée, je rentre dans ma chambre d'hôtel et m'assoupit en très peu de temps. Pour une fois...
Mais mes rêves sont encore contre moi. Les cauchemars ont l'air réels, mes démons dansent autour de moi, comme une meute de loups assoiffés de sang. Ils rampent et me ligotent pour me faire sombrer dans un chagrin infini, et un découragement fatiguant.
Même quand je dors je souffre...
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Un Ange Derrière Les Nuages
RomanceAbygaëlle n'arrive pas à l'oublier. Plus le temps passe, plus elle a besoin de lui. Mais elle le déteste, vraiment. Lucas n'arrive pas à l'oublier. Plus le temps passe, plus il a besoin d'elle. Mais il s'en veut, vraiment. Lorsque Aby se promet de l...