Danse avec eux.
Fièrement dressé sur son cheval zain à la crinière tressée, Adren Heleyra contemplait le spectacle qui s'offrait à lui. Sa gardienne et le reste de la délégation se jetaient des regards inquiets sous leur heaume. Une pluie battante sévissait. Les chevaux, impatients, tapaient du sabot dans une boue épaisse. Les armures malmenées par l'humidité grinçaient à chaque mouvement des malheureux cavaliers.
Le comté de Padel était à feu et à sang. Les hurlements fendaient l'air et les cœurs en contrebas de la falaise. La fumée noire des maisons incendiées dessinait un sombre présage dans le ciel nuageux. Telles les fourmis chassées par leur prédateur, les habitants s'agitaient en tous sens pour leur vie.
— Que ne faut-il pas faire pour acquérir Padel, soupira Adren.
Edelone s'offusqua du cynisme de son maître. Elle n'en dit mot.
— Soarek avait-il des ennemis ?
— Moi, pour commencer. Pour le reste, je ne crois pas qu'il se soit attiré les foudres de quelqu'un au point de justifier de ce massacre.
Il plissa les yeux, mais n'obtint pas de plus amples informations.
— Tu perçois quelque chose ?
— Nous sommes trop loin, pour que je sente quelque chose.
— Alors approchons-nous.
— Sir, interrompit Edelone. Ne pensez-vous pas que nous devrions appeler des renforts, avant d'agir ? Il me semble que la mission de base a beaucoup changé.
Et pour cause. Le petit groupe devait initialement clamer Padel suite à la mort de son ancien seigneur, Soarek Heleyra. Il n'avait jamais été question de combattre. Le comté revenait de droit à Adren. Au nombre ridicule de six, la bataille était exclue d'office.
— Et passer à côté de l'occasion d'être un héros aux yeux des habitants ? Certainement pas. Le destin nous offre cette opportunité, nous allons la saisir.
Ses mots la laissèrent sans voix. Il avait au moins pour lui sa franchise. Il descendit de son cheval et l'attache à l'abri d'un arbre. A contre-cœur, tous lui emboîtèrent le pas. Edelone n'aimait pas ça. Ils couraient à la catastrophe.
— Je persiste à dire que c'est une très mauvaise idée, soupira la gardienne en attachant son cheval à son tour.
Elle sentit son seigneur s'approcher d'elle et s'arrêter dans son dos, à quelques centimètres à peine. Son souffle chaud s'écrasa sur la peau humide de son cou. Elle frissonna. Les images de leur baiser lui revinrent de plein fouet. Elle dut redoubler de concentration pour faire un nœud propre à son destrier. La voix doucereuse du vicomte s'invita dans un murmure jusqu'à son oreille.
— Dois-je te rappeler que tu n'as pas le droit de me laisser mourir, ni de mourir toi-même ? Si tu respectes ces ordres très simples, alors je n'ai aucun besoin de me montrer raisonnable.
Dos à son maître, elle leva les yeux au ciel. Soit. S'il souhaitait risquer leur vie à tous sur un caprice, qu'il en soit ainsi. Si Monsieur le Vicomte voulait achever son règne avec une telle absurdité, qui était-elle pour le contredire ? Edelone chercha en vain un semblant de stratégie face à des adversaires inconnus et qu'elle devinait en surnombre.
Lorsqu'ils avancèrent en direction des hurlements et des senteurs âcres du sang, Edelone eût la désagréable conviction d'embrasser sa propre mort. Surtout quand Adren menait la marche, conquérant, sans prendre la peine de se cacher. Audacieux, pour un magicien qui résistait péniblement à un coup de massue.

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Au service de l'absurde - La Grue
FantasyC'est dans le nid de la discorde qu'éclot la fascination. Comment s'accorder à une personne en tout point son opposé ? La hardiesse de la tâche est incontestable. En particulier quand l'honneur d'avoir obtenu ses grâces se transforme peu à peu en ca...