18.2. « Être à toi ? »

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Une brique me tombe au fond de l'estomac. Où est l'issue de secours la plus proche ? Je n'ai pas le temps de me ménager un sursis, Olivia condamne toutes mes dérobades. Me voilà démasqué.

— Je le savais, prononce-t-elle.

Une victoire amère contracte ses traits. J'ai l'impression que le monde – enfin mon petit monde – vient de subir un ébranlement. Le mécanisme s'est déplacé, un nouveau roulement s'enclenche, un nouvel ordre. Pourtant, de ma bouche prise au dépourvu, ne sort que des bredouillements.

— Qu-quoi ? Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

Je n'arrive pas à lâcher prise, à renoncer à mon confort, mes habitudes, au calme lac de ma vie, encerclé peu à peu par un feu de forêt.

— Si je n'ai plus osé reparler de Jacob depuis les ateliers, c'est parce que je savais que la vérité m'exploserait à la figure, juste comme ça... Tu es si transparent. J'en ai le cœur net, là.

— Olivia...

— Si tu essayes de me mentir à nouveau, j'te jure que je mets le feu à ton appart'.

La volcanique jeune femme frémit sous la sage blondeur. C'est cette fougue qui m'a charmé, au départ, même si elle s'est éteinte au fil du temps. Elle était tout mon contraire. Battante, confiante, impériale sur une piste de danse, ou lors de défilés. Je me demande encore comment elle a pu me choisir, à l'époque. La nostalgie m'étreint, mêlée au désir urgent de tourner la page.

— Tu as raison.

Son visage se déforme sous l'uppercut d'une vérité trop longtemps réprimée. Je me penche vers elle, pour plus d'intimité, les joues brûlantes.

— Écoute, je suis désolé. C'est vrai qu'avec Jacob... Je ne sais pas comment le dire. Ne m'oblige pas à le dire.

Verbaliser ce que je ressens est un défi plus complexe que je ne l'aurais cru. Ce manque criant de courage me fait honte, l'impossibilité à être honnête, encore plus.

— J'ai besoin que tu le dises, insiste Olivia, impitoyable.

— Jacob me fait ressentir des choses et... J'aime être avec lui... et...

— Tais-toi, c'est bon. Je m'en doutais, siffle-t-elle, les lèvres pincées.

— Comment ?

— Tu es constamment distrait, comme si tu pensais à quelqu'un d'autre. Et puis les images de coulisses m'ont donné quelques indices, quand même. Il faudrait être aveugle pour ne pas comprendre... Tu as plus touché Jacob en quelques mois que tu ne m'as touchée en trois ans de relation. Et ce regard qu'il m'a lancé lors de notre rencontre. L'intuition féminine a fait le reste. Je ne suis pas bête, tu sais.

— Je suis désolé.

— Arrête de répéter ça. Le mal est fait.

Olivia repousse son assiette à peine entamée et se recule au fond de son siège, les yeux embués de colère, de larmes contenues. Je me sens minable. Un traitre, un lâche, un naufragé sans repères, perdu en haute mer.

— Est-ce qu'il s'est passé quelque chose, entre vous deux ? creuse-t-elle, tremblante.

Je baisse les yeux. Mon absence de réponse suffit à Olivia pour tirer les conclusions qui s'imposent.

— OK, n'en dis pas plus. Tu me déçois tellement, Luan.

Mon ancienne petite amie se lève sans douceur, sa chaise griffe le sol dans un crissement sec, définitif. Elle me jette un dernier regard empreint d'hostilité et de chagrin, avant de quitter le restaurant sans autre forme de procès.

The Making-of UsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant