25. Ardent

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Es-tu folle ? Si tu te le demandes...

A quoi ressemblait la folie ? Quels signes donnaient-elles, lorsqu'elle jetait son dévolu sur vous ? Ne se distinguait-elle par des autres maux précisément par son masque ? Lorsqu'elle s'emparait de vous, sa première tâche consistait à anéantir votre conscience. Abattre son plus grand ennemi lui assurait un règne paisible. Amputé de son bon sens, aucun être ne savait la combattre. Elle se glissait subrepticement, insidieux serpent suçant sagesse et sanité. Elle s'immisçait dans les nervures de l'âme, telle un cancer pourrissant en sourdine. Elle ne se révélait aux yeux de tous que lorsqu'il son heure avait déjà sonné.

Alors, Edelone se rendait folle à s'interroger sur sa propre santé mentale. Elle devait perdre la tête. Entendre des voix dans ses pensées et sentir des odeurs qui n'existaient pas aurait dû lui mettre la puce à l'oreille. Elle avait été trop vaniteuse pour admettre sa faiblesse, préférant à la réalité de naïves alternatives qui ne tenaient pas la route. Ce qui s'était produit aujourd'hui n'était que l'aboutissement d'un cheminement inévitable. Elle avait vraiment pensé que son maître pourrait souhaiter se ridiculiser en perdant le tout premier tour du tournoi, le tout face à un piètre adversaire ? Et pour cela, elle avait même jugé bon de recevoir quelques coups de hache. Elle n'aspirait plus qu'à une chose : du repos.

Adren n'était pas de cet avis, puisqu'il la traînait par le poignet en direction de sa loge. Il ne prononçait pas un mot. Qu'y aurait-il eu à dire ? Elle tentait de suivre la cadence malgré sa cuisse entaillée, laissant une traînée de sang dans ses pas. Il faudrait stopper cette hémorragie à un moment donné. A moins qu'il ne s'agisse d'une bonne occasion pour le vicomte de sélectionner un gardien un peu plus efficace – et un peu moins aliéné. Quand ils arrivèrent à destination, Edelone se préparait à l'idée qu'il s'agissait peut-être de son dernier jour.

Sous le regard de quelques domestiques qui passaient par-là, Adren jeta littéralement sa gardienne dans la pièce avant de claquer la porte avec brutalité derrière eux. Ils étaient seuls. Edelone tremblait de tout son corps. Il était temps de plaider sa cause.

— Sir, j-je..., balbutia-t-elle. Je suis infiniment désolée !

Elle se jeta au sol, tête basse, incarnant sa désolation.

— J'ai cru que... j'ai cru que vous m'aviez demandé de perdre, expliqua-t-elle d'une voix faible. Je vous ai entendu, du moins je l'ai cru. Je ne sais comment rattraper cette erreur monumentale. Je v...

Elle sentit deux paumes moites et tremblantes sur ses joues qui redressèrent son visage. Adren était agenouillé devant elle, à sa hauteur. Il était livide, le faciès mortifié. La bouche entrouverte, sa lèvre inférieure tremblait. Edelone fronça les sourcils, dans l'incompréhension la plus totale. Les doigts du vicomte parcouraient sa peau avec frénésie, comme s'il voulait s'assurer qu'elle était bel et bien là. Une larme échappa au seigneur de Themar, roulant sur sa joue pour s'écraser plus bas.

— Je... J'ai cru..., marmonna-t-il.

C'était peut-être la première fois qu'elle voyait le vicomte ne pas finir une phrase. Sa prestance s'était envolée dans les bourrasques de sa peur. Profonde. Dévorante. Edelone se risqua à poser une main sur sa joue pour essuyer le chemin salé de ses émois. Et, par ce geste, les dernières résistances d'Adren Heleyra s'effondrèrent sous le poids insoutenable de ses épaules. Il se jeta contre Edelone, la tête contre son ventre et les bras agrippés autour de sa taille. Et il pleura. Il tremblait dans les secousses des sanglots. Ses cheveux glissaient sur les cuisses de la gardienne, baignant dans son sang.

D'instinct, Edelone se recroquevilla par-dessus son maître. Ils avaient cruellement besoin du contact l'un de l'autre. Ils s'enivraient de leur chaleur. De la vie qui les animaient, qu'elle soit éprise de souffrance ou de joie. De longues minutes passèrent et leur accordèrent une indispensable parenthèse. Ce ne fut que lorsque leurs respirations s'apaisèrent enfin qu'ils se redressèrent en douceur, sans jamais rompre le contact qui les liait. Adren glissa ses doigts des épaules de la gardienne jusqu'à ses mains, constatant l'étendue des dégâts. Elle grimaça de douleurs. Elle se sentait si faible.

Au service de l'absurde - La GrueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant