12.3. « La Confusion des sentiments »

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J'étudie furtivement ma tenue : un ample tee-shirt à l'effigie de Mickey et un simple boxer m'habillent.

— Heu, je ne sais pas si je suis présentable.

— Comment ça ? T'es tout nu ? s'amuse Jacob.

— N'importe quoi !

Je cède, incapable, la plupart du temps, de lui refuser quoi que ce soit. Ai-je déjà souhaité lui résister, d'ailleurs ? Le capteur selfie de mon téléphone dévoile mon pyjama enfantin, ainsi que mes pommettes églantine. Jacob s'encadre dans mon écran ; un débardeur noir met en valeur ses larges épaules. Même à distance, son charisme me grille quelques neurones.

— Tu as quel âge, quatre ans ? Tu m'avais caché ça ! ricane-t-il.

— Arrête de te foutre de moi, bougonné-je.

— Sérieusement, c'est craquant.

Je me mords la lèvre. Avec Jacob, je deviens une autre personne, une facette inconnue de moi s'éveille, étrangement plus... vulnérable, transgressive, docile.

— Tu ne t'es pas senti mal à l'aise, aujourd'hui ?

Ce matin, nous avons tourné la scène que je redoutais. Grâce aux répétitions, la prise fut expédiée en un clin d'œil. Le souvenir impudique de cette main masculine, contraste diaphane sur ma peau dorée, me hante encore. Comme une anomalie, une image interdite à laquelle mon esprit ne cesse de revenir.

— Non ça va, je ne suis pas prude.

Ces mots s'échappent en réponse à un défi imaginaire. Qu'est-ce que je cherche à prouver, exactement ?

Jacob arque un sourcil. Un éclat mystérieux s'invite dans ses iris charbonneux.

— Ah oui ? s'étonne-t-il.

Je me tortille d'embarras, libérant involontairement mes cuisses nues que Jacob fixe avec intérêt. Je les dissimule sous mon tee-shirt. Une source crépite doucement dans mon bas-ventre.

— Alors la scène de la première fois, demain, ne devrait pas t'intimider, provoque-t-il en braquant ses yeux droit dans les miens, cette fois.

Cette discussion mène mes pensées vers un nouveau danger... Pendant un instant, je m'ancre à ses lèvres. Distraitement, j'humecte les miennes. Jacob est happé par mon geste.

— Je sens qu'on ne va pas y arriver du premier coup... dis-je pour briser ce silence saturé de tensions.

— Tu fais référence à la fois où tu ne pouvais t'empêcher de m'embrasser alors que tu étais censé dormir, et où on a tourné pendant près de quarante cinq minutes... c'est bien ça ?

En effet, c'est peut-être arrivé...

— Jacob ! je gronde.

Décidément, il est en feu, ce soir. Et fier de me déstabiliser, si j'en crois son air trop satisfait. La conversation fond peu à peu sous mon manque d'entrain. Je n'ai plus l'énergie d'affronter la répartie joueuse de Jacob. J'ai besoin d'air, je suffoque.

Appeler Olivia, peut-être ? Tout est si facile, avec elle. Même si mes parents ont mis longtemps à accepter ma relation avec une Américaine, ils la considèrent comme leur belle fille aujourd'hui. Je n'oublie pas, néanmoins, qu'ils préféreraient me voir embrasser nos traditions et épouser une Thaïlandaise. Rendre mes parents heureux. Première consigne de mon petit guide de l'enfant expatrié. Pour le moment, l'échec est aussi imposant que le Doi Inthanon, plus haut sommet de Chiang Mai.

— Je vais aller dormir. Je tombe de sommeil, je clos, d'humeur songeuse.

— Dors bien, petit Luan, à demain. Sois en forme, hein !

Une colonie de bestioles d'une espèce non identifiée campe au creux de mon ventre, et je ne sais comment l'en chasser.

