Mardi 2 juillet 1940, Vorselanges
Cela fait maintenant presque deux semaines que les Allemands ont investi notre village et qu'ils le régissent avec leurs règles plus absurdes les unes que les autres, comme celle d'avoir baissé l'heure du couvre-feu à 21h30. La raison ? La recrudescence de vols pour alimenter le marché noir. L'avis d'abaissement de l'heure du couvre-feu a été signé de la main du Major Hans Brückner lui-même, étant donné que le commandement du village lui est assigné.
En parlant de lui, il n'y a rien eu de particulier depuis ce jour dans le jardin. Il revient parfois tard, j'entends ses bottes gravir les marches jusqu'au deuxième étage et bien souvent, il est déjà parti le matin lorsque je descends à la cuisine. Un soir, alors que nous écoutions radio Londres avec l'oncle Emile, le Major s'est mis à crier en allemand et a fini par éteindre violemment le poste radio, parce qu'il est formellement interdit d'avoir les informations venant de l'Angleterre. J'avais tremblé de peur devant son regard bleu intraitable, qui s'était pourtant radouci lorsqu'il avait compris s'être emporté plus que de raison.
Mon oncle et moi avions supposé qu'il avait passé une mauvaise journée.
Notre deuxième locataire, le SS Untersturmführer, se contente de nous saluer poliment mais ne nous adresse pas spécialement la parole. Il est discret, c'est tout juste si nous nous souvenons qu'il vit sous notre toit.
Hier, chaque vorselangeais a reçu un avis de réquisition des armes et nous devons les apporter à la Kommandantur dès cet après-midi. En cas de triche, le fraudeur sera fusillé sans autre forme de procès. Je me demande bien comment ils comptent vérifier cela, il me semble tout bonnement impossible de fouiller les recoins de chaque maison du village. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin.
À la maison, nous avons le vieux fusil de chasse encrassé de mon grand-père, ainsi qu'un revolver 1892 datant de la première guerre mondiale en état de fonctionnement. Mon oncle m'a chargé d'apporter ces armes, mais je ne cesse de réfléchir à la possibilité de dissimuler le revolver, « au cas où ».
Ce matin, je travaille sur la préparation du bal du 14 juillet avec le maire, cependant, mon cerveau est ailleurs, tergiversant sur l'idée pertinente ou non de cacher cette maudite arme.
- Pour le banquet, vous contacterez le charcutier Gaillard de Beaune, le préfet a scellé un accord avec lui.
Je note scrupuleusement mes missions une à une pour mener à bien l'organisation des festivités qui se dérouleront sur la place de l'hôtel de ville. Un détail retient, toutefois, mon attention.
- Mais il n'y aura que du porc ? demandé-je en arquant un sourcil.
Monsieur Larcher m'avise d'un œil désolé.
- Je le sais bien mon p'tit, mais Lecomte se fiche des israélites.
Jean Lecomte, c'est notre préfet, enfin du moins celui qui s'est imposé comme tel après que la France ait basculé dans les mains de Pétain. Un antisémite notoire. Je me retiens de faire un commentaire, serrant la mâchoire de toutes mes forces.
- Et les Allemands, n'en parlons pas, complète-t-il en souriant tristement.
L'espace d'un instant, l'idée d'aller voir le Caporal Schroedter, pour lui demander une faveur, me traverse l'esprit, or, la peur de sa réaction me retient. Nous, pauvres villageois, savons vaguement que les Allemands n'aiment pas les juifs, mais je ne saurais quantifier cette haine injustifiée et incompréhensible.
Je change directement de sujet.
- Pour la musique, avons-nous suffisamment de gramophones ?
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À Ceux Qui Nous Ont Offensés
Fiksi Sejarah1940, Vorselanges, Bourgogne. Alice mène une vie paisible jusqu'au jour où les Allemands envahissent son village et sa maison. Elle, qui les déteste, se rendra vite compte que de la haine à l'amour, il n'y a qu'un pas. " Méfie toi de tout le monde...