Si tu sautes, je plonge

Chapitre 13 : Lettre numéro 2.

Papi Noyer,

Tu te souviens d'Erika ? Je t'en ai parlé il y a quelques mois, quand je l'ai rencontrée. Je l'ai tout de suite apprécié, elle a ce truc... Ce truc que je ne sais définir et qui m'attire à elle à chaque fois que je la fuis. Elle est libre, intelligente et indépendante. C'est aussi une femme sublime, elle a de longs cheveux châtains et des yeux chocolat. Son nez droit la rend charismatique et sa bouche fine, délicate. Quand je la vois, je ne sais que penser. Elle sème le trouble en moi.

Ça fait six mois que nous sommes ensemble et je suis toujours aussi amoureux d'elle. Elle m'apporte quelque chose que ma famille ne peut m'apporter : de la stabilité. Mais je crois que ça m'ennuie. C'est paradoxal, je sais. Elle me pousse vers le haut, prend soin de moi et est adorable. Le truc, c'est qu'on est tellement différents qu'on se dispute souvent. Je lui reproche d'être trop stricte, trop propre, de m'en demander trop. Elle me reproche mon absence d'ambition, mes conneries et mon bordel.

Erika est de celles que l'on rend heureux en lui offrant le monde. Moi, je n'ai que des problèmes à lui offrir. Elle est bonne à l'école et souhaite devenir prof, moi, je sèche les cours. Comme je me suis enfui de l'orphelinat, ils m'ont envoyé en centre pour mineur, là où vont ceux qui sont des problèmes. Mon éducateur a dit que je n'avais pas d'avenir. Je pense qu'il a raison, contrairement à Erika qui me défend, elle m'a un soir confié que je pourrais devenir animateur, selon elle. Parce que les enfants m'aiment bien. Elle en voudrait, des enfants. Comment je pourrais en avoir, comment je pourrais être père alors que je ne sais pas à quoi ça ressemble ? Je veux dire, pauvre futur gosse inexistant. Aucun enfant ne mériterait d'avoir un modèle comme moi. Je sais que, de ton petit nuage, papi, tu m'en veux de me dénigrer autant. Mais c'est comme ça ; je suis pourri de l'intérieur.

Je ne comprends pas comment une fille comme elle peut s'intéresser à un déchet comme moi. En tout cas, elle et Logan ne s'aiment pas. Ils ne me le montrent pas. Aucun d'eux ne me l'a dit pourtant je le vois. Je les connais par cœur. Ils font des efforts pour discuter ensemble devant moi. Ça me touche parce qu'ils savent qu'ils sont tous les deux important. Ils font des efforts parce qu'ils m'aiment. Des gens m'aiment, Papi !

Le fait que je sèche beaucoup énerve Erika, elle y tient à notre vie à deux, banale et terriblement ennuyeux. Je crois que je l'aime assez pour vouloir la lui offrir cependant, c'est plus fort que moi : je suis un aimant à embrouilles. Adam m'a parlé d'un boulot, non déclaré, bien payé et dispo pour les mineurs. Je voulais lui offrir un cadeau, pour nos six mois ; un de ces colliers qui coûtent un bras et deux reins. J'ai accepté. Je vais économiser pour notre vie à deux, en espérant qu'elle accepte mes débauches. Si elle l'apprend, on va encore se disputer.

Toi non plus, tu ne seras pas fier de moi.

Voilà, je vends de la drogue pour un gang qui s'appelle Azra.

Clayton Sutton est le patron à qui j'obéis mais je ne l'ai jamais rencontré. Faut dire qu'on est pas mal de dealers à bosser pour lui. Il envoie des hommes me filer la marchandise, souvent dans des recoins sombres. Moi, je trouve des clients, vend et leur donne l'argent en gardant la part du pognon qui m'est redevable. Ça marche bien. C'est simple et j'aime l'adrénaline que ça me procure. J'ai trouvé mon équilibre entre la vie qu'elle veut et ma vie à moi. Il ne reste plus qu'à obtenir sa validation. Logan sait tout, je ne lui ai jamais rien caché. Comme d'habitude, il n'est pas d'accord et m'a engueulé mais il ne me juge pas. Je lui ai promis de me tourner vers lui si j'ai le moindre problème, ce que je compte faire si ça arrive. Il est mon frère, je compte sur lui. Lui qui est majeur et qui a un travail légal.

Voilà, papi, ma vie en ce moment. Mais ne t'inquiètes pas, je gère, tout va bien.

Caleb Clarkson, 17 ans.*

*(Soit, 3 ans plus tôt.)