***

Impossible d'ignorer ni les grimaces, ni les grands gestes ridicules que m'adresse Kyle, posté en embuscade derrière la porte.

— Kyle ! Tu veux bien arrêter de déranger tes camarades, on est où là, à la maternelle ? se fâche Jodie.

Mon ami me tire la langue une dernière fois avant de s'éclipser. Je lève les yeux au ciel, aussi amusé que navré par son attitude puérile. Pour le tournage des scènes adultes, l'équipe est restreinte au strict minimum, à mon grand soulagement. J'aurais du mal à supporter, à chacun de nos contacts rapprochés, les incessants sourires goguenards de Kyle et ses expressions sorties d'un cartoon.

Exceptionnellement, Jacob et moi ne nous sommes pas entraînés outre mesure. Une spontanéité maladroite peut être bénéfique pour la première fois des personnages. Avant d'activer la caméra, Sam nous indique toutefois la chorégraphie à suivre. Nous nous mettons en condition, sous l'empire de la rigueur et de l'alchimie, en quête de l'équilibre parfait entre ces deux concepts indissociables.

Je m'étends au centre du lit, le corps musclé de Jacob vient surplomber le mien. Son poids et sa chaleur, pourtant familiers, allument une aurore au fond de moi. Il retire son tee-shirt. J'admire les reliefs de son buste sculpté, interdit devant sa beauté écrasante. Je n'ai aucun mal à imaginer que cet érotisme magnétique bouleverse autant de fans.

La prise commence sous l'observation attentive de nos quelques spectateurs. Jacob m'embrasse. Pas désagréable, comme toujours. Peu importe, je me concentre sur notre danse, ses mouvements, sa cadence. Mon cavalier guide ma main sur sa poitrine. Sous ma paume, la soie de sa peau chaude irradie. Sa solidité, sensation nouvelle, me déroute. Liam est passif lors de cette première étreinte, alors je tente de traduire au mieux cette timidité farouche sans dériver. Nos bouches se mêlent encore, notre salive s'échappe à la commissure de nos lèvres.

Nous rejouons la scène quatre fois, foudroyés d'épuisement. La dernière prise s'achève enfin, après quelques caresses suggérant l'exploration intime des personnages. Aussitôt, Jacob s'effondre sur moi.

— Mon dos...

— Ça va, Jacob ?

Je masse ses omoplates, savourant le roulement de ses muscles sous mes doigts.

— La position était douloureuse à tenir, mais ça valait le coup si tu continues comme ça, rit-il.

— Profiteur, va.

— Bien sûr que j'en profite, aucun intérêt sinon.

Je secoue la tête, consterné par ses manières séductrices. Une seconde nature chez lui, rien de bien sérieux. Jacob ronronne dans mon cou.

— Heu... OK... C'était la bonne, si jamais ça vous intéresse. Je suppose qu'on va vous laisser, hein, glousse Jodie, habituée à nos micros dérapages affectueux.

— Bien joué, les garçons. C'est dans la boîte. Quand vous aurez fini de flirter, ramenez vos fesses dehors. On a une scène à tourner tant qu'il fait encore jour.

Flirter ? L'équipe désinstalle le plateau tout en pouffant timidement.

Une fois seuls, Jacob se redresse.

— Merci pour le massage, Cutie pie.

Son regard rencontre le mien, nos nez s'effleurent. Ses yeux profonds, lacs sombres et immenses, me donnent le vertige. Au bord d'une falaise, je glisse.

Je cherche à me ressaisir, mais je suis emporté par d'autres détails ; son nez droit, de caractère, ses lèvres fines et malicieuses qui savent si bien dévorer Liam, sa mâchoire anguleuse, virile, que je brûle de redessiner du bout des doigts. Sa respiration s'alourdit... Il s'approche imperceptiblement. Ça y est, je chute.

Son souffle chaud capture ma bouche, mais cette fois, il n'y a aucune caméra.

The Making-of UsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant