CHAPITRE X - PARTIE I

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Jeudi 15 août 1940, Vorselanges.







Les rayons du soleil baignent déjà ma chambre de leur lumière dorée, en ce magnifique jour férié, raison pour laquelle je me prélasse encore dans mon lit douillet à une heure si tardive puisque je ne travaille pas.

Fixant le plafond blanc crème, je réfléchis à mon programme de la journée qui ne sera sans doute pas très fourni. Mon premier objectif est de mettre la main sur ce maudit livre de signification des fleurs parce qu'en deux semaines je n'ai pas réussi à le trouver. Jusque-là je n'avais pas osé pénétrer dans la chambre des Allemands, de peur qu'ils ne surgissent malencontreusement et me surprennent, comme si je fouillais dans leurs dossiers. Désormais, je ne peux plus attendre.

Je m'étire longuement avant de me lever pour ouvrir les volets permettant ainsi à l'astre solaire d'illuminer entièrement ma chambre. La journée promet d'être encore très chaude sachant que nous frôlons les 30 degrés depuis quelques temps, au grand dam de mes plantations qui peinent à ne pas cramer.

Les cheveux ébouriffés, je descends à la cuisine et me serre une tasse de café largement rallongé pour ne pas gaspiller. Chaque semaine qui passe, laisse derrière elle des vivres en moins dans les épiceries, et ce, malgré les produits locaux des agriculteurs du coin. Tout cela parce que les Allemands réquisitionnent les récoltes au profit de leurs soldats. La faute également au marché noir !

Enfin, cela ne m'empêche pas de me préparer une tartine beurrée agrémentée de confiture de fraise, grâce à nos deux officiers qui ramènent régulièrement de la nourriture que l'on ne trouve presque plus chez les commerçants. J'ai longtemps culpabilisé, mais au final j'ai estimé qu'il s'agissait là d'une juste compensation du logis offert à nos ennemis.

Surtout que nous leur offrons généreusement du savon et du bon vin !

J'avale la dernière gorgée de ma boisson chaude, s'apparentant davantage à du jus de chaussette qu'à du café, puis file au deuxième étage pour mener à bien ma mission. Mon oncle revient vers 11h45 pour le repas. Et les Allemands...je ne sais pas ce qu'ils font de leur journée, mais j'ai entendu le claquement de leurs bottes un peu plus tard que d'habitude ce matin, jour férié oblige.

Que le Seigneur me pardonne, me dis-je, en faisant glisser mes chaussettes en laine sur le parquet jusqu'à la chambre du premier officier.

« J'angoisse alors qu'après tout, je suis chez moi » m'exclamé-je à voix haute.

J'ouvre la porte de la chambre de Müller et entre à pas de loup. La légère fraîcheur imprégnant la pièce m'indique que le SS a dû aérer avant que la chaleur ne soit déjà trop présente. L'ordre règne en maître et je peine à reconnaître les lieux. Les draps d'ivoire sont soigneusement tirés sur le lit, l'oreiller parfaitement centré, c'en est presque effrayant. Des dossiers jonchent le bureau mais aucune feuille ne dépasse, même les crayons et la plume sont alignés à côté.

J'avance vers l'étagère et scrute les tranches des livres en plissant les yeux. Aucun d'eux ne parle du langage des fleurs. Je fais demi-tour et referme la porte derrière moi.

Le cœur battant à tout rompre, je me dirige vers la chambre du Major.

J'hésite une bonne minute avant d'enclencher la poignée de la porte, et une autre minute pour entrer dans la pièce. Les mains moites, j'avance dans l'intimité de celui qui bouscule mes principes et mes croyances. Celui qui me fait oublier la Terre entière et ma propre personne lorsqu'il pose son regard bleu sur moi.

De la même façon que chez Müller, le lit est fait au carré, les papiers sont méticuleusement rangés sur le bureau et aucun crayon ne déroge à la règle. Je me sens mal d'être ici sans y avoir été invitée, mais je dois absolument mettre la main sur ce bouquin, et quelque chose me dit qu'Hans n'a pas fait les choses par hasard. Il savait pertinemment que j'allais chercher à comprendre la signification de ce fameux bouquet de fleurs, et par la force des choses, fouiner partout où cela aurait été possible y compris dans leur chambre.

À Ceux Qui Nous Ont OffensésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant