Jeudi 15 août 1940, Vorselanges.
Nous nous dirigeons vers l'aile Est du château, celle qui est le mieux conservée dans son état d'origine. Les ombres longues et inquiétantes sur les murs étirent les couloirs en tunnels interminables, et le silence est accentué par le martèlement régulier des bottes cirées de l'Allemand sur le marbre albâtre.
Les tapisseries anciennes, aux couleurs défraîchies, racontent des histoires de gloire et de noblesse d'un autre temps. Les tableaux aux cadres dorés, représentent des visages austères et des scènes de chasse à jamais figés dans le temps.
Devant moi, le Major avance avec assurance, sa silhouette droite et imposante se mouvant avec majesté. Ses cheveux blonds captent les rayons de soleil perçant à travers les fenêtres. Je tente de me concentrer sur le décor pour apaiser mon esprit mais ma vision est continuellement attirée par lui.
Nous arrivons devant une porte en bois massif ornée de ferrures délicates. Il l'ouvre et s'efface pour me laisser entrer. Je débouche dans un petit salon aux murs carmin, baigné dans la pénombre avec, en son centre, un divan recouvert d'un drap blanc. Dans le fond de la pièce, un bureau en chêne s'appuie contre le mur, tandis qu'une lampe à huile diffuse sa lumière douce et chaleureuse.
Hans ferme la porte derrière nous. L'odeur de renfermé ne parvient même pas à annihiler l'enivrant parfum de l'Allemand.
À bien y réfléchir cet endroit doit être une ancienne antichambre. La pièce, bien que petite, semble immense tant le silence est lourd de sens.
Les bottes du Major s'avancent pour atteindre le bureau. Il pose ses gants dessus avant de se tourner vers moi. Il est si séduisant, sans faire aucun effort, que c'en est insultant. Je déglutis avec peine. Mon cœur va finir par me briser les côtes à force de battre aussi fort en la présence de cet homme. Les yeux bleus de l'Allemand, plus clairs dans cette lumière tamisée, me fixent avec une intensité bouleversante.
Mon corps est si cotonneux que je crois flotter au-dessus du sol en compagnie des fantômes de ce château. J'en viens à oublier la raison de ma venue ici.
- Que vouliez-vous me dire ?
J'humecte mes lèvres dans l'espoir de parvenir à sortir une phrase correcte sans bégayer.
- C'est au sujet de la scierie de mon oncle. Il va devoir licencier des ouvriers si l'activité continue de s'effondrer. Depuis les interdictions d'exportation du bois, le chiffre d'affaires s'écroule et ce n'est plus tenable. Si ça continue ainsi, la scierie frôlera la faillite.
Ma voix s'est étranglée sur la fin. Je me tais, attendant une réaction de mon interlocuteur. Ce dernier m'observe sans laisser transparaître d'émotion particulière, jusqu'au moment où ses traits prennent une mine concernée.
- Eh bien, c'est très regrettable. Qu'attendez-vous de moi ?
Bon sang, il ne me facilite pas la tâche.
- Vous pourriez signer une autorisation d'exporter à nouveau, au moins dans les régions voisines.
Les sourcils d'Hans se froncent imperceptiblement. Je crains d'avoir fait une demande déplacée.
- Je ne peux pas faire une telle chose. Ce n'est pas dans mon pouvoir.
- Mais vous êtes Major !
Ma réponse spontanée fait naître un sourire charmeur sur ses croissants de chair.
- Je suis honoré d'avoir cette image à vos yeux Alice, mais je ne contrôle pas la région, seulement le village. Pour signer une autorisation comme ce que vous demandez, il faut référer au Generalleutnant à Dijon. Il n'acceptera qu'avec une condition.
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À Ceux Qui Nous Ont Offensés
Fiction Historique1940, Vorselanges, Bourgogne. Alice mène une vie paisible jusqu'au jour où les Allemands envahissent son village et sa maison. Elle, qui les déteste, se rendra vite compte que de la haine à l'amour, il n'y a qu'un pas. " Méfie toi de tout le monde...