CHAPITRE VII

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Dimanche 14 juillet 1940, Vorselanges







- Posez-le vers cet arbre ! crié-je à l'attention de l'homme en bleu de travail.

Mon carnet dans les mains, mon crayon entre les doigts, je guide les préparatifs du bal du 14 juillet qui aura lieu ce soir. Le maire, bien trop occupé, m'a chargé de donner les instructions aux agents techniques. Il faut que tout soit parfait pour faire bonne impression devant les Allemands, du moins c'est ce que souhaite notre cher préfet.

- Mademoiselle Morange, vous pensez pas que cette chaise devrait être dans l'autre sens ?

- Non c'est parfait comme ça. L'accordéoniste préfère être face à la mairie, répondis-je en griffonnant sur mon papier.

L'homme balaie l'air de sa main, comme pour dire « très bien, comme vous voudrez » puis s'attelle à positionner les gramophones. C'est une magnifique journée sans l'ombre d'un nuage à l'horizon, alors, décision a été prise de tout installer maintenant. Quelques soldats s'arrêtent sur la place pour observer la mise en place, certains nous pointent du doigt en dialoguant dans leur langue incompréhensible, d'autres ne s'attardent guère longtemps.

Je fais les cent pas pour analyser la disposition des tables, vérifiant s'il y aura assez de place pour les plats du traiteur, si les nappes ne risquent pas de s'envoler en cas de coup de vent et d'autres considérations purement pratiques.

De jolies guirlandes s'enroulent autour des branches du majestueux platane, cet arbre que nous aimions escalader, lorsque nous étions enfants Louise et moi. J'avise les pots de fleurs disposés ci et là, mais cela ne me plaît pas.

- Pouvez-vous reculer ces pots ? Les gens risquent de les faire tomber s'ils sont si proches des bancs.

Les hommes hochent la tête dans ma direction et s'exécutent.

- Eh bien, vous aimez dire les ordres, me hèle une voix germanique.

Je me retourne pour tomber nez à nez avec Kurt, un sourire jusqu'aux oreilles, les mains jointes dans son dos.

- Il faut bien que tout soit parfait, je ne voudrais pas offenser vos soldats.

Les yeux bleus du Caporal se plissent chaleureusement comme il échappe un rire. Il s'avance à ma hauteur, ou du moins, à mes côtés puisque, parler de hauteur avec ces Allemands serait ironique, vu les armoires à glace qu'ils incarnent.

- Vous ne les offensez pas, tant que le vin est sur la table, ricane-t-il en ôtant son képi pour passer ses doigts dans ses cheveux châtains.

Je fais mine d'être outrée en posant ma main sur ma poitrine d'un geste théâtral, puis l'accompagne dans son rire.

- Vous tapez dans le mille, ça du vin il y en aura, ne vous en faites pas. Après tout, nous sommes en Bourgogne ! rétorqué-je fière de moi.

L'Allemand ne me répond pas alors je pivote dans sa direction, il semble en proie à une réflexion profonde.

- Qu'y a-t-il ?

- Warum, taper-dans-le-mille ? répète-t-il en décomposant les mots avec son gros accent.

Cette fois, j'éclate franchement de rire sous le regard interloqué des agents techniques. Kurt me considère avec incompréhension, les sourcils arqués sur ses yeux bleus.

- Ça veut dire que vous avez vu juste.

L'Allemand secoue la tête en pestant dans sa langue.

À Ceux Qui Nous Ont OffensésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant