27.2. « Montre-moi comme tu m'aimes »

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La gestion de notre vie privée semble bien plus simple désormais, à se demander pourquoi nous avons attendu si longtemps pour nous confier à nos managers. Ce coming out nous enlève une belle épine du pied. Luan m'a sauté dans les bras ce jour-là, reconnaissant de mon aveu inattendu. Il envisage même de s'ouvrir à ses parents, mais je suis encore réservé à ce sujet. Apprendre qu'il est en couple avec un homme sera un sacré choc pour eux, sans mentionner mon âge. Chaque chose en son temps. Je ne suis pas prêt à célébrer la vérité dans un communiqué de presse retentissant.

Les jours suivants notre première nuit d'amour ont la saveur d'une lune de miel. Désir, tendresse, insouciance... Nous flottons dans des hauteurs ouatées, loin de toutes préoccupations terrestres. Notre routine se nourrit de baisers volés et de nuits très courtes, inachevées ; deux amants lovés l'un contre l'autre à la veille d'un adieu.

Aujourd'hui, c'est l'anniversaire de notre rencontre. Je me souviens encore que j'avais hésité à me rendre au casting, j'étais même arrivé en retard ce jour pourtant décisif. Sans grande conviction, je m'étais glissé dans la peau de Nate et j'avais trouvé mon Liam. Comme un miracle. Au delà des personnages, ce sont Jacob et Luan qui se sont trouvés, à l'issu d'un parcours semé d'obstacles.

Cette date, je la chéris comme le sceau du destin. Moi, excessivement romantique ? Sottises.

Je prépare le dîner, puis j'appelle Luan pour savoir où il en est. La tonalité résonne dans le vide. L'heure tourne, mon petit ami demeure injoignable. Mon attachement anxieux s'éveille et déverse son poison brûlant dans mes veines, goutte à goutte. Sans surprise, je finis par tourner en rond, imitation parfaite d'un lion en cage. À vingt heures, j'ai dû l'appeler pas moins de cinq fois. Ma raison a pris la fuite, chassée par la nervosité. N’y tenant plus, j'emploie les grands moyens et compose le numéro de Georges.

— Salut mon garçon, ça va ?

— Ça va, je suis juste un peu inquiet. Je n’ai pas de nouvelles de Luan.

— Depuis combien de temps ?

— Quelques heures...

— Quelques heures ?! Les jeunes... À mon époque, on n’avait pas de téléphone portable, alors parfois on n'avait pas de nouvelles des jours durant, ce n’était pas la fin du monde.

— G., épargne-moi le couplet moralisateur sur le temps d'avant, s'il te plaît. C'est un jour spécial pour nous deux. C'est étrange que je n’arrive pas à le joindre.

— Oh... J'ai cru comprendre qu'il allait jouer au foot avec quelques amis, ce soir, m'explique-t-il, gêné.

Je suis partagé entre le soulagement de le savoir sain et sauf et la déception de son oubli.

— Ah... Bon. Au moins, il va bien.

— Je crois que son entraînement devait se terminer tard. Je suis sûr qu'il te donnera des nouvelles bientôt.

— Oui, j'imagine, dis-je d'un ton froid, déconnecté de la conversation. Je te laisse. Désolé pour le dérangement.

Je raccroche, tremblant. Je m'allonge sur le lit et tente de faire refluer mes sentiments toxiques. Il a oublié, et alors ? Ce n'est pas grave, tenté-je de me convaincre. Ça peut arriver d'oublier une date d'anniversaire, de ne pas donner de nouvelles, de privilégier une autre activité au détriment de sa moitié. Luan ne me doit rien. Malgré moi, je fulmine. Un serpent me ronge les cellules du cerveau, jusqu'à me laisser dans un état second. Une nuit sombre avale le jour. Je suis fatigué d'aimer si fort, d'être fatalement déçu, de trop en attendre, de douter, je suis fatigué d'être en proie aux affres de l'insécurité.

Machinalement, je fais défiler mes réseaux sociaux. Les actualités ne sont que des paquets de lignes troubles et sans intérêt. Mon pouce glisse compulsivement sur l'écran, œuvrant à apaiser le serpent affamé en lui fournissant une piteuse distraction. Rien ne fonctionne. Hors de moi, j'utilise Twitter comme un journal intime, rédigeant une phrase obscure, toutefois fatale « je ne le supporte plus ». J'ai besoin de me libérer de mes ressentiments. Acte vain et stupide. Dans la minute, je reçois des milliers de notifications de fans affolés. Je me sens encore plus mal de susciter un tel émoi, de déballer mon amertume d'une manière aussi peu appropriée et professionnelle. Ma drama queen intérieure vient de refaire surface avec pertes et fracas...

La sonnerie de mon portable perce la brume de ma torpeur. Enfin un signe de Luan.

« Désolé, j'étais au foot. Tout va bien ? » m'écrit-il.

Comment peut-il être si inconscient, si confiant, alors que je suis si vulnérable, si cassé ? L'évidence s'impose : de nous deux, je serai toujours celui qui souffrira le plus.

Face à mon silence, voilà qu'il tente d'attirer mon attention sur Twitter. Je découvre une photo de lui en maillot de foot, sa franche relevée en une petite queue de cheval au sommet de son crâne. Il sait que je ne résiste pas à cette coupe de cheveux adorable, qu'il arborait souvent lors des ateliers. « Je ne sais pas ce qui se passe, mais bonne nuit @JacobDarcy ». Une bouffée de tendresse m'assaille. Celle-ci tente d'affronter bravement le serpent tapi dans mes profondeurs, avant de perdre la bataille.

J'ignore mes messages pendant des heures, prostré. Je ne suis pas fier de mon attitude, pour autant j'échoue à dompter ces angoisses incessantes qui me dévorent de l'intérieur.

Et si Luan se lassait de moi ? S'il préférait la compagnie des femmes pulpeuses plutôt que ma carrure masculine ? S'il préférait jouer au foot avec ses amis, plutôt qu'un stupide dîner aux chandelles avec l'odieux possessif que je suis ? Il pourrait séduire toutes les actrices et les mannequins de son choix, pourquoi me choisir moi, un partenaire incapable d'assumer sa relation aux yeux de tous, pour couronner le tout ? Il ne peut raisonnablement pas m'aimer.

Les scénarios les plus négatifs s'emparent de mon cerveau embrassé par une psychose subite. Un nuage immense et électrique règne sur mon cœur.

Parmi mes folles notifications, « crétin de Kyle » s'affiche. Le seul que je suis capable d'affronter, en cet instant.

— Allo ? dis-je d'une voix blanche.

— Jacob ? Tout va bien ?

— Plus ou moins.

— Tout le monde s'inquiète. Tu ne réponds à personne, même pas à Luan. Qu'est-ce qui t'arrive, mec ?

Je soupire, ne sachant comment aborder le sujet, couvert de ridicule.

— Je me suis laissé emporter par mes émotions...

— Ah ? On est dans un nouveau cas Doctor Jacob / Mister Hyde ?

Décidément, Kyle me connaît mieux que personne... Deux ans plus tôt, il était aux premières loges de ma relation toxique avec Alif, médiateur plus souvent qu'à son tour. Avec mon ancien partenaire, nous nous déchirions sans cesse, jusqu'à nous répandre sur les réseaux sociaux. Je pouvais me transformer d'une minute à l'autre quand une situation m'échappait. Kyle, fort de son humour habituel, m'avait alors surnommé « Doctor Jacob, Mister Hyde ».

— Merde... Qu'est-ce que j'ai fait, Kyle ? Luan ne mérite pas ça, gémis-je en plongeant ma tête dans mes mains.

The Making-of UsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant