16.2. « Franchir la ligne »

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Je suis terrifié qu'il me repousse, mes nerfs ont gardé en mémoire l'empreinte de son rejet, mais il n'en fait rien. Nos corps s'aimantent comme avant, sur le plateau ou ailleurs. Cette chimie vibre toujours là, entre nous, royale et urgente ; elle grésille dans chaque fibre de ma peau, chaque souffle de vent, chaque note de parfum.

— Je suis là, tu vois, me réconforte Luan d'une caresse affectueuse dans les cheveux.

— Pardon d'avoir été si distant cet été.

— Oh Jacob, c'est de ma faute, j'ai été nul. J'ai eu peur.

— J'ai vraiment, vraiment, besoin de toi. Ne me quitte pas, je gémis, pathétique.

Note à moi-même : ne plus boire quand ma relation avec Luan me malmène.

— Hé... C'est l'alcool qui parle et la fin de tout ça, tu sais. Tu ressens de la mélancolie, c'est normal. Moi aussi, j'ai un petit coup de blues.

— Ah oui ? je renifle.

— Oui... le tournage me manquera. Mais on est aux portes d'une nouvelle aventure, c'est excitant aussi, non ?

Je n'écoute plus vraiment cet empilement d'arguments dictés par une raison qui m'a déserté depuis plusieurs heures, mais mon cerveau engourdi enregistre toutefois ses dernières paroles. Totale perte de contrôle, je dépose un baiser humide, appuyé, dans son cou. Et une confession douteuse m'échappe, impossible à rattraper.

— Il n'y a pas que ça, qui m'excite...

Merde, je suis saoul.

Luan se tend d'abord de surprise, puis sa respiration s'alourdit, son cœur bat au diapason du mien, bourdonne jusque dans ma boîte crânienne. Je continue à savourer sa peau, dont l'arôme me rend fou. Mon dieu, je voudrais le manger sur place. Luan se détache enfin, lent et confus. Je lui en suis reconnaissant, car je ne suis plus capable d'aucune lucidité.

— Jacob... qu'est-ce qui te prend ? articule-t-il laborieusement.

Son souffle court, ses yeux embués... Sa bouche m'appelle, friandise interdite. J'en trace les contours de mon pouce. Une voix désespérée éclate, je comprends à retardement qu'il s'agit bien de la mienne :

— Arrête de faire comme si tu ne le ressentais pas non plus, bon sang... Je suis à bout.

À chaque fois qu'il est au bord, il se rétracte, incapable de se livrer à moi, ni même de me confronter. Je recule de quelques pas, gêné de lui avoir sauté dessus sans la moindre mesure, alors qu'il n'éprouve pas la même passion. Entre mes paumes, je me cache de la honte qui m'inonde. Mais Luan vient me chercher, il me libère de ma propre prison et il m'étreint, si fort. Je crois que c'est la première fois qu'il fait le premier pas ainsi. Guidé par mon instinct, encouragé par son initiative, je reprends mes caresses où je les ai laissées.

Je me penche pour picorer sa gorge, là où son pouls palpite au plus intense. Il expire de bien-être, fondant entre mes bras. C'est le signal, le grondement annonciateur de l'avalanche à laquelle on ne peut plus se soustraire. Je migre sur sa joue, son oreille. En temps réel, je vois les frissons qui le parcourent. Une deuxième digue cède. J'enveloppe sa taille plus étroitement, l'écrase contre mon bassin pour lui faire sentir l'étendue de mon désir qui s'anime déjà rien que pour lui.

Nous en oublions que n'importe qui peut s'aventurer ici. J'entends des rires au loin, je crois reconnaitre le timbre de certains de nos camarades. Il suffirait qu'ils approchent encore de quelques mètres sur leur gauche pour nous surprendre. Peu importe, je les ignore. Il n'y a que ces lèvres divines et entrouvertes qui comptent, ces yeux clos, ces halètements indécents. Mes doigts effleurent l'angle de sa mâchoire fine. Mon souffle caresse sa bouche ronde, si pleine, qui m'attire telle une source d'eau fraîche dans un désert ardent.

— Fais-le, embrasse-moi, Jacob, me supplie Luan, le visage en extase.

Quand je capture enfin ces lèvres tant convoitées, mon âme quitte brusquement mon corps. Cela me fait l'effet d'un premier baiser. Un premier baiser très audacieux. Je l'embrasse sans réserve, mordille, suçote, appréciant cette texture de soie parfumée de liqueur sucrée. Sans plus se faire prier, Luan s'ouvre à moi. La pointe de ma langue vient timidement l'explorer, avant de le ravager comme une vague par temps de tempête. Luan referme ses bras autour de mon cou, affirme notre étreinte. Mon corps s'embrase. Je gémis.

— Tu me fais tourner la tête, avoué-je enfin.

Il ouvre des yeux larmoyants, perdu dans une brume de sensations. Je ne lui avais jamais vu cette expression abandonnée, même pour nos scènes les plus chaudes. Ses joues et ses oreilles me brûlent les mains. J'ai besoin de savoir ce qui se cache dans le labyrinthe obscur de ses pensées.

— Je te plais, alors ?

— Jacob, je...

Ma question enraye notre élan. J'aurais dû continuer à lui faire perdre haleine au lieu de chercher à le sonder. Luan n'est pas homme de sentiments, ni de confidences, je le sais. Je peux brusquer son corps, pas son cœur. Il se retourne, enfouit son visage contre le mur, à bout de souffle. J'en profite pour me délecter de la douceur de sa nuque, et ça me fait autant de bien que de mal. Je ne lui ménage aucun sursis, effrayé de le voir s'enfuir une nouvelle fois. Il tend un bras en arrière pour s'accrocher à mon cou. Est-ce là une réponse muette à ma question ?

Tout va si vite. Dépassé, je me presse contre lui, ses fesses rondes englobent mon membre tendu. Je ronronne de plaisir, puis me recule aussitôt, effaré par mon propre comportement animal. Putain. Qu'est-ce que je suis en train de faire ? Je perds les pédales.

— Je suis désolé Luan, je ne sais pas ce qui me prend.

Il me fait face, se passe une main fébrile dans les cheveux.

— Ce n'est rien... C'est l'alcool. Je ne suis pas très frais non plus.

— Ce n'est pas l'alcool, Luan. Pas pour moi. Tu me plais. Vraiment.

Je sais ce que je veux à présent, plus de doutes, plus de détours, plus de faux-semblants, mais lui... ? Je ne vais pas lui forcer la main alors qu'il est confus et sous influence. Nos regards s'agrafent quelques longues secondes. Luan réfléchit. Trop longtemps. J'ai l'impression qu'une saison entière s'écoule. Une éternité d'espérance.

— Tu veux bien me laisser un peu de temps ? Je dois régler certaines choses, de mon côté, tu sais...

Cette réponse, même si ce n'est pas celle dont j'ai rêvée au creux de mes nuits les plus solitaires, les plus moites, soulève mon cœur dans les hauteurs, instillant une infime pointe d'espoir dans mes entrailles. Je caresse sa joue, honore sa mâchoire d'un baiser, et murmure à son oreille :

— Je ne bouge pas, je t'attends.

The Making-of UsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant