6. Défaites sordides

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Les barrières tombent : que le spectacle commence.

Cette défaite cuisante ne fut que la première d'une longue série. Effectivement, Edelone ne s'était pas montrée à la hauteur. Et, effectivement, elle avait besoin d'entraînement. Elle affronta toute sorte d'adversaires dans les mois qui suivirent, allant des barbares aux lanceurs de sorts. Elle dut s'adapter plus qu'on ne le lui avait jamais demandé au monastère. Combattre un moine dans les règles de l'art lui était familier, mais tout le monde ne jouait pas selon ce schéma bien connu. Certains de ses nouveaux adversaires se spécialisaient même dans l'art du coup fourré.

En parallèle de ses horribles journées, elle essuyait pléthore de défaites nocturnes. Son sommeil, dont elle se targuait du confort jusqu'à présent, fut amputé chaque nuit de deux heures. « A chaque jour suffit sa peine » ne signifiait plus rien pour Edelone. Cette phrase sonnait désormais comme une idylle ridicule et dépassée. Cet emploi du temps l'amenait à se faire ridiculiser la journée, sans bouder ce plaisir une fois le soleil couché.

Les semaines s'enchaînaient sans qu'une seule victoire ne daigne poindre le bout de son nez. Car, bien entendu, les moines qui venaient l'entraîner n'étaient plus les apprentis dont elle avait l'habitude. Non, seuls les trois aînés venaient au château pour maintenir sa formation. Elle se battait contre des individus qui avaient jusqu'à un siècle d'expérience de plus qu'elle. Lui faudrait-il tout ce temps pour dépasser ces humiliations répétées ? N'aurait-il pas été plus simple de choisir tout simplement l'un de ces aînés comme gardien ? Aucun entraînement dantesque n'aurait alors été nécessaire pour combler les exigences que la cité nourrirait à son égard.

Le seul aspect positif de cette histoire était le réconfort qu'elle éprouvait à revoir ces visages familiers.

Six mois. C'était le temps qu'il fallut à Edelone pour décrocher sa première victoire. Elle s'en souviendrait toute sa vie – le guerrier face à elle aussi, soit dit en passant. Elle s'était retrouvée face à Ognur, un puissant goliath. La demi-elfe, environ deux fois plus petite que son adversaire, s'était préparée à souffrir une fois de plus de blessures et ecchymoses qui lui seraient difficiles d'endurer jusqu'à ses soins. Cela n'avait pas entamé sa détermination. Assidue, elle ferma les yeux, détecta très rapidement le Ki d'Ognur, saisit une partie de ses intentions, et s'apprêta à se faire vaincre à plate couture. Elle avait eu le temps de revoir ses objectifs à la baisse. Elle en avait fait une croix sur la perspective de l'emporter un jour, préférant se focaliser sur un but plus réaliste. Par exemple, faire durer le combat et réduire la quantité de bleus sur son corps. Sans cette idée, elle en aurait perdu la raison.

Elle ne pouvait s'empêcher de penser que le vicomte lui faisait payer sa faiblesse en lui imposant des combats perdus d'avance. Impossible de lui donner tort puisqu'en tant que gardienne, il était de son devoir de surpasser ses ennemis. Quels qu'ils soient.

Alors elle fît comme d'habitude, c'est-à-dire de son mieux. Elle commença par jauger son adversaire en le laissant attaquer le premier. Elle esquiva quelques coups, et en reçut une bonne partie. Lorsqu'elle passa à l'offensive, elle visa ses points sensibles, comme son aîné Archibald, sans laisser à son ennemi le temps de souffler, comme Akdur. Lorsqu'elle se trouva en difficulté, elle s'inspirait des feintes de Cinalu avec une aisance grandissante. Le combat dura de longues minutes. Si Ognur grognait sous ses coups de bâton, le colosse était loin de tomber. Comme chacun de ses adversaires, le guerrier était habile et ne l'épargnait pas. Sur le point de s'effondrer, elle gardait en tête son objectif. Le plus longtemps possible, n'abandonne pas, se répéta-t-elle.

En une foulée embrumée, elle passa derrière son adversaire à l'insu de celui-ci et lui asséna un dernier coup de bâton juste sous la base du crâne. Lorsque l'immense goliath s'écroula, Edelone constata que les rares domestiques présents étaient au moins aussi surpris qu'elle. Du sang coulant de son nez jusque dans sa bouche, une arcade ouverte et une épaule déboîtée, Edelone ne put pourtant s'empêcher de bondir dans un cri de joie. Elle avait remporté son premier combat en tant que gardienne face à un redoutable guerrier. Elle balaya la pièce du regard pour trouver son seigneur Il allait ravaler son sourire méprisant, cet imbécile sadique. L'exaltation l'aurait presque poussée à lui jeter sa rancœur à la figure.

Au service de l'absurde - La GrueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant