CHAPITRE XV

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Mardi 24 décembre 1940, Vorselanges.










J'enroule mon écharpe autour de mon cou et enfile mes gants en laine tout en avisant mon reflet fatigué dans le miroir. Une phrase ne cesse de tourner en boucle dans mon esprit depuis deux semaines, la voix du diable fait écho et ne souhaite pas quitter mes pensées « j'espère que vous tenez à ces enfants Fräulein ».

C'est cette mise en garde sournoise qu'Heinrich m'a susurré à l'oreille avant de quitter ma maison, le soir du 9 décembre.

Bien sûr, personne n'a fait d'esclandre devant les enfants, d'ailleurs j'ai bien l'impression qu'Hans et Kurt se fichent complètement de ce qu'ils ont entendu, ils n'en ont pas reparlé et ne semblent pas avoir tiqué plus que cela le jour-même. Quant à Johannes, tout comme j'ignore s'il sait que Louise est juive, j'ignore le fond de sa pensée par rapport à ce qu'il s'est passé. Il est bien trop réservé et inexpressif.

Heinrich, lui, a sauté sur l'occasion pour me garder encore plus sous son joug malfaisant. Il n'a pas menacé directement les enfants, et d'ailleurs, il n'a pas spécialement réagi si ce n'est un haussement de sourcils significatif.

Il devait déjà songer à la énième menace qu'il allait faire planer sur moi et j'ai lu dans son regard, au moment où il a franchi le seuil de ma maison, que j'allais devoir lui donner quelque chose dans un futur proche si je voulais protéger ces enfants.

Un soupir, si fort qu'il fait voler une mèche de cheveux, m'échappe et je me force à adopter une mine plus légère. La bonne nouvelle c'est que cet ignoble personnage a obtenu sa permission pour Noël et qu'il est donc rentré en Allemagne le temps des fêtes. Dieu seul sait que je prie pour qu'il y reste définitivement, hélas...

En parlant de permission, Kurt n'a pas obtenu la sienne, le Kreiskommandant de Beaune a rejeté sa demande au motif que sa présence était requise durant cette période, car les soldats affectés à Vorselanges sont déjà en sous-effectifs cette semaine et qu'ils ne sauraient se permettre d'être trop laxistes, peu importe que ce soit Noël ou pas.

Très étrange puisqu'ils ont dit la même chose à Hans, ce qui est normal vu son grade, en lui assurant que sa présence suffirait au niveau des officiers de la Wehrmacht. Il semblerait que leur supérieur ait brusquement tourné sa veste alors que rien ne présageait un tel refus.

Ma foi...

Au final, il viendra réveillonner avec nous à la maison, je dois d'ailleurs rejoindre Louise pour faire des courses. Je ne l'ai pas vue depuis un petit temps et puis, de son côté elle prépare Hanoukka.

Je m'équipe donc de mon panier en osier et m'empresse de quitter la maison, accueillie par la bise glaciale me faisant déjà regretter d'avoir passé le pas de la porte. Aujourd'hui, je me rends à pied au centre du village, je n'aime pas particulièrement pédaler par ces températures négatives.

Depuis hier, nous avons franchi les – 10 degrés alors nous évitons de sortir si nous n'avons pas une bonne raison de le faire. Cela dit, nous avons la chance de ne pas avoir de brouillard pour l'instant et je dois dire que le froid sec est bien plus agréable.

Le maire m'a accordé ma journée en remerciements des différentes astreintes auxquelles j'ai participé en décembre, notamment à cause de la gestion des bons de rationnements à gérer en masse.

Je suis censée manger avec Marcel et Marie à midi pour faire le point sur nos actions et autant dire que l'angoisse me tiraille le ventre, je n'en ai pas dormi de la nuit. Je redoute déjà leur réaction quand je vais leur dire que je n'ai rien trouvé.

À Ceux Qui Nous Ont OffensésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant