27.3. « Montre-moi comme tu m'aimes »

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- Ça va aller. Rien n'est irrattrapable. Raconte-moi.

Je déballe tout à mon ami.

- Je comprends. C'est normal d'être inquiet et même déçu. Tu as psychoté. Toi, tu es un maniaque du contrôle, désolé de te le dire, et Luan est beaucoup plus tête en l'air. Ça ne veut pas dire qu'il ne t'aime pas, me raisonne-t-il.

- Comment tu peux le savoir ?

- Je lui parle, tu sais. Son amour pour toi crève les yeux.

- Vraiment... ? Tu ne dis pas ça pour me rassurer ?

- Non, je te le promets. Il est vraiment épris de toi. C'est encore plus évident quand il essaye de le cacher, d'ailleurs.

Je soupire, consolé par les mots de Kyle.

- Notre relation est de plus en plus sérieuse, je crois que je panique.

- Que s'est-il passé ?

Je rougis furieusement au souvenir de notre nuit d'amour, bien que ce ne soit pas le seul événement auquel je fasse référence.

- Euh... C'est juste que ma mère est au courant. Phil et Georges aussi. Tout devient plus concret, en quelque sorte.

- Je vois... Désolé si je suis indiscret, mais vous en êtes où des étapes euh... du rapprochement physique ?

- Kyle ! m'offusqué-je.

- Crois-moi qu'imaginer mes deux meilleurs potes emboîtés l'un dans l'autre, ce n'est pas ma tasse de thé. C'est juste que... Disons que si Luan, qui était semble-t-il un hétéro convaincu jusque-là, a accepté certaines choses, tu peux te dire qu'il est sincère, non ?

Ce raisonnement ne me paraît pas insensé. Je l'ai moi-même tenu, dans mes bons jours. Le cadeau de confiance que Luan m'a offert, et son plaisir évident, ne laissent aucune place au doute. Cela dit, ça fait toujours du bien d'entendre des évidences qu'on a tôt fait d'oublier. L'anxiété est une ennemie redoutable, qui se plaît trop souvent à nous auto-saboter.

- Eh bien... on a été jusqu'au bout, si tu vois ce que je veux dire, dis-je avec un mélange de fierté et de timidité.

- Oh. D'accord. Maintenant je regrette d'avoir posé la question. De l'eau bénite pour mes yeux !

- C'était extraordinaire, Kyle, tu ne peux pas imaginer... dis-je rêveusement.

- Je ne veux pas imaginer ! s'écrie mon ami. Mais je suis content pour vous deux. Je pense que Luan ne ferait jamais ça à la légère. Je crois pouvoir affirmer qu'il t'aime profondément. Par contre cet idiot est étourdi, c'est tout. Tu sais, parfois il oublie même comment écrire son nom de famille, alors...

- Kyle ! Je t'interdis de parler de Luan comme ça. Il est... merveilleux.

Je soupire, me rendant compte qu'il me manque terriblement et que ses étourderies font partie de son charme.

- C'est à lui, qu'il faut le dire.

- Je sais. Je vais arranger ça. Merci de m'avoir ramené à la raison, Kyle. Merci pour tout. Désolé pour le dérangement au nom de Mister Hyde.

- T'inquiète, Doctor Jacob est bien plus fort. Tout va s'arranger.

Je raccroche, soudain beaucoup plus serein, bien qu'un sentiment de culpabilité persiste. Je regarde à nouveau la photo de Luan envoyée plus tôt, en souriant bêtement. J'ai besoin de l'entendre, de le prendre dans mes bras et surtout de m'excuser.

Le lendemain, je décide de le surprendre en allant le chercher à son cours de théâtre. Je prends la voiture et me gare juste devant l'édifice. Ni Phil, ni Georges n'approuveraient cette action inconsidérée, cependant je n'ai pas pu m'en empêcher. Un essaim d'étudiants quitte l'Académie en bourdonnant bruyamment. Je me concentre pour tenter de repérer Luan. Je l'aperçois enfin entre les deux jeunes hommes qui nous avaient rejoints au restaurant l'hiver dernier. Ils discutent joyeusement, le visage de Luan est assombri. Mon cœur se serre...

Appuyé contre le capot de ma Mustang, des lunettes de soleil noires vissées sur le nez, je patiente. Quand il remarque enfin ma présence, il s'arrête, s'excuse auprès de ses camarades et me rejoint d'un pas morne. J'ai le trac, soudain. Comme si c'était une première dispute.

- Salut, bredouille-t-il.

Gêné, il remue de son pied quelques cailloux, le regard absorbé par le sol.

- Salut.

- Qu'est-ce que tu fais là ? me demande-il en inclinant la tête.

- Je... Je suis désolé, pour hier. Pour l'inquiétude causée sur Twitter, et mon silence ensuite.

- J'étais vraiment mal, tu sais. J'ai cru qu'il t'était arrivé quelque chose de grave. Heureusement que Kyle m'a rassuré et expliqué la situation. À lui tu daignes répondre, me reproche-t-il.

- Bé... Je suis désolé. Monte, je t'expliquerai. Il ne faut pas en parler ici.

Un sursaut de lucidité me rappelle les recommandations de notre équipe. Phil m'a assez tiré l'oreille comme ça ce matin quand il a découvert le chaos créé par ma faute.

Luan soupire et s'assoit côté passager de mauvaise grâce. Je me tourne vers lui.

- Écoute. Parfois, des insécurités me débordent, et je réagis... mal.

- Comme une drama queen même, siffle Luan, acerbe.

Touché... Quel coup bas !

- Ouai, si tu veux... lui concedé-je. Ou comme Mister Hyde.

- Qui ?

- Rien. Laisse tomber. Hier, tu ne m'a pas donné de nouvelles et tu as oublié notre rendez-vous, puis j'ai eu des doutes et...

- Des doutes ? Jacob ! Je suis désolé d'avoir oublié notre anniversaire. Vraiment. J'ai eu des journées très chargées. Je stresse et je suis tête en l'air. Quand les autres m'ont proposé un foot... Ça faisait tellement longtemps ! J'avais juste besoin de me vider l'esprit. Je n'ai pas réfléchi. Je suis vraiment désolé. Par contre, on aurait dû communiquer. Au lieu de ça, tu boudes dans ton coin et tu laisses des messages cryptiques sur les réseaux sociaux. Et au-delà de ça, tu doutes de nous, de moi, pour un simple oubli, sans m'accorder le moyen de m'expliquer ?

Je soupire, recevant les mots de Luan comme une pluie de coups en plein visage. Aucune colère ne m'habite néanmoins, car il ne profère que la stricte vérité.

- Tu as raison. Je suis désolé. Laisse-moi t'emmener dîner ? Et parlons.

- OK.

Ce soir-là, j'emmène Luan manger son plat préféré. Je ne peux m'empêcher de sourire, attendri, en le voyant se nourrir si goulûment malgré la situation tendue. Nous voilà réconciliés, en quelque sorte, bien que quelques nuages s'obstinent à voiler le soleil. Nous discutons à peine, comme si tout avait été dit. Je le berce du regard, mais il est fuyant. Après le dîner, je ne veux pas le quitter, pas encore, surtout sur cette note d'inachevé, d'irrésolution.

- Tu dors avec moi, ce soir ? le supplié-je presque en m'installant dans la voiture.

- D'accord... souffle Luan.

Il me fait penser à un oisillon blessé. Je me sens mal. Le silence domine toujours, bien que la tension s'étiole au fur et à mesure.

À peine avons-nous franchi le pas de mon entrée, que je plaque Luan fermement contre la porte pour l'enlacer. Il laisse tomber son sac au sol sous le coup de la surprise. Son odeur affole instantanément mes sens.

- Bébé, Je suis désolé... Je promets de ne plus réagir aussi bêtement. Pardonne-moi.

Je le sens fondre. Il passe ses bras autour de mon cou, s'y cramponne.

The Making-of UsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant