Le savoir est la forme la plus élégante de pouvoir.
Privée de son pendentif de protection, Edelone passait le plus clair de son temps à essayer de dissimuler ses pensées inconvenantes. Elle s'habituait à voir Adren et Vaelin' ensemble et remerciait les cieux qu'ils ne soient pas un couple démonstratif. Ils marchaient côte à côte, échangeaient parfois un baiser superficiel, et rien de plus ne venait éveiller la jalousie de la gardienne. Une chance que les membres distingués de la haute société n'aient pas pour habitude d'étaler leur passion aux yeux de tous. Elle s'estimait en capacité de vivre ainsi, à la condition qu'elle parvienne à jeter au rebut ses sentiments pour le vicomte. Vaste programme.
D'ailleurs, Adren Heleyra demeurait souvent loin de son épouse. Ses obligations en sa qualité de dirigeant de Themar ne lui laissaient que peu de temps libre et n'incluaient pas vraiment Vaelin'. En ce moment, toute son attention se tournait vers la reconstruction de Padel. Il avait suffisamment bien tiré son épingle du jeu pour diriger la cité voisine, mais n'avait pas pu bénéficier du reste du patrimoine de son demi-frère. La répartition des dépenses entre Themar et Padel était donc d'une grande complexité s'il voulait rester dans les bonnes grâces de son peuple tout en donnant satisfaction aux réfugiés. Adren dédiait ainsi un temps certain à la bibliothèque depuis ces événements, entamant des correspondances avec des alliés fortunés et ordonnant les étapes du rétablissement de la cité nécrosée.
S'il n'était pas affairé dans ses échanges épistolaires ou les réunions mondaines qui servaient ses objectifs, il se plongeait dans la lecture d'ouvrages. D'ordinaire, le vicomte avait pour habitude de consulter des livres récents sur la magie ou l'Histoire d'Iwatis. Or, depuis le massacre à Padel, il faisait venir des ouvrages issus de la réserve du château et non plus des rayonnages publics. Ces livres dégageaient un Ki inquiétant. Une énergie purulente qui menaçait de contaminer ce qui se risquait à la portée de ses relents pestilentiels. Certains résonnaient d'un Ki très similaire à celui qu'elle avait ressenti sur place, juste avant l'assaut des morts-vivants.
— Ces livres ont l'air dangereux, Sir.
Edelone se tenait debout, derrière la chaise où était installé le vicomte. Elle n'aimait pas le voir manipuler des objets imprégnés d'une telle aura. Adren s'enfonça dans sa chaise et bascula la tête en arrière dans un soupir. Il massa ses tempes, soucieux. Cette lecture l'accaparait depuis de deux bonnes heures. Ses yeux demeurèrent clos alors qu'il répondit à son ombre.
— Un livre n'est dangereux que pour ceux qui ne savent pas comment le lire. Insinues-tu que je ne sois pas capable de comprendre un livre ?
— Non, Sir, répondit-elle avec le même sérieux. Mais il me semble que la connaissance de la lecture ne protège pas de tous les dangers que recèlent certains ouvrages.
Adren repoussa sa chaise dont les pieds raclèrent bruyamment le sol en pierres. Une pause s'imposait. Il s'approcha de sa gardienne à une distance qui frisait l'impertinence.
— Tu sais, nous, les magiciens, sommes plutôt familiers des livres et grimoires. Je sais sentir la magie dans un ouvrage, et la nature de celle-ci. « Savoir lire » ne se limite pas aux mots et phrases, c'est bien plus que cela. Je constate que toi, en revanche, tu n'en sais peut-être pas assez à ce sujet pour pouvoir les consulter en toute sécurité.
— Bien, je ne m'aviserai plus de vous transmettre mes opinions visiblement naïves dans ce cas, Sir, répondit-elle mi amusée, mi-vexée.
Adren franchit la limite de la courtoisie. Avec un naturel scandaleux, son corps se rapprocha du sien, jusqu'à ce qu'elle puisse en éprouver toute la chaleur. Ses longs doigts fins tracèrent la ligne de sa mâchoire. Elle tressaillit à ce geste, si simple. A sa proximité. A son regard la sondant avec intensité. Les yeux du vicomte tombèrent sur sa bouche ; il s'en mordit les lèvres. Que n'aurait-elle pas donné pour dévorer les siennes ?
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Au service de l'absurde - La Grue
FantasyC'est dans le nid de la discorde qu'éclot la fascination. Comment s'accorder à une personne en tout point son opposé ? La hardiesse de la tâche est incontestable. En particulier quand l'honneur d'avoir obtenu ses grâces se transforme peu à peu en ca...
