3. Chaleur

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Jamie, malgré la douleur lancinante, regarde autour de lui avec curiosité.

La pièce principale de l'appartement, dans laquelle on entre directement, croule sous un joyeux bric-à-brac de livres, de bougies, d'armes, d'appareils électroniques en plus ou moins bon état et de fioles de différentes couleurs et tailles. Unæ personne tou·te rond·e se lève du canapé recouvert de plaids bigarrés, et se précipite vers eux.

— Althea ! Que s'est-il passé ? Qui est-ce ? Et tu saignes !

— Non, baby, ce n'est pas moi qui saigne, c'est lui, Jamie. Cet idiot a pris un coup de méga-griffes à ma place. Peux-tu le soigner s'il te plaît ?

Ysé — il suppose — le détaille alors et fronce les sourcils, ce qui fait paraître ses yeux bridés encore plus étroits.

— Euh, mon amour, tu as dû te taper la tête pendant le combat, c'est un démon que tu me ramènes là.

— Merci, et bravo, Ysé, pour ta perspicacité, répond Althea d'une voix fatiguée. Peux-tu à présent également utiliser tes talents de guérisseuxe ?

Jamie apprécie d'emblée l'attitude entre les deux partenaires, relevant plus de l'amitié que de la relation romantique. Ysé passe la main dans ses cheveux coupés au carré, lance un regard meurtrier à son amante et s'exécute néanmoins.

— Bien, hum, Jamie, enlève ta veste et ta chemise et assieds-toi sur une chaise.

Son cœur bat un peu plus fort tout à coup, alors que se déshabiller devant quiconque n'a jamais été un problème pour lui. Cependant, il se trouve là avec des humains, liés à l'Ordre qui plus est, et iels vont voir la monstruosité qu'il arrive à peu près à cacher lorsqu'il est habillé. Enfin, c'est surtout le regard de la chasseuse qu'il craint, sans trop savoir pourquoi. Il essaie de se concentrer sur autre chose tandis que Ysé, très pro et pas du tout apeuré·e, examine sa blessure.

Il observe alors à la dérobée Althea qui est en train d'enlever son armure, qu'il ne manque pas d'admirer, bluffé par l'ingéniosité des hommes qui ne cessent d'améliorer leurs technologies malgré leur monde qui coule doucement vers le chaos.

Elle ne porte qu'un débardeur gris en dessous, qui dévoile sa poitrine généreuse. Son attention est toutefois détournée par le tatouage qui court tout le long de son bras gauche : un enchevêtrement de roses noires avec leurs tiges et épines. Le rendu, loin d'être féminin ou floral, est empreint à la fois de tristesse, de force et de courage. Il salue à nouveau le talent humain, et se trouve stupide d'être conforté dans sa détermination à aider à sauver l'humanité à cause de l'admiration pour une armure ou de l'émotion procurée par un simple tatouage. Il écarte néanmoins vite cette pensée : après tout, on dit bien que ce sont les petits détails qui font tout dans la vie, non ?

Perdu dans ses réflexions, il met un instant à réaliser qu'Althea le regarde également. Il se recroqueville par instinct sur lui-même, avant de se détendre lorsqu'il s'aperçoit qu'elle ne le scrute pas avec dégoût, mais plutôt avec ce qui ressemble à du respect et quelque chose d'autre qu'il n'est pas certain de vouloir reconnaître. La voix grave d'Ysé interrompt leur échange silencieux.

— Bon, la blessure n'est pas très profonde, le sang a déjà arrêté de couler. Ta, hum, peau épaisse a bloqué la pénétration des griffes. Je ne pense pas que la plaie s'infectera si tu la nettoies avec régularité.

— Merci, Ysé. C'est bien ce que je m'échine à prouver à celle-ci, là-bas, déclare-t-il avec un mouvement de la main vers Althea : mes écailles sont une armure naturelle et je suis puissant, ce qui fait de moi un atout dans la lutte contre les forces du mal.

La jeune femme s'esclaffe et s'approche avec prudence. Suite à une question non formulée de sa part, Jamie hoche la tête, et elle touche l'un de ses bras. Il frémit et remarque qu'elle semble surprise par la sensation procurée par sa peau, qui, il le sait, est ici à la fois chaude, douce et bien plus ferme que celle des humains.

Ysé prépare du thé et lui pose quelques questions. Jamie lui répond, savoure le breuvage et continue de les observer : cheveux au carré qui entourent une peau claire, des yeux noirs bridés et un visage rond pour læ guérisseuxe ; peau couleur miel, yeux noisette, longs cheveux auburn et corps délié pour la chasseuse de démons.

Il parcourt aussi chaque détail de la pièce, et remarque, parmi les photos des deux jeunes gens souriants dans diverses situations, une photo encadrée de deux personnes plus âgées dont Althea est de toute évidence le parfait mélange. Elle croise son regard à cet instant précis, il hoche la tête et ils se comprennent comme seuls se comprennent les enfants, grands ou petits, qui ont perdu leurs parents bien trop tôt.

— Nummy, c'est qui, lui ?

Il sursaute, ainsi que ses compagnon·e·s, et découvre à l'entrée de la pièce le plus joli petit garçon humain qu'il n'ait jamais vu — ses yeux bridés lui indiquent qu'il est le fils d'Ysé. Les deux partenaires ne semblent d'ailleurs pas inquiet·e·s ou dégoûté·e·s de voir leur enfant interagir avec lui : il suppose que le talent d'Althea pour combattre les démons les rassure.

— Salut, bonhomme, je m'appelle Jamie, et toi ? répond-il au garçonnet qui s'est approché de lui avec prudence.

Des dinosaures ornent son pyjama en coton et Jamie s'étonne de la fascination qu'exercent encore sur les humains ces créatures disparues il y a si longtemps.

— Troy. C'est une très vieille cité d'la myn, euh tym, non, nymhologie grecque ! Tu connais ? Et t'es quoi, au fait ? T'es beau..., affirme-t-il en touchant les écailles de son cou.

Une chaleur inédite se répand dans le corps usé de Jamie, et il essaie de supprimer l'émotion de sa voix.

— Oui, je connais cette cité, et c'est un très joli prénom. Et merci pour ton compliment, tu es très beau aussi, Troy. Je suis un démon Myxarian. Nous sommes très gentils.

— J'ai pas peur des non-humains, moi, d'toute façon, déclare-t-il, le menton relevé. Althea m'raconte toujours comment elle tue facilement les démons, les loups-garous et les vampires.

— Ah oui ?

Jamie hausse un sourcil à l'attention de la jeune guerrière et le contemple avec un sourire en coin. Elle secoue la tête d'un air navré tandis que Ysé lui jette un regard meurtrier.

— Tu brûles au soleil, toi aussi ? continue Troy.

— Beaucoup moins vite qu'un vampire, mais il ne me fait pas vraiment du bien.

— Bon, amour, annonce Ysé sur un ton sans appel, tu dois retourner au lit, il y a école demain.

—Ok, Nummy. Bye, Jamie, j'espère que tu reviendras m'voir, déclare-t-il avec un geste de sa main ronde.

— J'espère également.

Il croit alors distinguer une légère coloration rose sur les joues d'Althea. Le petit garçon l'embrasse d'ailleurs aussi fort qu'Ysé, et repart en direction de sa chambre avec son doudou, un alien, à la main.

— C'est un formidable bonhomme que vous avez là, commente-t-il.

— Oui, on l'aime bien, répond Ysé avec un sourire en coin.

Il émet un modeste rire, et regarde avec admiration la chasseuse, qui élève donc un enfant en plus de son devoir auprès de l'Ordre. Ses premières impressions sont confirmées : elle semble tellement jeune, et fragile, parfois, puis forte la seconde d'après. Il espère de tout cœur pouvoir continuer à se battre à ses côtés.

Quand la politesse le permet, il prend congé après avoir remercié les deux partenaires, et surtout Ysé pour ses soins. À peine de retour dans la rue faiblement éclairée, la chaleur, les couleurs de leur appartement et Althea, surtout, lui manquent déjà.

Harmonie AdverseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant