CHAPITRE 25

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CHAPITRE 25 - L'enfant de la Désolation

Deux jours supplémentaires passent, et je ne sais pas si c'est la fièvre qui s'accroche à moi comme une sensu, ou si cela est dû à l'échange que j'ai eu avec Dagen, mais mes joues restent chaudes malgré la guérison, et mes pensées demeurent troublées.

Durant ces quelques temps, Dagen prend soin de moi avec une patience angélique, veillant sur moi sans jamais évoquer notre conversation intime, comme si de rien n'était, comme s'il ne m'avait pas presque invité à faire l'amour avec lui.

Chaque matin, il change mes bandages, m'apporte de l'eau, m'offre de nouveaux habits et des bottes plus résistantes, et même quelques sucreries artisanales, à la pâte de gingembre et au sirop, provenant du marché du petit village dans lequel nous nous trouvons. Les Soleils d'Argile deviennent mes pâtisseries préférées, détrônant ainsi aisément mes pauvres biscottes.

Les chevaliers, dans un ballet quotidien de sollicitude, viennent tour à tour à mon chevet. Les jumeaux grignotent avec moi quelques friandises, Klaus se plaint du pari qu'il a perdu contre Izel, et cette dernière me raconte d'un air rêveur comment Thalassa et elle se sont rencontrées.

Merikh, quant à lui, prend soin de moi avec une douceur inattendue. Alors que je repose ma tête sur ses genoux, il commence à tresser mes cheveux en longues nattes, y ajoutant des bijoux étincelants ici et là. Pendant ce moment réconfortant qui fait baisser ma fièvre, sa voix s'élève dans des chantonnements anciens, dans une langue que je ne comprends pas mais qui fait vibrer mon être tout entier.

- Vel'areth, lumines suria,

Nel morna'elar, esh rethia,

Gara'verath, shal'is thara,

Vel'areth, aru'dar vesha.

Lorsque je ferme les yeux pour me laisser bercer, des frissons parcourent ma peau, et ma gorge se serre dans la réalisation de mon attachement grandissant pour ce guerrier exilé, et pour le reste des chevaliers qui deviennent peu à peu comme une famille à mes yeux.

En fin de soirée, enfin libérée de ma fièvre pour de bon, je me sens prête et en pleine forme pour reprendre notre périple. Mais Dagen insiste pour que je m'accorde une nuit de repos supplémentaire, me promettant que nous repartirons demain à la première heure.

Mais j'ai tellement dormi que je ne suis pas fatiguée du tout. Je me mets donc à déambuler sur le sol refroidi par la nuit de ma petite chambre, impatiente et agitée, ne tenant plus à rester allongée sans rien faire.

Dans un moment d'ennui profond, je fouille dans mes affaires, et, par mégarde, fais tomber un livre de la poche intérieure de mon manteau. Il tombe sur le sol dans un bruit sourd, ses pages s'ouvrant sur un passage écrit en lettres cursives. Je reconnais le livre que j'ai dérobé à la bibliothèque de l'Arbre d'Aldonoa : La Désolation du Guerrier. Avec tous les récents évènement, je n'ai pas eu le temps de le feuilleter et j'avais même oublié sa présence. J'imagine qu'un sortilège le protège, car il n'a pas du tout été abimé par mes quelques jours passés six pieds sous l'eau.

Je me penche pour le ramasser, et pour la première fois, j'arrive à déchiffrer les mots en Templarien qui sont inscrits sur les pages :

"Il y a fort longtemps, dans un monde où les ombres dansaient avec la lumière, naquit un enfant porteur d'un don sombre, un fardeau de mort qu'il portait comme une malédiction. À mesure qu'il grandissait, ce pouvoir devenait une chaîne qui entravait son âme, et chaque année qui passait semblait alourdir le poids de ce mal qui le rongeait.

Pour se venger de ce destin injuste, il se fit haïr, craindre, rejeter. Trainant sa faux derrière lui, il errait tel un spectre solitaire, vêtu de sa cape sombre et de ses bottes marquées de boue, sans abri, sans compagnon, sans but.

On racontait qu'il voyageait de ville en ville, laissant derrière lui un sillage de désolation, sans jamais trouver de véritable foyer, sans jamais s'éprendre de quiconque. Les Dieux lui avaient donné le nom de Guerrier de la Désolation, celui qui créer l'équilibre, celui qui insuffle la mort.

Son chemin croisa un jour celui d'une jeune comtesse aux cheveux dorées, issue de la tribu du Soleil Levant, qui vivait à la cour de la capitale. De mondes différents, ils étaient voués à se mépriser plus qu'à se comprendre.

Pourtant, lorsque la mère de la comtesse tomba malade, le guerrier de la Désolation fut chargé de l'accompagner à travers ce funeste voyage qui dura plusieurs années. Sa manière empreinte de respect et de solennité d'accompagner la duchesse dans sa mort, réconforta la jeune comtesse dans son chagrin, qui se réfugia dans ses bras pour pleurer sa perte maternelle. Dans leur douleur commune, leurs cœurs s'unirent, oubliant les barrières qui les séparaient.

Des années plus tard, lorsque la maladie frappa la comtesse à son tour, le guerrier ne put supporter de la voir souffrir comme sa mère avait souffert. Défiant les lois et bravant les interdits, il abrégea les souffrances de sa bien-aimée, et avec elle s'éteignit son propre cœur.

Pour cet acte, il fut banni, car la vie et la mort sont un équilibre fragile qu'il ne faut pas perturber par les voies de la magie. Il perdit son don, et son nom sombra dans l'oubli.

De nouveau, il arpenta les routes, mais cette fois sans la crainte ni la haine qui l'avaient jadis poursuivi. Il était devenu invisible, exilé, dépouillé de son pouvoir, mais dans son cœur, régnait la pureté. Il n'y avait de personne plus brave pour porter le fardeau de la Désolation. Car la Désolation est un équilibre, et Merikh Morana en était l'exemplification."

Lentement, je referme le livre, les larmes brouillant trop ma vision pour que je puisse continuer ma lecture. Je m'effondre sur le lit de paille, mon corps secoué par des sanglots profonds. Chaque mot résonne en moi, réveillant des échos de tristesse et de désespoir, mais aussi une profonde admiration pour la force et le courage de Merikh. Je laisse mes larmes couler librement, accueillant la libération que procure le chagrin.

A cet instant, dans cette petite chambre au milieu d'un monde qui n'est pas le mien, je me sens plus proche de Merikh que jamais, liée à lui par les fils invisibles de notre humanité partagée.

A suivre...

A suivre

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Destinées Temporelles | T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant