Ta mort offrira le même destin que ta vie : la servitude.
— Ce jour est grand pour le peuple. Ce jour est béni pour la cité Themar. Ce jour est le commencement pour Adren Heleyra.
Ainsi débuta la cérémonie en l'honneur du vicomte qui s'apprêtait à prendre les rênes de la ville. La pluie s'abattait sur la place publique dans un clapotement ininterrompu. Elle échoua à couvrir la voix de la maîtresse de cérémonie. D'un ton assuré, celle-ci poursuivit.
— Le comte Sylmaris Heleyra nous honore par la succession de son fils. Nul doute que son règne sera glorieux, dans la continuité de celui de son père. Accueillons dès à présent Monsieur le Vicomte.
Au centre de l'estrade s'avança un homme d'une beauté désarmante. La qualité de sa tenue émeraude sertie de fils d'or asseyait la noblesse de son rang, quoique pas tant que l'aisance de sa démarche devant les centaines d'individus qui l'acclamaient. Il rejoignit deux autres elfes, déjà en place. La ressemblance avec l'homme face à lui était frappante : les mêmes oreilles pointues et une peau aux teintes de noix.
Adren Heleyra posa un genou à terre devant son père. La foule retint son souffle. La puissance de cet instant balayait le froid mordant qui dominait les Themariens. D'un geste solennel, Sylmaris Heleyra installa un diadème doré au sommet de la longue chevelure ébène de son fils. Les courbes du bijou dansaient avec les ondulations de ses cheveux. Un tonnerre d'applaudissements retentit en même temps que les premières foudres frappèrent les flancs du vallon. Quelque chose en cet homme scellait la promesse d'un avenir grandiose.
Droite comme un piquet dans son habit officiel, Edelone fixait opiniâtrement les boucles blondes de la naine devant elle. Elle était si crispée qu'elle doutât d'être capable de bouger le moindre orteil le moment venu. Malgré les bourrasques glaciales, l'appréhension colorait ses joues sous ses rares taches de rousseur. Elle risqua un bref coup d'œil à ses confrères, les autres moines. Si tous dégageaient une apparence détendue, plusieurs se tordaient les mains dans un une agitation anxieuse.
Il fallait dire que ce jour était unique. L'arrivée d'un nouveau seigneur ne s'observait qu'une fois dans une vie. En tout cas, c'était vrai pour une demi-elfe comme elle. Seuls des elfes, à la longévité exceptionnelle, composaient le duché Heleyra. Elle était émue. Peu de gens jouissaient de l'insigne honneur d'assister à cette cérémonie de leur vivant. Et moins encore y prenaient part.
Lorsque les cors commencèrent à gronder sur le tempo sourd de l'orage, la naine s'avança. C'était leur signal de départ. La danse rituelle était sur le point de commencer. Le cœur battant à vive allure, Edelone prit place avec ses camarades. Son anxiété s'évanouit, sans prévenir. Rien ne pouvait entamer sa ferveur, car elle offrait ce spectacle à la personne la plus importante de la cité. Avec grâce et puissance, les moines voltigeaient au rythme dicté par les percussions. Les tambours scandaient le nom du souverain. Ils vibraient en plein cœur des habitants dans la promesse d'un règne rien de moins que grandiose. Les violons chantaient ses louanges. Les pas s'allégèrent, soucieux de préserver l'harmonie des cordes. La longue tresse noire de l'apprentie la suivait comme le ruban de la gymnaste.
Lorsque le son du dernier cor s'évanouit dans le martèlement de la pluie, Adren Heleyra s'avança de quatre pas vers le centre de l'estrade.
Il salua la foule.
***
Le boucan des bâtons s'entrechoquant ne pouvait signifier qu'une chose : c'était l'heure de l'entraînement au monastère. Fidèle au poste, Edelone se battait avec rigueur. Depuis qu'elle était capable de tenir sur ses jambes, elle suivait les exercices traditionnels de la maison Calice. Son assiduité faisait de la jeune femme une des recrues les plus prometteuses. Comme beaucoup de ses compairs, elle était orpheline recueillie par cette famille d'adoption. Aujourd'hui, le monastère était son foyer et les moines sa famille.
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Au service de l'absurde - La Grue
FantasyC'est dans le nid de la discorde qu'éclot la fascination. Comment s'accorder à une personne en tout point son opposé ? La hardiesse de la tâche est incontestable. En particulier quand l'honneur d'avoir obtenu ses grâces se transforme peu à peu en ca...