28. Poussière

13 2 4
                                    

Vous entamez ici le dernier chapitre du tome 1 !

Je vous laisse un petit mot à la fin du chapitre, en attendant : bonne lecture <3

_________________________

Je suis redevenu poussière, tu viens ?

Inspire. Expire. Un. Deux. Trois. Recommence.

Son souffle rauque vibrait dans ses tympans. De vaillants adversaires, Edelone en avait combattu. Des combats à l'issue incertaine, elle en avait mené.

Ce fut la première fois que la mort la guetta de la sorte. Car l'être qui lui faisait face dégageait une puissance telle qu'il l'aurait réduite en poussières d'un claquement de doigts, bref et humiliant. Elle qui avait transcendé ses capacités sous un entraînement inhumain. Elle qui avait surmonté de lourds dangers. Son existence ne tenait qu'à un fil enroulé au bout du doigt de cet être démoniaque. Elle n'avait aucune chance de le vaincre, elle le savait. Sa seule échappatoire passerait par l'évitement habile d'un affrontement à l'issue trop certaine pour valoir la peine d'être mené. Ses doigts blanchissaient à force de s'accrocher à son bâton et au risible espoir qu'il recelait. La gardienne était tétanisée. Ses jambes refusaient de bouger, ce qui était sans doute pour le mieux. Elle se tint immobile, évaluant la situation avec prudence. Même sa poitrine n'osait plus se soulevait pour respirer.

La créature se volatilisa l'espace d'une seconde et réapparut à moins d'un mètre d'Edelone. La bonne réaction aurait été de mettre une distance plus importante entre eux, ce qu'elle ne fit pas. Ses pieds ne répondaient pas.

D'aussi près, elle put mieux comprendre à quoi elle faisait face. Elle n'avait jamais vu d'être qui ressemblait de près ou de loin à celui-ci, pas plus qu'elle n'avait lu à leur sujet dans quelque livre. Il aurait pu être confondu avec un être humain, grand et d'une minceur presque maladive, paradoxale avec la vivacité poignante qu'il dégageait. Ses cheveux d'un blanc franc retomberaient environ au niveau de ses épaules, s'ils ne voletaient pas en arrière comme portés par une étrange énergie. La ligne de sa mâchoire se dessinait avec caractère, en accord avec son nez busqué et sa pomme d'Adam saillante. Bien que ses longues ailes de papillon soient soigneusement repliées dans son dos, il lévitait au-dessus des fougères. Il apparaissait tout en nuances de gris. Cet être oscillait sans compromis entre une aura terrifiante et captivante. Il était à n'en pas douter d'une effroyable beauté.

— Eh bien, tu ne me réponds plus ? Tu étais plus loquace quand je parlais dans ta tête, souligna-t-il en penchant la tête sur le côté. Je vais finir par me vexer si tu m'ignores.

Il parlait d'un ton candide. Son regard s'était soudain noirci, et son sourire avait disparu. Edelone comprit qu'elle avait tout intérêt à ne pas le contrarier. La gorge terriblement sèche, elle déglutit.

— Qui es-tu ?

— Ah, tu n'es pas muette ! Quelle excellente nouvelle !

Le même sourire désaxé fendit sur son visage. Il fit une élégante révérence et saisit la main d'Edelone pour y déposer un baiser. Son contact étonnamment chaud surprit la gardienne, qui l'avait imaginé froid comme la glace. Elle accepta ce contact, consciente que le moindre faux pas pouvait signer son arrêt de mort.

— Je m'appelle Eupithèce, résidant des Enfers. Ravi d'enfin te rencontrer, Edelone.

Son sang se glaça dans ses veines. Le dénommé Eupithèce lâcha sa main, puis éclata soudain d'un rire aliéné. Edelone mesurait chacun de ses gestes, pesait chacun de ses mots.

— Tu verrais ta tête, remarqua-t-il lorsque son fou-rire prit fin.

Cette révélation expliquait son apparence si atypique. Un diable. Elle avait beau chercher, la moine ne voyait pas comment sa situation aurait pu être plus délicate encore. Elle eut presque envie d'en rire de nervosité. Tout ça pour ça ? Elle avait servi son maître de façon exemplaire. Celui-là même qui avait sauvé sa vie deux jours auparavant, compromettant sa réputation et ses desseins politiques. Elle avait rattrapé cette bévue en réussissant une mission, certes sordide mais capitale pour le duché. Mission commanditée par le duc lui-même, redorant au passage le blason de son maître. Alors que l'équilibre se rétablissait, fallait-il vraiment que tout s'effondre ? Une comédie dramatique ne se serait pas terminée autrement.

Au service de l'absurde - La GrueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant