CHAPITRE XI

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Vendredi 23 août 1940, Vorselanges.









La pluie d'été s'invite en ce début de matinée sous le signe de l'orage. La chaleur lourde et poisseuse, hier soir, annonçait déjà la teneur de la météo à venir. Mon imperméable beige sur le dos, je referme le portillon d'une main, tenant ma bicyclette de l'autre. Alors que j'allais enfourcher ma bécane pour partir à la mairie, la voix de ma voisine claque à côté de moi.

- Eh bien, vous vous amusez bien ?

Je mets un temps à percuter que c'est à moi que l'on parle, tant l'agression de bon matin me prend de court.

- Je vous demande pardon ? grincé-je en pivotant pour lui faire face.

La femme acariâtre, d'une quarantaine d'années, me toise d'un œil mauvais, les traits de son visage sont si aiguisés, et ses yeux verts si perçants qu'elle me fait penser à un aigle. De grosses boucles blondes encadrent son long visage émacié semblant s'étirer jusqu'à sa poitrine.

- Vous devriez fermer vos fenêtres la prochaine fois que vous faites la fête avec les boches. Et vos officiers qui vous ramènent de la nourriture pendant que les autres crèvent de faim, quelle honte ! Une jeune fille qui paraissait si bien...

Je fulmine intérieurement, les gouttes de pluie percutant mon visage n'aidant pas à apaiser ma colère, devant de tels propos purement haineux vu le ton sur lequel elle les a débités. Ses allusions à la soirée que nous avons passé il y a une semaine, me mettent hors de moi.

- Eh bien, prenez-les chez-vous. Allez-y ne vous gênez pas, si ça semble si plaisant d'avoir des Allemands chez soi. C'est vous qui devriez avoir honte, vous croyez que ça nous fait plaisir d'avoir des ennemis qui vont et viennent chez nous comme dans un moulin ?! m'emporté-je.

Elle lâche un rire mauvais en croisant les bras sur son buste.

- Vous aviez l'air de bien vous entendre, pourtant, vu les rires qu'on a entendus, surtout qu'il y avait bien plus d'Allemands que seulement vos locataires.

Je ferme les yeux un instant pour apaiser mes démons intérieurs. Pour qui se prend-elle à me faire la leçon ? Elle a qui a toujours été bien passive dans les affaires du village, se contentant de faire des commentaires sur la politique du maire alors qu'elle avait refusé maintes fois de participer aux réunions citoyennes.

Je ne devrais même pas lui répondre ou prendre la peine de me justifier mais c'est plus fort que moi.

- Ce sont les plus hauts gradés qui logent chez nous, on a pas notre mot à dire quand ils veulent recevoir d'autres officiers figurez-vous.

Le ton de ma voix, aussi acéré qu'un éclat de verre, ne laisse pas place à une once de courtoisie.

Avant même qu'elle ne rétorque, j'enchaîne.

- Mais ôtez-moi d'un doute Madame Crémieux, vous étiez bien contente que mon oncle vous offre des stères de bois l'hiver 37 ? pendant que votre mari était cloué au lit par la tuberculose. Vous nous avez supplié et mon oncle a été bien généreux. Et vos enfants ? Le nombre de fois où je les ai récupérés à l'école en attendant votre retour du travail, craché-je sans la quitter du regard, serrant mes doigts sur mon guidon.

La mégère ne me répond pas et se contente de pincer les lèvres. Je hoche la tête l'air de dire que cela confirme ce que je pensais.

Je n'ai pas pour habitude d'être aussi effrontée, d'ailleurs j'esquive toujours les conflits en temps normal, mais cette fois j'en ai assez de me faire cracher dessus par les gens de mon village, celui qui m'a vu naître et mes parents avant moi. Le niveau de méchanceté est étonnamment exacerbé en période de guerre visiblement.

À Ceux Qui Nous Ont OffensésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant