Chapitre 10 : No feelings

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Ludovica

Lorsque je me suis levée, il n'était plus là.

Je sais qu'il m'a aidée, je lui en suis reconnaissante. À ce moment-là, je n'étais plus capable de quoi que ce soit. Le pourquoi il m'a aidée me reste incompréhensible.

Il a dit avoir subi quelque chose de similaire, qu'il me comprenait. C'est ce dont je me souviens. Tout ce que je peux dire, c'est que malgré mon état, j'ai vu un aspect de lui que je n'aurais jamais cru observer de ma vie. Il n'était plus l'homme sombre, rempli de colère, aimant semer la terreur. Il avait été alors calme, délicat, timide dans ses gestes.

Mais aujourd'hui, je ne peux pas penser à sa gentillesse, pas après ce que j'ai vécu.

Je peux vous le dire, c'est le pire jour de ma vie.

Et pendant les 3 semaines suivantes. Ce sont les pires jours de ma vie. Pire que le drame que j'ai vécu bien avant.

Pire que tout ce que vous pouvez imaginer.

Je suis brisée, éclatée en mille morceaux, mais vivante? Enfin ce qu'on appelle en vie

C'est donc ça l'humanité : m'anéantir physiquement et mentalement mais me laisser en vie. Plutôt mourir.

Je souffre en permanence, l'angoisse m'envahit sans répit. Je revis ces moments douloureux sans cesse.

Je prends des dizaines de douches, désespérément, espérant effacer la trace de leur passage. Je me frotte jusqu'à en brûler ma peau, cherchant à me purifier, à me sentir propre à nouveau. Mon corps me trahit, il porte les marques invisibles de leur violence.

Je me sens noyée, sombrer, mourir, engloutie par un océan de désespoir et de douleur.

Chaque journée est une épreuve insurmontable.

Pourquoi continuer à vivre dans ce néant ?

À quoi bon survivre quand tout ce qui me définissait est désormais anéanti ?

Mais le pire de tout, c'est que je ne ressens plus rien.

Aucune émotion ne vient troubler cette morne existence, à part l'angoisse qui me saisit à n'importe quel moment. La passion qui m'animait autrefois a été éteinte, tout m'ennuie, tout me laisse vide, parce que je suis vide.

Plus rien n'a d'importance, pas même mes amis qui ont bien vu que je ne vais pas bien, et qui me le demandent chaque jour. Et pourtant, je réponds toujours la même chose : "Mais oui ça va, ne vous inquiétez pas."

La vérité, c'est que même moi, je m'inquiète, car je n'ai plus rien. Mon cœur n'est plus que l'ombre de lui-même.

Je suis devenue l'ombre de moi-même. Mon cerveau ne répond plus, mon corps ne m'appartient plus. Cette nuit-là, ils m'ont tout volé, mon innocence, ma confiance, ma joie de vivre. J'aurais préféré être laissée pour morte plutôt que de survivre à cet enfer quotidien.

Je suis prisonnière de cette absence de sentiments, hantée par le fantôme de celle que j'étais autrefois. Les émotions ne font que me frôler sans jamais me toucher.

Mon âme est devenue un désert aride, privé de toute émotion, un vide abyssal où même la douleur ne parvient plus à pénétrer. Comme si mon cœur s'était engourdi, incapable de ressentir la moindre once de joie ou de peine

L'empathie qui faisait jadis partie intégrante de mon être s'est évanouie, tel un mirage lointain dans un désert sans fin. Les rires des autres me semblent étrangers, leurs pleurs dénués de sens. Je suis devenue insensible, engourdie face aux émotions qui m'entourent.

Je ne ressens plus rien

Les affaires de ma famille ne me touchent plus.

Les lettres anonymes que je retrouve dans mon casier disant que je suis jolie, que j'ai quelque chose de spécial, ne me flattent pas, ne me font rien ressentir de voir ne procure qu'un dégoût profond en moi.

De même que cette dernière enveloppe contenant mes cheveux. Un psychopathe qui veut s'en prendre à moi, qu'il y aille. Je n'ai plus rien à perdre, tout m'a déjà été volé.

Je n'ai plus de perception du monde qui m'entoure. Je n'existe plus vraiment, je ne fais que survivre, vidée de toute substance. Je suis là, telle une coquille vide, errant dans une réalité qui m'échappe.

Même Vito, je ne l'ai pas croisé. Ou du moins, je l'évitais. Je suis prête à le confronter, à comprendre pourquoi il a voulu m'aider, et si c'est lui le fou qui m'envoie ces lettres. Cette confrontation est la seule chose qui semble susciter en moi un semblant d'intérêt, une interrogation face à cette situation.

Lui aussi est différent depuis ce qui est arrivé.

Je ne sais pas encore si je vais survivre à cette désolation qui me dévore de l'intérieur. Mon avenir semble incertain, et je me demande si je pourrai un jour retrouver cette part de moi qui s'est éteinte. Pour l'instant, je me contente d'être là, à errer dans cette existence vide de sens, sans savoir si je pourrai un jour émerger de cet abîme.

Finalement je me retrouve comme lui, et ça je le remarque lorsqu'il me regarde au loin sans jamais s'approcher.

Le reste des semaines seront toujours aussi horribles. Je le sais. 

Le coeur des ombresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant