8. Le jour d'après

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Pendant un laps de temps indéfini, Althea alterne les moments où elle tente de réanimer Ysé et ceux où elle reste prostrée à côté de son corps.

Si elle ne fait rien de plus, elle peut toujours se convaincre que saon amoureuxe est simplement assoupi·e, et qu'iel va bientôt se réveiller et prendre le petit-déjeuner avec Troy et elle.

« Troy ! »

Penser au petit garçon, endormi dans sa chambre, lui tord les boyaux. Une nouvelle vague de chagrin emporte alors Althea : que va-t-il devenir sans saon Nummy?

Allongée auprès d'Ysé, elle pose une main sur son ventre, dépourvu à jamais de tout mouvement. Son visage, dans les dernières secondes, s'était heureusement relâché malgré la douleur, et iel semble à présent en paix, éclairé·e par les bougies qu'iel appréciait tant.

— Comment as-tu pu m'infliger ça, Ysé ? murmure son amante. Qui meurt à vingt-cinq ans, de manière aussi brutale ?

Elle ricane tristement, et essuie quelques larmes isolées d'un geste rageur.

— Je sais qu'on n'était pas du genre à aimer les déclarations grandiloquentes, mais on devait élever Troy ensemble, non ? Je pensais que c'était le plan. Je devrais te détester pour ça.

Le buzz de l'interphone la fait sursauter, et elle se lève sur des jambes tremblantes, après avoir posé un dernier baiser sur le front d'Ysé.

« Sa peau est déjà moins chaude, non ? «

Elle prie un dieu auquel elle n'a jamais cru que Troy ne se réveille pas. Elle appuie sur le bouton d'entrée et voit sur l'écran, soulagée, qu'elle ne connaît pas les deux employés du dispensaire. Elle n'aurait pas supporté la sollicitude creuse qu'on pourrait lui offrir en cet instant — elle pressent déjà qu'elle ne la supportera de la part de personne dans les jours qui viennent.

Les deux hommes, vêtus de la traditionnelle blouse bleu marine au col orange, pénètrent dans l'appartement et se précipitent aux côtés du corps d'Ysé, près de la table à manger.

— Bonsoir Mademoiselle, que s'est-il passé ?

Althea leur fournit un compte-rendu des événements sur un ton froid et clinique, tandis qu'ils tentent vainement de ranimer Ysé — elle sait néanmoins au fond d'elle que c'est terminé.

— Désolé, il n'y a plus rien à faire, Mademoiselle, nous allons nettoyer le corps, à présent, dit le plus petit des deux d'une voix douce, au bout de quelques minutes. Vous pourrez passer au dispensaire dans la matinée pour organiser la suite.

Elle grimace devant l'emploi du terme « nettoyer » : ne pourrait-on pas utiliser dans ce cas un autre terme que celui utilisé pour ramasser dans les rues les démons morts de sa main et celle de ses frères d'armes pendant la nuit ?

Puis son ventre se serre encore plus et son sang tambourine à ses tempes.

« Non, non, non. C'était un rêve et je vais me réveiller maintenant. Et la suite ? Quelle suite ? ».

— Oui, bien sûr.

Elle avise alors le grand sac que tient à la main le deuxième homme, et sent de la bile remonter dans sa gorge. Elle aimerait hurler, les frapper, leur arracher les yeux ; elle reste figée sur place, ne pense même pas à embrasser Ysé une dernière fois, les regarde faire sans vraiment les voir et n'enregistre pas leurs au revoir.

C'est le bruit de la porte d'entrée qui se referme derrière eux qui la fait réagir.

Les premières lueurs de l'aube pointent à travers la large fenêtre derrière elle, et elle réalise que la pire journée de sa vie débute seulement.

Harmonie AdverseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant