7.1. « Le Gardien de mes rêves »

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LUAN

J'ouvre les yeux. La réalité me frappe de plein fouet.

J'ai. Embrassé. Jacob. Je répète. J'ai. Embrassé. Jacob. Que tout le monde reste calme.

Mon paysage se réduit à son visage, tout le reste en est éclipsé. Il dissimule mal son sourire en coin. Nos camarades, en arrière plan, sont sidérés. Après les cris ébahis, place au silence stupéfait. Si je n'étais pas aussi embarrassé, je trouverais l'expression bouche bée de Kyle hilarante. Les autres contemplent leurs pieds, spectateurs clandestins d'un moment interdit. Voyons, ce n'était qu'un petit baiser, les amis. Ma respiration, aussi courte que si j'avais couru un marathon, laisse penser le contraire.

— Alors ça. Je ne m'y attendais pas, commente Kyle.

Son intervention a le mérite de désamorcer la situation. Des gloussements se font entendre. L'exercice n'impliquait pas nécessairement un vrai baiser, Jodie souhaitait surtout que nous cultivions notre dynamique et notre alchimie. Mais alors que ça vienne de moi ? Personne ne l'aurait parié.

— Très belle scène, nous félicite-t-elle. Vous allez être mes Nate et Liam rêvés, mes petits chats.

Ce n'était qu'une simulation, après tout. Il n'y a pas lieu d'être troublé, n'est-ce pas ? C'est le métier qui rentre. La main de Jacob se pose dans le bas de mon dos.

— On y va ? me chuchote-t-il.

Je n'avais pas réalisé que j'étais resté pétrifié tout ce temps. Nous rejoignons le groupe, tête baissée. Nous n'aurions pas l'air plus honteux si nous étions coupables d'un méfait. Je n'ose pas croiser le regard de Jacob. Que vais-je y trouver ? De la réprobation, de la gêne ? Kyle s'assoit à côté de moi et me met un coup de coude complice dans les flancs, goguenard.

— Joli baiser.

Je hoche la tête mécaniquement, comme s'il m'avait énoncé un fait sans intérêt.

— Tu es sûr que ça va ? renchérit-il.

Mon air défait se mue malgré moi en sévérité. Ce n'est vraiment pas le moment de me cuisiner, Kyle. Il lève les bras en signe de reddition, avant d'adresser un clin d'œil à Jacob, assis juste derrière moi. Ce dernier lui répond par un rire crispé, de circonstance. Rien à voir avec ce son grave et vibrant, authentique, que je connais déjà par cœur.

La reste de la journée se déroule dans une atmosphère pesante. Je devine que Jacob cherche à capter mon attention, mais je lui refuse obstinément. Je préférerais préserver le peu de dignité qu'il me reste, si ce n'est pas trop demander. Je me sens comme un enfant pris en flagrant délit de bêtise.

Les essais de nos camarades défilent sous nos yeux. Même si dans les miens, il n'y a qu'une seule scène à l'honneur. Il était assez doux, ce baiser... Qu'est-ce qui m'a poussé à ce geste impulsif ? Ma détermination à m'investir dans ma carrière, certainement, et à briser mes chaînes. Je refuse d'être handicapé tout le tournage par mon inexpérience, ma pudeur tenace. J'ai plongé d'un coup dans une eau glacée, au lieu de m'immerger peu à peu. Une stratégie pour contourner les obstacles : foncer tête baissée. Et dans ce cas précis, lèvres tendues.

Je suis incapable d'identifier quand j'ai pleinement accepté ce saut au fond de l'océan. Dès les premières secondes de l'audition, ou lorsque Jacob a pris mes mains entre les siennes, scellant ma confiance aveugle en lui ? Tout ce que je sais, c'est qu'une force invisible me tendait vers lui, me soumettant à l'attraction d'un astre : on a conscience que ça brûle, mais on ne peut résister.

The Making-of UsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant