3. La cérémonie

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Tu aimais la liberté, tu jouiras de la servitude.

Le raffinement et Edelone n'avaient jamais fait bon ménage. Plutôt coutumière des combats de lutte dans la terre et la poussière, porter un hakama crème ne lui seyait guère. Les couleurs salissantes se dressaient entre elle et l'élégance. Elle admirait les minces coutures qui réhaussaient l'allure de sa tenue, sertie d'un obi d'un vert trop précieux pour elle. Edelone ne s'était jamais sentie si belle, puissante et mal à l'aise à la fois. De somptueuses grues survolaient les vallées brodées dans la soie de son kimono.

Cinalu, une des aînées du monastère, tressait les cheveux de la demi-elfe. Ses longs doigts anthracite révélaient sa nature d'elfe des profondeurs. Ces êtres affichaient une peau sombre et des cheveux d'un blanc éclatant.

La coiffure qu'elle réalisait était à la hauteur de la complexité de la situation.

— Tu es bien agitée, souligna Cinalu.

C'était bien le genre de phrase qu'on n'entendait que dans un monastère, surtout lorsque la personne revêtait un calme olympien. Mais Cinalu sentait le Ki d'Edelone à la manière de bourrasques glaciales. La demi-elfe prit une longue inspiration. Dès lors qu'elle accepta de composer avec cet état, les bourrasques se firent moins vives. Elle croisa le regard de l'elfe dans le miroir. Cinalu portait de longs cheveux blancs comme neige qui tombaient dans une cascade lisse et souple jusqu'au milieu de son dos. Son âge mûr se trahissait par les minces ridules de son front et aux extrémités de ses yeux. C'était une des entraîneuses principales du monastère, aux côtés d'Akdur, spécialisée dans des techniques de combat plus sournoises. Elle était réputée pour être dure, mais juste. Et surtout, beaucoup moins diplomate que sa consœur, qui avait tendance à materner les apprentis. Elle allait bientôt faire ses adieux à cette famille, le temps lui manquait pour accepter cette fatalité.

— Je ne vois pas l'intérêt de prétendre le contraire, admit-elle. Je me pose encore beaucoup de questions sur... sur la suite.

— Qui ne s'en poserait pas à ta place.

— « A ma place » ? Tiqua la demi-elfe.

— Oui, en tant que future gardienne. C'est une bien lourde responsabilité pour une personne encore novice comme toi. Tu dois être rongée d'appréhension.

Au grand damne d'Edelone, son estomac reprit ses exercices de contorsionniste.

— C'est donc si flagrant, soupira-t-elle.

Elle ne voyait pas l'intérêt d'essayer de duper Cinalu. Si les trois aînés du monastère incarnaient à la perfection la sagesse inhérente aux grands moines, l'elfe des profondeurs les dépassait de très loin. Ses yeux d'un bleu glacial semblaient capables d'éventrer l'âme, comme des stalactites perceraient la chair.

— Oui, déclara-t-elle dans une douloureuse franchise. Ton Ki parle pour toi.

Son malaise ne fit qu'empirer à ces mots. Misérable et exposée : voilà ce qu'elle était. Son aînée ne la portait pas en haute estime, et qui pouvait lui donner tort ? Le goût acide de la nausée se répandit au fond de sa bouche. Elle envisagea l'espace d'un bref espoir ce à quoi sa vie ressemblerait si elle fuyait maintenant. Si elle délaissait ses responsabilités à venir avant même leurs débuts. Résiliente, elle trouva du réconfort à ne pas pouvoir tomber plus bas. Eldyr n'était pas le seul à décrier le choix ridicule du vicomte.

— C'est juste, j'ai peur. Je me demande ce qui m'attend lorsque j'aurais quitté le monastère pour de bon. Je sais quelles seront mes missions, mais je ne suis pas idiote. Sir Heleyra ne m'a pas choisie pour mes compétences. Je crois que...

Ses poings se serrèrent sur son pantalon.

— Je crois que je risque de mourir très vite, hoqueta-t-elle dans la naissance d'un sanglot.

Au service de l'absurde - La GrueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant