Tu n'auras de cesse de te relever.
Comme c'était étrange. Être à la fois là et ailleurs. Elle se trouvait dans une pièce dont l'unique fenêtre, de la hauteur du mur, laissait entrer une lumière vaporeuse qui ne changeait jamais d'angle. Le soleil illuminait le plancher lisse et souple de ce qui ressemblait en tout point à une salle d'entraînement, exception faite des râteliers d'armes, absents. De l'absence de tout, en réalité. La pièce était même vide de porte. Seulement Edelone et Edelone. Debout, en train d'observer un spectacle qui aurait dû lui crever le cœur.
Et pourtant, elle n'éprouvait rien. Ni joie, ni peine, ni peur. Pas de confort ni de désagrément. Elle se contentait d'exister.
Son autre elle, en revanche, se trouvait dans un coin, recroquevillée. Tout à fait nue, les cheveux lâchés dans une tignasse emmêlée par ses mains qui n'avaient de cesse de les tirer dans un déchirement de douleur. Ce corps pathétique était secoué de sanglots violents. Les larmes et la morve contribuaient à l'état de ses cheveux. Lorsqu'elle reprenait sa respiration, entre deux sanglots, elle proférait des hurlements à peine humains. Ce spectacle durait depuis deux jours déjà. Si Edelone avait été capable d'empathie à ce moment-là, elle aurait su combien sa gorge était affligée après un tel surmenage. Mais aucune émotion ne la traversait, mis à part peut-être la satisfaction de ne pas être à la place de son double qui vivait un véritable enfer.
En dehors de la pièce, quelqu'un parlait. Elle l'entendait comme si elle avait la tête sous l'eau. Indistincte et lointaine, elle reconnaissait la voix du vicomte. Elle restait là, à contempler le pitoyable spectacle que donnait ce petit corps rongé par la peine. Elle entendit sa propre voix répondre au seigneur.
Une morne curiosité la gagna. Edelone se rendit devant la fenêtre et observa sa vie avec voyeurisme. La singularité de se voir évoluer par en haut ne l'ébranla pas plus aujourd'hui qu'hier. Elle se vit, debout et droite, comme son rôle l'exigeait. Elle était dans l'alcôve de la chambre de Sir Heleyra. Elle était neutre, peut-être même un peu vide.
Edelone se déplaça, chercha un autre angle. Le vicomte était assis dans son fauteuil, changé. Il était avachi, les coudes sur la table et la tête enfouie dans la paume de ses mains. Ses cheveux bruns n'étaient pas aussi bien coiffés que d'habitude, et il avait quitté ses apparats.
Le silence fut interrompu par un profond soupir du vicomte. Il se redressa le long du dossier et frotta son visage de ses mains. Des cernes se dessinaient sous ses yeux.
« Edelone, je t'en prie, parle-moi. »
La gardienne posa ses yeux sur lui, sans expression.
« A quel sujet, Sir ? »
C'était déroutant d'entendre sa propre voix sortir d'une autre bouche. Elle se contentait d'épier la scène avec une curiosité malsaine. Comment pouvait-elle être divisée en trois ?
Le vicomte bascula la tête en arrière, contre le dossier du fauteuil. Il était épuisé.
« Tu sais très bien à quel sujet. »
« Non, Sir. »
Nouveau silence. Seul le seigneur de Themar s'en incommodait. L'Edelone qui lui faisait face, elle, n'éprouvait rien. Elle assurait tout simplement une permanence sur le plan matériel.
Pourtant, Adren Heleyra ne sortit pas de ses gonds – il l'avait fait à de multiples reprises la première journée, sans succès. Il apprenait de ses erreurs.
« A propos du mariage. »
« Oui, Sir ? »
« Parle-moi à propos du mariage. »
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Au service de l'absurde - La Grue
FantasyC'est dans le nid de la discorde qu'éclot la fascination. Comment s'accorder à une personne en tout point son opposé ? La hardiesse de la tâche est incontestable. En particulier quand l'honneur d'avoir obtenu ses grâces se transforme peu à peu en ca...
