14. Une alliée, une amie

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Te garder sous ma coupe : plus qu'un désir, une obsession.

Adren Heleyra s'offrit un retour triomphant à Themar, sous les acclamations naïves de son peuple. L'orchestre de la Cour rythmait sa marche conquérante, il gratifiait ses sujets de sa gloire. Même la météo chantait ses louanges. Les épais nuages noirs se fendirent sur un soleil digne de sa seigneurerie. La foule n'avait d'yeux que pour lui, et qui pouvait leur en vouloir ? Il venait de sauver le village voisin de l'extermination.

Cette fascination arrangeait bien Edelone. A trois pas derrière lui, elle s'était fixé deux objectifs en apparence assez simple. Le premier : ne pas salir le Vicomte par mégarde. Le second : ne pas tomber d'épuisement après toutes ces péripéties. Elle s'astreignait à maintenir un semblant de dignité, dessein bien futile puisque personne ne la regardait, et ce à juste titre. Elle aurait pu faire le trajet à cloche-pied que personne n'aurait sourciller. Pendant qu'Adren rayonnait, elle se traînait péniblement, couverte de terre et de sang. Plus qu'un vœu, se plonger dans les bains chauds devint sa raison de vivre.

C'était donc galvanisé de l'amour de son peuple que le vicomte retrouva ses quartiers. Il s'apprêtait à entrer dans sa chambre lorsqu'un domestique approcha, dans sa tunique d'un marron terne. Il s'inclina si bas que son dos se retrouva parallèle au sol, puis tendit un petit paquet de papiers assemblés d'un ruban de soie.

— Mon seigneur, du courrier vous a été adressé pendant votre absence, dit-il sans faire l'affront au vicomte de croiser son regard.

Sans un mot, Adren saisit la pile et entra dans sa chambre. Edelone ferma la porte derrière eux, trop épuisée pour prendre en pitié le domestique reçu avec tout le dédain que son maître réservait au bas peuple. Tous les combats ne pouvaient être menés de front, et elle luttait déjà pour garder les yeux ouverts. Elle espérait de tout cœur que le vicomte allait se reposer, elle pourrait alors en faire autant.

L'elfe se débarrassa de ses parures et prit place sur un fauteuil de l'alcôve. Il dénoua le ruban de soie qui maintenait son courrier et en examina le contenu amoncelé en son absence. Il s'attarda sur la première, à l'écriture cursive caractéristique de l'elfique. Un ricanement méprisant fut sa réponse.

— Encore une lettre de mon père, s'amusa-t-il. Je crois qu'il n'a toujours pas digéré que j'ai tué son cher fils.

Une flamme jaillit de sa main et brûla l'enveloppe qu'il ne prit même pas la peine d'ouvrir. C'était loin d'être la première fois qu'il ignorait le courrier de son père, en particulier depuis la mort de Soarek.

L'elfe examina la prochaine lettre et eut cette fois-ci un sourire satisfait.

— Des nouvelles de Vaelin'.

Il ouvrit l'enveloppe d'un geste délicat et prit connaissance de son contenu. Bien qu'il gardât son sourire, le Ki du vicomte perdit de sa superbe. Sa réaction l'intriguait, mais elle n'avait ni l'énergie, ni le courage de s'engager sur le terrain accidenté d'une discussion.

— Elle a répondu favorablement à l'invitation pour la semaine prochaine,

— Bien, Sir.

Le silence s'installa. Les paupières d'Edelone s'alourdissaient. Il posa le courrier sur la table, préoccupé.

— Je vais aller dormir, j'ai besoin de repos. Tu peux vaquer à tes occupations.

— Merci, Sir, soupira-t-elle avec soulagement.

Elle ne se fit pas prier pour se diriger vers la sortie.

— Edelone.

La main sur la poignée, son mouvement se stoppa.

Au service de l'absurde - La GrueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant