Ta lumière sera toujours étouffée par mon ombre.
Le sourire de façade d'Adren Heleyra étonnait toujours d'hypocrisie.
Ils devaient maintenant s'occuper des survivants. En bon politicien, le vicomte se montra assuré lorsqu'il organisa le sauvetage de Padel. Il était dans son élément. Il ordonna à ses gardes de réunir les survivants pour les mettre à l'abri au cœur du hall. Les Themariens avaient-ils interrompu le massacre ou touchait-il déjà à sa fin à leur arrivée ? L'histoire ne le dit point. Le doute n'empêcha pas le vicomte de raconter sa version de l'histoire et de présenter l'option la plus favorable comme une certitude. Il ne s'agissait pas d'une interprétation hâtive, non. C'était un choix délibéré que de tourner les faits à son avantage. Edelone le reconnaissait bien là.
La pluie battante les ayant ralentis était désormais leur meilleure alliée. Les flammes qui léchaient les maisons se tarissaient, laissant place à une boue poisseuse et malodorante. Ils purent dégager des décombres des corps sans vie, amassés côte à côte sur la place publique. Edelone réajusta son obi qu'elle utilisait désormais comme cache-nez de fortune contre l'odeur pestilentielle qui encombrait les lieux. Elle demeurait auprès du vicomte, unique rempart face à un ultime assaut redouté. Jamais une ombre ne quittait sa lumière. Tout danger semblait écarté, pourtant un terrible pressentiment flottait dans l'air.
— Maître, puis-je donner les premiers soins aux blessés ? Proposa-t-elle, sentant la douleur transparaître dans des vibrations presque hurlantes ci et là.
— D'accord, mais veille à ne pas les soigner complètement, précisa-t-il à voix basse.
— Pardon ? Comment ça ?
— C'est moi qui procèderai au soin final, donc assure-toi qu'il reste des choses à guérir. Mais tu peux les stabiliser.
Elle ne put masquer le mépris dans son regard. S'embarrasser des prémices de la honte eût été judicieux après ces mots.
Et cela n'échappa pas à Adren. Deux pas suffirent à rompre la distance qui les séparait. Sa main passa sur la joue de sa gardienne avec une douceur qui contrastait avec son expression inflexible. Edelone frissonna – de crainte ou de désir, elle n'aurait su le dire. Cette odeur de jasmin. Elle le sentit moins intimidant, plus sensuel. Son pouce caressa sa lèvre d'un geste si léger qu'il dut être rêvé. Leur proximité devait-elle toujours éclore au milieu du sang et des morts ?
« Ta défiance te rend si agaçante. Et si désirable. »
Son cœur manqua un battement. Elle ne savait pas ce qui la mettait le plus en colère : son seigneur ou elle-même.
Elle eût très vite la réponse lorsque, non content de parler dans son esprit, le vicomte décida de raviver le souvenir de leur baiser directement dans ses pensées. Elle en traversa chaque sensation et se perdit avec le mage dans ce souvenir, invisible aux yeux des autres. Tel un secret à peine murmuré. La poigne de sa main sur sa taille.
A contre-cœur, il s'écarta et rompit l'illusion. Ils avaient tous les deux le souffle court, comme si cette scène s'était réellement produite. Bien décidée à saisir cette porte de sortie, Edelone bredouilla quelques mots incompréhensibles et se dirigea vers les villageois les plus éloignés d'Adren, chamboulée. Respire.
Elle s'accroupit auprès d'une fillette qui devait avoir huit ans tout au plus, et commença à nettoyer la plaie sur son bras. Un gamin qu'elle devina être son petit-frère était assis à côté, les jambes remontées contre son torse. Toute son attention se focalisait sur ce nettoyage. Une fois la plaie dégagée de ses débris et la peau nettoyée, Edelone commença à y appliquer un onguent cicatrisant. Le choix de ses premiers soins fut dicté par l'emplacement de la victime dans le hall plus que la gravité des blessures, ici superficielles. Elle risqua un coup d'œil derrière elle, et devina avec soulagement l'agitation du vicomte. Elle s'en trouva moins risible.
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Au service de l'absurde - La Grue
FantasyC'est dans le nid de la discorde qu'éclot la fascination. Comment s'accorder à une personne en tout point son opposé ? La hardiesse de la tâche est incontestable. En particulier quand l'honneur d'avoir obtenu ses grâces se transforme peu à peu en ca...
