Chapitre 30

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Le 9 juin arriva vite, trop vite pour Emmanuel. Gabriel avait tenté, avec quelques membres du gouvernement qui avaient ensuite été mis au courant du plan, de dissuader le Président de céder aux menaces des médias et des autres dirigeants. Non pas parce qu'il était innocent mais parce que c'était un aveu de faiblesse et de culpabilité. Mais Emmanuel n'avait pas cédé, il démissionnerait, c'était comme ça. Derrière lui, c'était devenu un véritable champ de bataille. Tout le monde y allait de son petit commentaire, certains propos pendant la première réunion d'urgence avaient malheureusement fuitées et la culpabilité du Président était désormais presque avérée. Celui-ci n'avait pas pris la parole en public et avait évité toutes les questions à ce sujet, il avait même considérablement réduit son nombre de déplacements et s'était restreint à des terrains conquis, des visites où son cercle de sécurité et de presse avaient tout fait pour qu'il ne soit pas envahi par les questions. 

Gabriel, quant à lui, avait eu aussi toutes les peines du monde à éviter les journalistes et surtout les députés en hémicycle, comme ses collègues. Les trois dernières semaines avaient été très compliquées pour tout le gouvernement et tout le monde se doutait presque de ce qui allait être la suite. La démission d'Emmanuel était certaine pour tous. La question était désormais, qui allait le remplacer ? En cas de démission, la présidence est assurée par le Président du Sénat pendant un gros mois, avant la tenue de nouvelles élections. Gérard Larcher, le boulot des Républicains, allait pouvoir profiter du siège suprême avant un nouveau scrutin. Tous les autres partis politiques avaient profité de la situation pour mener une campagne encore plus acharnée. Le Rassemblement National, qui faisait déjà une campagne sur tous les fronts, redoubla d'efforts. La gauche, LFI et le Parti Socialiste s'étaient remis en selle d'une façon impressionnante et les LR commençaient à prendre leurs armes. À Renaissance, personne n'avait reçu d'ordres particuliers tant la situation était en total dérapage, alors tout le monde faisait campagne pour sa pomme. Sylvain Maillard, le président du groupe à l'Assemblée nationale, criait sur tous les toits qu'il était légitime qu'il se présente. Gérald Darmanin, pointé lourdement du doigt par la nouvelle accablante de l'ingérence du Qatar n'avait rien dit cette fois et s'était muré dans un silence presque étonnant. Bruno Le Maire, quant à lui, saisissait chaque occasion pour montrer qu'il était prêt aux responsabilités. Mais Gabriel n'était pas dupe. Il savait qui Emmanuel allait choisir et ce serait lui. La veille, le Président l'avait convoqué dans son bureau. 

Ils s'étaient considérablement éloignés depuis le début de toute cette affaire et Gabriel s'était surpris à en être profondément attristé. Parfois, Emmanuel venait quémander un soutien moral que le premier ministre lui apportait sans broncher. Le Président séchait de plus en plus de réunions pour qu'ils se retrouvent seuls et ils passaient des longs moments ensemble, simplement dans les bras l'un de l'autre, à parler des heures durant. Ces discussions simples éloignaient Emmanuel de la dure réalité et faisaient culpabiliser Gabriel de plus en plus. Il prenait même depuis une semaine des anti dépresseurs et avait doublé sa consommation de caféine. Il dormait de moins en moins, parce que ça le bouffait de l'intérieur. Emmanuel ne riait presque plus, il passait le voir beaucoup plus souvent qu'avant oui, mais ce n'était plus pareil. Leur relation s'était renforcée mais leur alchimie avait totalement disparue. Et ça lui manquait, Emmanuel lui manquait, ses sourires, ses caresses, son corps. Emmanuel l'embrassait, le câlinait mais n'avait plus la force d'aller plus loin. Il était complètement éteint, brisé. 

Et ça brisait Gabriel de l'intérieur. Il se trouvait horrible, manipulateur, tous les soirs en s'endormant il priait pour retourner en arrière, pour annuler ces messages, pour retrouver l'homme qu'il avait aimé et qu'il aimait toujours, parce qu'il l'aimait, il en était sûr maintenant. Il avait fait passer encore une fois sa carrière avant ses sentiments. Ce que Stéphane lui avait toujours reproché. Il l'avait prévenu, qu'il finirait seul à force de dénigrer son entourage. Et Gabriel le maudissait mais il avait raison. Il sentait qu'Emmanuel lui échappait, que ses ministres allaient lui tourner le dos, dénigrer sa nomination, toute la situation lui échappait. 

Hier soir alors, quand Emmanuel lui avait annoncé qu'il le nommerait pour lui succéder à la Présidence, du moins pour être le candidat de son parti, Gabriel accepta en le remerciant. En sachant que la tâche serait dure, voire même infernale. Au lendemain de la victoire écrasante du Rassemblement National aux européennes et à la chute de Renaissance, se faisant doubler à la fois par le PS de Glucksmann et les Écologistes, l'heure était au chaos. 

Le chaos fut abominable aussi quand, quelques heures après, Emmanuel réunit tous les ministres, députés et membres importants du parti pour une grande réunion de groupe. Il annonça son projet de démission et la nomination de Gabriel à sa succession. Il y eu des cris de consternations, à la fois par la décision de quitter ses fonctions et par cette nomination "sans queue ni tête" pour certains. "Trop jeune, trop proche du Président", "qui sait s'il n'est pas lui même impliqué", le "Emmanuel Macron bis", la "mauvaise image qu'on aurait dû remplacer par quelqu'un de plus discret", bref les commentaires allaient dans tous les sens et Gabriel reçut peu de soutien. 

- « Vous me ferez le plaisir de le soutenir, il est hors de question que ce parti, fondé par mes propres moyens, coule par ma propre faute. Vous êtes au dessus de ça, vous êtes plus intelligents que moi » gronda Emmanuel, en faisant quelque peu taire les commentaires de certains. 

Gabriel, assit à sa droite, hocha la tête, la mine serrée. Il ne fit aucun commentaire pendant la réunion et laissa Emmanuel mener d'une main de maître le reste de la séance, mouvementée. En sortant, Gabriel reçut quand même quelques félicitations de Prisca et de Stéphane, qui quittèrent cependant rapidement les lieux. Tout le monde se sépara brusquement, le groupe avait volé en éclats plus rapidement qu'il ne le pensait. 

- « Merci » murmura simplement Gabriel en passant un bras réconfortant dans le dos d'Emmanuel une fois que toute la salle se soit vidée et qu'ils soient de nouveau seuls. Gabriel sentait que cette fois, leurs chemins allaient se séparer, peut être pour un long moment. 

- « Qu'est ce que..tu as prévu ? » demanda doucement le premier ministre à l'intention de l'homme qui se tenait à côté de lui, le regard vide et la mine sombre. 

- « Je ne sais pas. Je crois que je vais essayer de réparer les choses...avec Brigitte, avec moi même » dit-il dans un souffle. Gabriel sentit son coeur se serrer. Il aurait voulu l'embrasser, là tout de suite, lui promettre de rester avec lui, qu'ils pourraient toujours se voir, qu'il allait lui manquer et qu'il avait besoin de lui. Mais les mots restèrent coincés dans sa gorge et Emmanuel le remarqua. Simplement, il ne répondit rien. Le silence parlait pour eux deux. 

- « C'est peut être mieux ainsi » parvint à articuler Gabriel. Il fallait qu'il dise quelque chose, au moins. 

- « J'aurais tellement préféré autre chose, tu le sais bien. » Ce fut les derniers mots qu'ils échangèrent avant un long moment. Emmanuel reprit les quelques feuilles volantes qu'il avait apportées et se retira lui aussi. Gabriel se retrouva seul dans l'immense pièce. Face au sentiment de honte qu'il ressentait, il ne pouvait pas non plus ignorer le délicieux goût de la victoire.  

La campagne, qui venait de s'achever pour les européennes, avait repris l'instant d'après pour les présidentielles. Gabriel avait à peine eu le temps de souffler, sa candidature avait été annoncée en grande pompe, les débats avec les autres candidats se sont enchainés, les meetings aussi, il n'en avait organisé qu'un seul par manque de temps, les autres partis avaient pu en caler deux voir trois pour rassembler leurs troupes. La campagne avait été bousculée, chahutée, palpitante et éreintante. Emmanuel n'avait pas fait une seule intervention et c'était désormais Gabriel qui menait. Il avait repris à son compte tous les conseillers et faisant presque un sans faute, s'il oubliait les journalistes qui essayaient toujours de le piéger sur les affaires sales du Président. Il était ferme dans ses prises de parole, convaincant, plus beau et puissant que jamais. Le pouvoir alimentait sa force et son poids sur la scène médiatique. Les Français parvenaient à le différencier d'Emmanuel et il le voyait sur le terrain. 

Le soir des élections, ce fut un grand moment. Les gens boudèrent cette fois l'abstention et se ruèrent dans les bureaux de vote. Gabriel se rongeait le sang devant sa télévision, toute son équipe de campagne et ses collaborateurs derrière lui. Les résultats étaient très serrés, le RN et LFI talonnant de près dans les sondages et les Français voulant absolument sanctionner le parti présidentiel. 

Mais il n'en fut rien. Gabriel hurla de joie devant son écran et lorsqu'il entendit son équipe confirmer les chiffres. 

Il avait gagné. 

Il était Président. 

Seul, mais Président de la République française. 

TENTATIONS - Emmanuel Macron x Gabriel AttalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant